Bande sahélo-saharienne x Instabilité : Terrorismes et trafics brisent l'élan du développement

 

30/07/2023

Interface africaine, la bande sahélo-saharienne (BSS) est confrontée à des sources multiformes d’instabilité. Or, elle présente des conditions favorables à l’essor du crime organisé et des trafics qui nuisent au développement. Face à ces menaces déstabilisatrices, la coopération internationale présente un bilan contrasté.  

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Interface africaine, la bande sahélo-saharienne (BSS) est confrontée à des sources multiformes d’instabilité. 

  • Si la sous-région dispose de nombreuses ressources, son niveau de développement reste l’un des plus faibles au monde. La BSS désigne une steppe d’environ 600 kilomètres de largeur et 7 000 kilomètres de longueur marquant la transition entre Sahel et Sahara, avec des pays allant du Sénégal à l’Erythrée. À la fin du XIXe siècle, les Français colonisent une fraction occidentale de la sous-région, profitant ainsi des ressources minières comme l’or, puis l’uranium, présents en grande quantité au Mali. Impulsée par les nationalistes, la décolonisation ne parvient qu’imparfaitement à satisfaire les besoins de développement des pays visés. Les systèmes économiques mis en place ont favorisé le maintien de la dépendance extérieure et des inégalités de développement. Des élites endogames, parfois kleptocratiques, excluent une partie de la population du pouvoir politique, ce qu’illustre bien le cas de la République centrafricaine. Pour l’ONU, les pays de la BSS présentent un produit intérieur brut (PIB) par habitant parmi les plus faibles au monde, notamment au Burkina Faso (900$/habitant) et au Tchad (700$/habitant).  

  • L’instabilité politique est l’un des facteurs favorisant la répulsivité territoriale de la BSS. L’incapacité à faire nation y est responsable de nombreux conflits intraétatiques. Par exemple, les rebellions touarègues, présentes au Niger et au Mali, ont déclenché plusieurs conflits armés dans la région (1990-1996, 2012 à nos jours). Elles ont pour revendication principale l’autonomie politique, économique et culturelle des populations touarègues. En 2015, la violence s’installe, s’intensifie et se radicalise avec l'arrivée dans la sous-région de l’État Islamique (EI), franchise terroriste opérant au Niger, au Mali et au Burkina Faso. Plusieurs groupuscules terroristes proclament leur allégeance à des organisations d’envergure régionale et mondiale (Boko Haram, MUJAO, etc.). Ces groupes cherchent à disposer de revenus récurrents pour maintenir leur présence et amplifier leurs activités. Outre l’autofinancement par les vols, la contrebande et les prises d’otages, certaines organisations érigent le narcotrafic (cocaïne) en source de revenu primordiale pour leur pérennité. 

  • Déstabilisatrice, la croissance démographique des pays de la BSS constitue un fardeau plus qu’un dividende. Selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), 300 millions de personnes pourraient résider dans la sous-région du Sahel d’ici 2045. Dans un contexte de sous-développement et d’instabilité politique, la croissance démographique pourrait y causer un déficit éducatif et un essor du chômage, affectant principalement les jeunes de la région : 44% des jeunes sahéliens vivent sous le seuil de pauvreté et 92% des emplois dédiés se trouvent dans l’économie informelle. Ainsi, les migrations régionales augmenteraient puisque la sous-région deviendrait plus répulsive. Les conflits interétatiques et l’insécurité intraétatique seraient aussi responsables des déplacements parfois forcés de population. Enfin, la BSS est soumise aux conséquences du changement climatique, lequel provoque une augmentation des températures moyennes et une perturbation du régime hydrométrique (inondations, sécheresses). Les effets sur les structures sociales et économiques, notamment sur le monde agricole, seraient susceptibles d’accroître l’insécurité alimentaire, nourrissant de nouvelles instabilités. 

Or, elle présente des conditions favorables à l’essor du crime organisé et des trafics qui nuisent au développement. 

  • Des États de la BSS sont fragilisés par une gouvernance corruptible au point d’être compromis par des acteurs non-étatiques. Les fonctions régaliennes, comme la gestion de la sécurité et l’imposition de taxes, peuvent parfois être déléguées à des acteurs non-gouvernementaux. Des autorités tribales et des organisations non-gouvernementales (ONG) sont amenées à remplir ces missions, ce qui accroît la confusion des rôles. La faiblesse des institutions étatiques dans la région facilite la corruption de fonctionnaires, de membres des forces de sécurité, de gardes-frontières ou de responsables politiques, maintenus sous l’emprise de narcotrafiquants. Illustrant cette tendance, la Guinée-Bissau est devenue un « narco-État aux ramifications tentaculaires » (Courrier International, 2022). La figure controversée de Braima Camará, député et chef du parti présidentiel, soupçonné de trafic de drogues et de blanchiment d’argent. La corruption politique entraîne un manque de confiance de la population envers les institutions étatiques.  

  • Inscrite dans la mondialisation de l’illicite, la BSS devient une plaque tournante pour le crime organisé et les trafics informels. En effet, fragilisées par le leg colonial et les logiques tribales, les structures étatiques peinent à exercer leur contrôle sur leur territoire. Des espaces interlopes favorisent ainsi l’essor du crime organisé et des trafics. Ces frontières poreuses apparaissent difficilement contrôlables en raison des faiblesses de la gouvernance étatique, du manque de moyens publics et de l’éloignement des lieux de pouvoir. Héritières des méharées caravanières pluriséculaires, les routes de la drogue transitent par le désert sahélo-saharien. Elles parcourent le nord du Mali, le Niger et le Maghreb, notamment par l’Algérie, ou la Libye pour déboucher sur l’important marché de consommation qu’est l’Europe. Les narcotrafiquants exploitent cette situation pour étendre leurs réseaux de transports. Depuis 2005, le narcotrafic passant par la BSS connaît une expansion rapide puisque l’ONUDC estime qu’environ 14% de la cocaïne présente en Europe a transité par l’Afrique de l’Ouest en 2008. 

  • Ainsi, les narcotrafiquants et les groupes terroristes prospèrent dans ces zones grises au point de se renforcer mutuellement. Pour Sérigne Samba Gaye, le groupe Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) offre un appui militaire aux narcotrafiquants dans la sous-région (FES, Connexions entre groupes djihadistes et réseaux de contrebande et de trafics illicites au Sahel, 2015). Ils assurent la protection des convois en les accompagnant jusqu’au territoire qu’ils prétendent contrôler. En contrepartie, les trafiquants paient une taxe équivalant à une fraction de la valeur de leurs cargaisons. Le groupe Boko Haram est aussi en collaboration avec des narcotrafiquants, au vu de son contrôle proclamé sur le bassin du Lac Tchad. Les routes du trafic d’héroïne venant d’Asie passent par ce territoire où Boko Haram recrute des autochtones pour surveiller les transits (« route du Sud » du Sud Soudan au Maroc). Un lien fort existe entre le terrorisme et le crime organisée au Sahel, au point que ces deux phénomènes se nourrissent mutuellement. 

Face à ces menaces déstabilisatrices, la coopération internationale présente un bilan contrasté. 

  • Entretenant l’instabilité, des acteurs non-étatiques illégaux freinent la trajectoire de développement. Le trafic de drogues alimente la violence de la région. Des groupes armés se disputent les routes de trafic du territoire, démultipliant ainsi l’insécurité régionale. À l’échelle internationale, ces trafics financent des groupes terroristes (AQMI, Boko Haram, etc.) dont les actions terroristes sont préjudiciables à la sécurité internationale. En outre, le crime organisé fragilise et discrédite les structures gouvernementales des États locaux. Il devient alors compliqué pour ces États de se mettre en position d’exercer leurs missions régaliennes. Ces acteurs non-étatiques causent un climat d’insécurité qui fait augmenter les primes de risque pays au point de dissuader des investisseurs étrangers. Les pays de la BSS figurent ainsi parmi les pays les moins avancés (PMA) selon l’Organisation des nations unies (ONU).  

  • Contre ces groupes informels, les États de la sous-région mettent en place différentes actions collaboratives à toutes les échelles. Dans la sous-région, la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) est mise en place en 1964 par le Cameroun, le Niger, le Nigéria et le Tchad. Visant la gestion coopérative de cet espace partagé, elle se dote d’un bras armé en 2014 : la Force multinationale mixte (FMM). En outre, les pays autochtones peuvent former des coopérations avec des puissances étrangères pour contrer les groupes terroristes et mafieux. Soutenu par la France, le G5 Sahel est créé en 2014 par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et le Niger dans cette perspective. Des organisations internationales participent aussi à la lutte contre le terrorisme et le narcotrafic, qui peuvent se combiner. C’est le cas de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et d’Interpol, qui contribuent à démanteler des réseaux intercontinentaux. 

  • La complexité du territoire et des différentes problématiques de la région rendent les mesures mises en place disparates en termes d’efficacité. « Il n'y aura pas de paix au Mali et dans la région si l'on ne combat pas le trafic de drogue » a déclaré Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, lors d’une commission luttant contre les conséquences du trafic de stupéfiants en Afrique de l’Ouest en 2013. Dans les années 2020, malgré tous les efforts combinés d’acteurs locaux, continentaux ou mondiaux, la BSS est devenue autant une « narco-région » (Boris Thiolay) qu’une « zone sensible » (Thomas Gomart). Ainsi, l’ONU considère que « les trafics prolifèrent au Sahel » en 2023 tandis que de nombreux États sahéliens sont déstabilisés par des coups d’États (Mali, Guinée, Burkina Faso, Tchad, Soudan, etc.). « Tentative illégale et manifeste de l’armée ou de l’élite au sein de l’appareil d’État de renverser l’exécutif en place », pour Jonathan Powell et Clayton Thyne, les coups d’État soulignent l’ampleur de ce défi démocratique en Afrique (Global instances of coups from 1950 to 2010: A new dataset, 2011).