Futur x Antarctique – La dernière frontière
Vaste continent, l’Antarctique apparaît un lieu de coopération scientifique qui est encadré par le droit international. Les puissances polaires y renforcent leur présence pour des motifs économiques et géopolitiques. À l’horizon 2050, l’Antarctique fera l’objet de convoitises accrues tant il est notre dernière frontière.
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Vaste continent, l’Antarctique apparaît un lieu de coopération scientifique qui est encadré par le droit international.
Situé au pôle sud de la planète, l’Antarctique est un continent ayant des caractéristiques spéciales. C’est un continent doté d’une certaine envergure que les projections classiques en cartographie ne permettent pas de cerner. Il représente une superficie de 14 millions de kilomètres carrés où plus de 98% de sa surface est recouverte de glace. La glace antarctique peut avoir une épaisseur allant jusqu’à plus de 4600 mètres. Son climat inhospitalier combine des précipitations rares et des températures minimales plongeant jusqu’à – 90°C en hiver. Ainsi, l’Antarctique est un territoire inhospitalier qui ne compte pas de peuplement permanent au-delà des bases scientifiques.
Depuis la découverte de l’Antarctique au XVIIe siècle, les nations ont exprimé des revendications croisées sur le continent. L’âge héroïque de l’exploration de l’Antarctique concerne plutôt la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. De grands explorateurs occidentaux comme le Norvégien Amundsen et le Britannique Shackleton ont traversé le territoire polaire. Ainsi, les grandes puissances de l’époque se sont appuyées sur les explorations pour exprimer des revendications de souveraineté. Suite à l’année géophysique internationale, en 1957, les parties prenantes sont parvenues à plaider la coopération. Le traité sur l’Antarctique a été adopté en 1961 par 12 pays fondateurs, dont la France. Il interdit la militarisation du continent, gèle les revendications territoriales et encourage la coopération internationale.
Ainsi, l’Antarctique est le continent où s’incarne la coopération internationale à vocation scientifique. Depuis l’entrée en vigueur du traité, en 1961, le continent a vu la construction de 97 bases scientifiques. Aujourd’hui, 78 sont en activité dont 44 restent ouvertes tout au long de l’année. En terre Adélie, les Français entretiennent la base Dumont d’Urville qui est gérée par l’institut polaire Paul-Émile Victor (IPEV). Cette coopération scientifique est en plein essor pour les puissances concernées. En 2019, selon le spécialiste des pôles Mikaa Mered, 24 États sur les 54 signataires du traité prévoient d’étendre leurs capacités de recherche d’ici 2035 (Les mondes polaires). La coopération scientifique enregistre un dynamisme considérable en Antarctique.
Les puissances polaires y renforcent leur présence pour des motifs économiques et géopolitiques.
D’une part, l’Antarctique dispose d’un potentiel économique que des puissances polaires entendent promouvoir. Pour investir les segments porteurs, des nations polaires développent tout un secteur touristique. Selon Mathias Strobel et Franck Tétart, alors que ce tourisme était « autrefois réservée à une élite », il est « en train de se démocratiser progressivement » dans la péninsule antarctique (Hérodote - Géopolitique du tourisme). Si les touristes étaient moins de 5 000 par an dans les années 1990, ils étaient plus de 56 000 en 2019 selon l’association professionnelle IAATO. L’explosion du tourisme en Antarctique est mise à l’appui des revendications territoriales alors même qu’elle présente un risque environnemental dans des écosystèmes fragiles.
D’autre part, l’Antarctique fait l’objet d’un activisme géopolitique pour renforcer les puissances. Plusieurs raisons peuvent motiver les puissances dans leur géostratégie à l’égard de l’Antarctique : sa proximité avec des routes maritimes, son potentiel de ressources naturelles et son utilité pour les activités militaires. Sur ce dernier point, la clarté du ciel et l’absence d’interférences sont optimales pour les technologies spatiales. Présente en Antarctique depuis 1985, la Chine dispose d’ores et déjà de 4 bases (Grande muraille, Zhongshan, Kunlun et Taishan). Elle construit une 5ème station (Île inexpressible) à proximité de la mer de Ross, où sont installés les États-Unis et leurs alliés. La Chine perfectionne ses technologies duales, civiles et militaires, comme le système BeiDou-2, en dépit des conventions internationales.
À l’horizon 2050, l’Antarctique fera l’objet de convoitises accrues tant il est notre dernière frontière.
D’ici 2050, le changement climatique et la raréfaction des ressources renforceront les appétits d’exploitation de l’Antarctique. Sous cet horizon temporel, le changement climatique faciliterait l’accès aux ressources polaires et la pression économique cristalliserait les velléités d’appropriation. Or, ce territoire polaire constitue un réservoir des ressources naturelles largement inexploitées. Il comporterait de nombreuses réserves de charbon (500 milliards de tonnes) et d’hydrocarbures (200 milliards de barils équivalent pétrole). Il constituerait un concentré de ressources halieutiques, dont le krill, aliment essentiel aux chaînes alimentaires marines. Il possèderait aussi 70% de l’eau douce mondiale, capturée dans sa calotte glacière. Dans un monde de pénuries, toutes ces ressources naturelles conjuguées accroîtraient l’attractivité de l’Antarctique.
Ainsi, le statut protecteur de l’Antarctique pourrait être remis en question par les puissances. Aux fins de protection environnementale, des États signèrent le protocole au traité sur l’Antarctique en 1991 à Madrid. Entré en vigueur en 1998, il réunit 32 États signataires visant à sauvegarder ce territoire exceptionnel. Le protocole de Madrid consacre le statut de l’Antarctique comme une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science » (article 2) et il en prohibe ainsi l’exploitation des ressources minérales (article 7). Cependant, il autorise la tenue d’une conférence de renégociation après 2048 lorsqu’une partie le demande (article 50). À l’horizon 2050, les puissances polaires auront à faire face à leur responsabilité. La dernière frontière sera alors à conquérir ou à protéger.