Géostratégie x Espace – La nouvelle frontière
L’espace constitue un enjeu majeur de puissance dans la géopolitique contemporaine. Encadré par le droit international, il représente un lieu de coopérations continentale et mondiale. Toutefois, la militarisation, la privatisation et l’exploration de l’espace en bouleverseront la géopolitique au XXIe siècle.
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L’espace constitue un enjeu majeur de puissance dans la géopolitique contemporaine.
Pour attester de leur avance technologique, les grands pays se sont intéressés à la conquête spatiale. Cette démonstration de supériorité est passée par l’envoi de satellites dans l’espace exo-atmosphérique. Depuis la guerre froide, les succès nationaux se sont multipliés avec l’URSS en 1957, les États-Unis en 1958, la France en 1965, le Japon en 1970, la Chine en 1970, l’Inde en 1980, Israël en 1988, l’Iran en 2009, la Corée du Nord en 2012 et la Corée du Sud en 2013. Comme les fusées et missiles reposent sur des bases technologiques similaires, les puissances spatiales recoupent amplement les puissances nucléaires.
Ainsi, les relations géopolitiques entre les puissances spatiales apparaissent refléter les tensions du monde contemporain. Sous l’effet des sanctions américaines, et heurté par le coronavirus, l’Iran a mis en orbite un satellite militaire « Nour » (« lumière » en farsi) en avril 2020. Exprimée par les Gardiens de la révolution, cette déclaration de Téhéran a été vécue comme un degré supplémentaire dans la provocation par Washington et Bruxelles : les fusées pouvant tour à tour contenir des satellites d’observation ou des charges nucléaires. Comme le rappelle la rédactrice en chef du Dessous des Cartes, Émilie Aubry, l’espace est bien un « éternel enjeu de puissances ».
Encadré par le droit international, il représente un lieu de coopérations continentale et mondiale.
Compte tenu de l’ampleur de cet enjeu, l’espace est régulé par des traités internationaux ayant une large portée. Dans le cadre de l’Organisation des Nations-Unies, le traité de l’espace est signé en 1967. Son intitulé est plus qu’explicite puisqu’il s’agit du « traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes ». Il affirme des principes fondamentaux : la libre circulation spatiale, l’interdiction de militariser les corps célestes et la responsabilité des États. Ce traité international a été ratifié par 97 États et signé par 71, ce qui lui donne une portée considérable pour les acteurs du spatial.
Dans ce cadre juridique, la conquête humaine de l’espace est facilitée par les coopérations à l’échelle mondiale. Suite aux études de l’agence spatiale américaine (NASA) des années 1960, le président Reagan a autorisé la mise en place d’une Station spatiale internationale (ISS). L’ISS permet l’étude des conditions de vie humaine dans l’espace et la réalisation d’expériences utiles à la vie terrestre pour un coût total de 150 Md$. Elle fédère dans un projet d’envergure les Américains, les Russes, les Japonais, les Canadiens et les Européens tandis que des astronautes de plus de 15 nationalités y ont déjà travaillé. Le Français Thomas Pesquet en est l’un des exemples les plus emblématiques.
Ces coopérations dans l’espace exercent un effet d’entraînement en renforçant l’intégration continentale. C’est pourquoi l’Union européenne amplifie sa valeur ajoutée en matière de politique spatiale. Les Européens mutualisent les investissements, les énergies et les territoires exigés pour acquérir leur indépendance spatiale. Créée en 1975, l’Agence spatiale européenne (ESA) collabore avec les agences nationales. Elle se donne des projets souverains comme le réseau Galileo, qui ambitionne la mise en place d’un système de positionnement et datation autonome pour couvrir le monde entier à l’image du GPS américain. Cette stratégie spatiale repose sur toute une architecture industrielle de haute technologie, où se détache la co-entreprise ArianeGroup, d’Airbus et Safran, chargée de la mise en place du lanceur Ariane 6.
Toutefois, la militarisation, la privatisation et l’exploration de l’espace en bouleverseront la géopolitique au XXIe siècle.
Malgré les traités pacifistes, les puissances spatiales sont tentées de militariser l’espace. Dans un contexte de compétition stratégique accrue, la France prend acte des enjeux militaires du spatial. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale affirmait déjà en 2012 : « la surveillance de l’espace est devenue un grand enjeu civil et militaire ». En 2017, la France a réagi vivement à un l’activisme suspect d’un engin russe sur le satellite franco-italien de défense Athena-Fidus. Veillant à sa sécurité, Paris a même impulsé la création du commandement de l’espace (CDE) en 2019 basé à Toulouse pour « disposer d’une défense spatiale renforcée ». Ce renforcement des capacités de défense spatiale se généralise au point d’augurer d’une militarisation accrue de l’espace.
En parallèle, les acteurs privés recherchent des relais de croissance au point de bouleverser la géopolitique de l’espace. Car l’espace offre plusieurs perspectives de développement qui peuvent apparaître attractives pour des entrepreneurs visionnaires. Le marché satellitaire, l’exploitation des ressources, voire, le tourisme spatial sont autant de segments de marché potentiels qui pourraient s’ouvrir avec une baisse des coûts. En 2018, pour une campagne marketing, l’entrepreneur Elon Musk avait envoyé une voiture Tesla Roadster en orbite à l’occasion du lancement inaugural d’une fusée Falcon Heavy de SpaceX. Ces initiatives dérégulées laissent craindre une privatisation accrue de l’espace au service des intérêts économiques des plus grandes multinationales.
Surtout, l’espace entretient le désir d’exploration - sinon de salut - d’une humanité confrontée aux risques climatiques. De plus en plus d’organismes privés ou publics cherchent à préparer une éventuelle exploration de Mars. Les Américains sont les plus avancés dans ces initiatives interplanétaires de découverte de la planète rouge par des robots, puis des humains. Depuis son arrivée sur Mars en 2012, le robot Curiosity de la NASA en documente les caractéristiques géophysiques. Comme le montre le magazine Usbek et Rica, des simulations terrestres permettent l’étude de la psychologie humaine à huis clos (Hawaï, Utah). Toutes ces tentatives font écho au discours d’investiture démocrate de l’ancien président John Fitzgerald Kennedy en 1960 : « nous nous trouvons aujourd’hui au bord d’une nouvelle frontière ». Reste encore à savoir si les hommes auront à la franchir de gré ou de force.
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Source image : Le Figaro
Source infographie : European Monitoring Center for Drugs and Drug addiction
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