Démocratie x Côte d’Ivoire – La guerre civile en embuscade
S’appuyant sur ses richesses naturelles et culturelles, la Côte d’Ivoire connaît une forte dynamique de croissance. Son potentiel de développement est bridé par l’instabilité politique et l’insécurité endémique. Les élections présidentielles de 2020 augurent d’un surcroît de tensions en Côte d’Ivoire, ce qui fragiliserait son émergence.
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S’appuyant sur ses richesses naturelles et culturelles, la Côte d’Ivoire connaît une forte dynamique de croissance.
Pays majeur de l’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire dispose d’importantes ressources naturelles. Elle bénéficie d’une météorologie et d’une géologie favorables aux activités agricoles et minières. Depuis les indépendances, la Côte d’Ivoire est la première puissance agricole de la sous-région. Elle s’impose dans la culture du cacao avec plus de 40% de la production mondiale des fèves, ce qui pèse 40% des recettes étatiques et 10% des emplois selon Le Point Afrique. Le café, l’hévéa et les bois complètent l’éventail des ressources agricoles du pays. À ceci s’ajoutent les réserves fossiles avec d’importants gisements d’hydrocarbures (pétrole, gaz naturel) et des ressources minières (fer, nickel, or ou diamant).
En outre, la Côte d’Ivoire est aussi enrichie par sa diversité ethnolinguistique et religieuse. Sur le plan linguistique, elle compte 4 principaux groupes majoritaires répartis selon leurs régions d’implantation pour Jean-Christophe Victor dans Le dessous des cartes (« Des nouvelles de la Côte d’Ivoire ») : le Mandé à l’ouest, l’Akan au sud-est, le Krou au sud-ouest et le Voltaïque au nord-est. Si la langue officielle est le français, plus de 70 langues différentes existent dans le pays. Sur le plan religieux, une ligne de clivage nord-sud apparaît schématiquement entre l’islam (38% de la population) et le catholicisme (22% de la population) alors même que ces religions monothéistes se combinent parfois avec l’animisme. La Côte d’Ivoire est un pays où la diversité apparaît comme un défi pour son unité.
Forte de ces richesses, la Côte d’Ivoire a ainsi connu un fort développement économique à des moments clefs de son histoire. À la suite de l’indépendance de 1960, le président Félix Houphouët-Boigny enclenche un développement économique appelé « miracle ivoirien ». Le pays profite de la bonne tenue des cours des matières agricoles (cacao, café) et de la création d’une caisse de stabilisation (la Caistab) qui assure aux paysans des revenus réguliers. Sous l’impulsion du président charismatique, surnommé le « Bélier », la Côte d’Ivoire atteint le statut de puissance sous-régionale. Sa réussite économique historique se prolonge à la période contemporaine sous Alassane Ouattara. Depuis 2011, elle enregistre un taux de croissance annuel moyen de 8% pour la Banque Mondiale. Ces périodes d’expansions la qualifient comme pays doté d’un potentiel de développement.
Son potentiel de développement est bridé par l’instabilité politique et l’insécurité endémique.
Consécutive à la mort du « Bélier », la difficile transition du pouvoir politique déstabilise la nation. Le premier président de la République de Côte d’Ivoire décède en décembre 1993, ce qui plonge le pays dans l’instabilité politique. Dirigeant de transition jusqu’à la tenue de l’élection présidentielle, Henri Konan Bédié attise les passions nationalistes avec la notion « d’ivoirité », laquelle débouche sur la stigmatisation de tout citoyen dont les 4 grands-parents ne seraient pas Ivoiriens. Élu en 1995, il est évincé par un coup d’État en 1999. Toutefois, le concept d’ivoirité survit à sa mandature en étant intégré à la Constitution. Les immigrés africains subissent des campagnes de dénigrement qu’ils soient originaires du Burkina Faso, du Mali ou du Sénégal.
Ainsi, au XXIe siècle, le tribalisme redevient un trait majeur de la vie politique ivoirienne au point de précipiter le pays dans la guerre civile. Ainsi, la rivalité politique entre Laurent Gbagbo (chrétien Bété) et Alassane Ouattara (musulman Dioula) divise le pays selon un prisme ethno-confessionnel. En 2001, la victoire de Gbagbo mène à des affrontements entre les loyalistes du Sud et les rebelles du Nord. La France joue son rôle de protection de ses ressortissants dans sa zone d’influence en lançant l’opération Licorne (2002) tout en œuvrant dans les coulisses à la signature d’accords de paix (Marcoussis, 2003). Arguant de l’instabilité chronique, Laurent Gbagbo repousse 6 fois la tenue des élections de 2005, jusqu’à ce qu’il soit déclaré perdant au profit d’Ouattara lors des élections de 2010, actées en 2011.
La Côte d’Ivoire est exposée à une menace terroriste qui gagne en intensité dans toute l’Afrique de l’ouest. Ce danger croissant s’explique par la déstabilisation du Sahel dans le sillage des guerres civiles en Libye et au Mali. Selon Lassina Diarra, spécialiste de l’islamisme et du terrorisme en Afrique de l’Ouest : « les jihadistes sont dans une logique d'extension et de conquête territoriale. Ils veulent diversifier les zones d'opération pour étendre leurs mouvements et leur idéologie sur l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest ». Les mouvements terroristes, comme Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) s’infiltrent dans les frontières poreuses qui facilitent les trafics et contrebandes dans le triangle du Liptako. L’attentat de la station balnéaire de Grand-Bassam en 2016 a fait une vingtaine de morts.
Les élections présidentielles de 2020 augurent d’un surcroît de tensions en Côte d’Ivoire, ce qui fragiliserait son émergence.
Contre la Constitution, Alassane Ouattara est candidat pour un troisième mandat, ce qui ravive le risque de guerre civile. Désigné successeur du président Ouattara, le premier ministre Amadou Gon Coulibaly est mort d’une crise cardiaque le 8 juillet 2020. Cet événement inattendu a incité le président à annoncer sa candidature pour un troisième mandat. Pourtant, la Constitution de la République de Côte d’Ivoire de 2016 fixe à 2 le nombre maximum de mandats présidentiels. Le président sortant défend sa position en affirmant que « les compteurs ont été remis à zéro » en 2016. Les opposants politiques exigent un boycott électoral fondé sur l’invalidation par la Cour constitutionnelle d’uniquement 40 candidats sur 44. Cette situation a débouché sur le retour des violences qui ont d’ores et déjà causé des dizaines de morts.
Plusieurs scénarios se dégagent pour l’avenir politique d’une Côte d’Ivoire sur le chemin de l’émergence.
Le premier scénario serait le départ des politiciens historiques, dont les candidats Alassane Ouattara ou Henri Konan Bédié, ainsi que le report des élections. Il ouvrirait de l’espace pour les jeunes générations politiques comme le Mouvement des 1000 citoyens : ce scénario se referme d’heure en heure à mesure que se tiennent les élections du 31 octobre 2020.
Le deuxième scénario consisterait en la tenue d’élections sous le contrôle d’observateurs indépendants mandatés par l’ONU. Il permettrait d’améliorer la fiabilité du scrutin et l’acceptabilité de ses résultats. Pour sa réalisation pleine et entière, il faudrait que la mission d’observation puisse se dérouler dans des conditions de sécurité optimale. La volonté réelle de chaque camp de faire primer la démocratie sur la violence en constituerait un préalable.
Enfin, le troisième scénario serait celui des élections telles qu’envisagées par les autorités actuelles, risquant des fraudes massives commanditées par chaque camp. La répétition de l’histoire de 2001 avec l’embrasement tendant à la guerre civile ne serait plus à exclure. Relever le défi de la stabilité politique est ainsi un prérequis pour l’émergence de la Côte d’Ivoire.