Japon x Géopolitique - L'empire du soleil couchant
06/08/2023
Bénéficiant de son histoire et de sa géographie, le Japon devient l’une des plus grandes puissances économique et technologique au monde. Entré dans une période récessive, le Japon fait face à un double choc démographique et géopolitique. Confronté à ces obstacles, le Japon tente de dynamiser sa démographie et son économie pour peser dans la géopolitique mondiale.
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Sur un territoire contraignant, la puissance japonaise s’inscrit dans l’histoire. Le Japon est une puissance située entre l’océan Pacifique et la mer du Japon, voisine de la Chine et de la Corée du Sud. Le territoire nippon est un archipel constitué de 6 800 îles dont 421 sont habitées, comme Hokkaido, Honshu où se situe Tokyo, Shikoku et Kyushu. Le Japon possède une Zone Économique Exclusive (ZEE) équivalant à 4,5 millions de km², ce qui lui confère un potentiel économique très important. La majorité de la population vit dans les grandes mégalopoles japonaises dont Tokyo, qui compte à elle seule 13,9 millions d’habitants en 2022. Le Japon contemporain s’inscrit dans un héritage de puissance datant du XIXe siècle. Entre 1868 et 1912, l’ère Meiji marque un tournant pour la puissance japonaise. L’empereur Mutsuhito modernise le Japon par des réformes politiques et économiques permettant à l’archipel de s’ouvrir sur le monde. Il impulse l’industrialisation du Japon, confirmant le potentiel de l’archipel.
Durant les années 1960, le Japon s’affirme comme puissance économique pendant ce « miracle économique ». Le Japon connaît alors une croissance du PIB importante après avoir diversifié son industrie au travers de nouvelles réformes économiques (jusqu’à +10% de taux de croissance annuelle moyenne). Le Japon met en place un nouveau modèle de développement qui se fonde sur une croissance protégée et extravertie. Il élabore un protectionnisme éducateur et met en avant des échanges commerciaux d’exportation. Ce modèle est désigné par la stratégie en « vol d’oies sauvages », une théorie développée par Kaname Akamatsu en 1937, puis appropriée par Shinohara en 1992 (« Kaname Akamatsu et le vol d’oies sauvages », Pierre Jacquet, 2010). Cette théorie décrit un processus d’industrialisation étape par étape d’un pays : le pays importe d’abord un produit afin de pouvoir ensuite le produire lui-même dans une logique exportatrice. La perspective du Japon consiste à s’approprier des savoir-faire industriels pour remonter les filières économiques à plus forte valeur ajoutée.
Le Japon est ainsi devenu l’une des plus grandes puissances technologiques du monde. Depuis les années 1980, il s’impose comme une référence dans le domaine des nouvelles technologies. En 2019, il fait partie des pays qui produisent et exportent le plus de robots industriels, avec 52% de l’approvisionnement mondial (IFR). Héritières des « zaibaitsus », devenus « keiretsus », des entreprises emblématiques telles que Mitsubishi, Sumitomo, Toshiba ont joué un rôle essentiel dans la promotion de l’innovation technologique japonaise. Le pays investit massivement dans le domaine de la recherche et du développement (R&D), qui représente 3,3% du PIB national en 2021 (OCDE). Il dispose d’une avance sur la production de composants électroniques de haute qualité et de dispositifs électroniques avancés tels que les composants « hardware » de l’IoT (Internet of Things). L’archipel présente également d’un environnement éducatif et culturel qui se prête au développement des sciences dures et de l’ingénierie.
Entré dans une période récessive, le Japon fait face à un double choc démographique et géopolitique.
Dans le monde contemporain, l’économie nippone est fragilisée par son endettement. Après l’éclatement de la bulle spéculative japonaise dans les années 1990, différentes mesures ont été conçues pour redynamiser l’économie parmi elles, les « Abenomics ». Train de politiques économiques mis en place en 2012, sous le premier ministre Shinzo Abe, les « Abenomics » avaient pour but de stimuler la croissance économique du pays. Cette politique reposait sur 3 piliers : une politique monétaire accommodante, une politique budgétaire flexible et des réformes structurelles nationales. Faisant face aux crises, le Japon alourdit son endettement avec cette politique de relance. Il est affecté par une dette nationale qui représente 7 300 Md€ en 2022. La dette est détenue à près de 90% par des investisseurs japonais, en particulier par la Banque du Japon, ce qui permet au pays d’avoir une plus grande marge de manœuvre. Sur le long terme, ces caractéristiques d’endettement peuvent repousser les investisseurs étrangers.
Le vieillissement de la population nippone constitue une contrainte forte à l’ambition de puissance du pays. En 2022, le pays recensait moins de 800 000 naissances, soit le taux le plus faible depuis 1899. Les causes de cette dénatalité structurelle du Japon contemporain sont nombreuses. Parmi elles, figurent le poids des traditions, car très peu d'enfants sont conçus hors mariage au Japon, et les rôles sociaux, marqués par une inégalité des genres. Selon l’Institut national des études démographiques (INED), la population japonaise pourrait passer de 125 millions de personnes aujourd’hui à moins de 105 millions en 2050. La longévité de la population nippone entraîne un réel déséquilibre structurel. Il y a plus de retraités que de jeunes actifs dans le pays. Le marché du travail apparaît en déséquilibre structurel, avec 148 postes disponibles pour 100 personnes. Ainsi, le premier ministre Fumio Kishida affirmait pendant son discours de politique générale en janvier 2023 que le pays est « sur le point de ne plus pouvoir maintenir le fonctionnement de la société ».
La concurrence régionale en Asie orientale profite de la faiblesse du Japon pour le surclasser à l’international. Deuxième puissance mondiale, la Chine est le plus important concurrent régional du Japon alors qu’elle demeure un partenaire économique. Partenaires relatifs en économie, la Chine et le Japon entretiennent de profonds différends géopolitiques. La Corée du Sud est, quant à elle, un nouveau concurrent régional avec une économie développée et diversifiée ayant des productions à forte valeur ajoutée. Par ses investissements massifs en R&D, avec 4,6% en 2021, la Corée du Sud s’impose au Japon dans certaines technologies de pointe comme le secteur des semi-conducteurs (DGT). Sur le plan culturel, la Corée du Sud imite la stratégie japonaise des années 2000, au point de la surpasser. Dans les années 2000, la superpuissance culturelle japonaise des années 2000 s’appuie sur les jeux vidéo, les mangas, les animés ou encore sa gastronomie. Depuis les années 2010, le « soft power » sud-coréen rayonne dans toutes les directions.
Confronté à ces obstacles, le Japon tente de dynamiser sa démographie et son économie pour peser dans la géopolitique mondiale.
Des mesures sont mises en place pour lutter contre la dénatalité et de redynamiser la société. Des programmes pour encourager les couples à avoir plus d’enfants ont été créés par le gouvernement nippon, comme l’accès facilité aux gardes d’enfants, des aides financières pour les jeunes parents et le remboursement des accouchements. Le gouvernement aura ainsi besoin de 3 500 Md¥ soit environ 25 Md$ par an pendant les 3 prochaines années. Le Japon cherche également à encourager les femmes à rester sur le marché du travail. Il déploie des mesures fortes visant à réduire l’écart de rémunération présent entre les hommes et les femmes, mais aussi à multiplier les opportunités de postes de direction pour les femmes. Un assouplissement des politiques migratoires est entré en vigueur afin d'attirer de nouveaux travailleurs dans le pays. Les résultats tangibles de ces mesures restent contrastés. Ils ne rééquilibreront la structure démographique et le marché du travail qu’à long terme.
La coopération internationale fonde l’ambition de relance économique du Japon. Le renforcement des partenariats économiques régionaux est indispensable pour l’archipel. En effet, la coopération entre l’ASEAN et le Japon apparaît mutuellement bénéfique. Comme l’a prononcé le ministre de l’Économie japonais Nishimura Yasutoshi en juin 2023, lors du forum de 50 ans de cette coopération régionale, « l’ASEAN affiche une croissance remarquable, tandis que le Japon possède des technologies de pointe ». L’investissement nippon dans l’ASEAN est fortement bénéfique pour les parties prenantes. De nombreuses entreprises japonaises se sont établies dans la région afin de bénéficier de la main-d'œuvre qualifiée à des coûts compétitifs. Cet accord permet à l’ASEAN de bénéficier des hautes technologies japonaises, tandis que le Japon accède à des marchés en expansion présentant de nombreuses opportunités d’investissement. Ce partenariat offre une opportunité politique pour le Japon face à son concurrent chinois. Il cherche à promouvoir un contrepoids à la dominance chinoise, tant économique que politique, et à protéger ses intérêts régionaux.
Longtemps surnommé « nain politique », le Japon contemporain affiche de plus grandes ambitions stratégiques et géopolitiques. Il revoit sa stratégie de sécurité nationale en transformant sa doctrine de pacifisme constitutionnel (Article 9 de la Constitution de 1946). En effet, le premier ministre Kishida explique qu’il craint que « ce qui se passe en Ukraine peut se produire en Asie du Nord-Est » en référence à la situation de Taïwan. Craignant l’expansionnisme chinois, le Japon réinvestit dans son outil militaire. Les dépenses militaires atteignent un montant record de 114 Tn¥ en 2023, soit, 817 Md€, ce qui représente 2,1% du PIB réel de 2022. Afin d’assurer sa défense nationale, le Japon a fait appel aux États-Unis pour lui livrer du matériel militaire comme les missiles de croisière Tomahawk. Par cet accord, le Japon affirme son engagement au côté des États-Unis dans la défense de la région Indopacifique. Disposant également du partenariat informel QUAD, l’archipel et les pays membres cherchent à faire bloc contre la Chine dans un contexte géopolitique de plus en plus instable en Indopacifique.
Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Margaux Chérifi Brault
Source image : Le Monde
Source carte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Apolline B.