Arménie x Azerbaïdjan – Le Haut-Karabakh plongé dans la guerre et les rivalités
Situé dans le Caucase, le Haut-Karabakh est une région disputée qui se retrouve au centre de rivalités historiques. Le conflit armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan change de dimension avec l’implication grandissante des puissances régionales. Les tentatives de dialogue initiées restent inefficaces pour engager une désescalade réelle.
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Situé dans le Caucase, le Haut-Karabakh est une région disputée qui se retrouve au centre de rivalités historiques.
Le Haut-Karabakh occupe une place stratégique dans le Caucase entre les espaces russe, turc et iranien. Ce territoire montagneux et boisé est un des berceaux de la grande Arménie : il est peuplé d’une majorité d’Arméniens comme le rappelle l’expert Tigrane Yégavian dans Le Dessous des Cartes. À la suite de la révolution soviétique de 1917, le « haut jardin noir » est octroyé par Moscou à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. En 1921, Joseph Staline, alors Commissaire aux nationalités, décide de rattacher ce territoire à l’Azerbaïdjan, provoquant l’indignation des Arméniens. L’un des objectifs de Staline est de satisfaire les Azéris turcophones pour gagner les faveurs des nationalistes turcs dont Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République de Turquie en 1923.
L’effondrement de l’URSS donne aux populations du Haut-Karabakh l’espoir d’accéder à l’indépendance. La communauté arménienne établie dans cette enclave se soulève pour s’émanciper du rattachement soviétique. En 1988, les habitants d’Erevan et de Stepanakert manifestent pour revendiquer l’indépendance du Haut-Karabakh. Ces exigences indépendantistes se soldent par de violents pogroms qui sont menés contre les 500 000 Arméniens vivant en Azerbaïdjan, lesquels se retrouvent contraints à l’exil. Si la République du Haut-Karabakh est proclamée en 1991, elle n’est reconnue par aucun État membre de l’ONU. En guise de représailles, l’Azerbaïdjan déclenche même des opérations militaires jusqu’au cessez-le-feu de 1994. Le bilan de la guerre de 1991 à 1994 est de 30 000 morts et 1 million de déplacés.
Dans ce contexte, le conflit larvé entre Azerbaïdjan et Arménie enregistre des résurgences d’intensité variable. Les souvenirs douloureux et les rancœurs réciproques s’inscrivent en profondeur dans les mémoires locales. Cet antagonisme entre Bakou et Erevan sur le Haut-Karabakh reste latent comme l’attestent les épisodes d’affrontements sporadiques. Par exemple, en 2016, le conflit est réactivé dans une « guerre des 4 jours » avec pas moins de 20 000 soldats présents de chaque côté de la ligne de front selon Thomas de Waal, analyste au Carnegie Endowment for International Peace. Cette instabilité chronique justifie une présence militaire accrue de la part des autorités de Stepanakert, ville majeure du Haut-Karabakh.
Le conflit armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan change de dimension avec l’implication grandissante des puissances régionales.
Aujourd’hui, la guerre au Haut-Karabakh fait de nouveau rage au point de causer des victimes civiles. S’appuyant sur sa rente pétrolière, l’Azerbaïdjan a pu renforcer son armée jusqu’à atteindre une prédominance. De violents affrontements éclatent le 27 septembre 2020 dans le Haut-Karabakh entre forces azerbaïdjanaises et séparatistes arméniens. Les bombardements de grandes villes ont de lourdes conséquences sur les civils. Selon les autorités séparatistes, la moitié des 140 000 habitants ont été contraints de se déplacer. Plusieurs semaines de conflit se soldent par près de 500 morts dont environ 60 civils. Grand reporter pour France 2, Maryse Burgot décrit des habitants « sous la terreur » vivant « sous des explosions continues ».
Cette guerre meurtrière cristallise aussi la rivalité entre la Turquie et la Russie. Après la Syrie et la Libye, le Haut-Karabakh représente un nouveau terrain du rapport de force entre Ankara et Moscou. Car la Turquie d’Erdogan soutient l’Azerbaïdjan, considéré comme un pays « frère » contre l’ennemi arménien. Pour appuyer l’armée azerbaïdjanaise, elle a acheminé 800 miliciens syriens, parmi lesquels des éléments djihadistes. La Russie est ainsi placée dans une position compliquée. Même si elle penche pour l’Arménie, pays chrétien membre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), la Russie entretient un rapport tendu avec le président pro-européen Nikol Pachinian. En même temps, elle cherche à maintenir des relations amicales avec Bakou du fait de ses richesses en hydrocarbures.
Des puissances voisines s’ingèrent dans le conflit au point de le transformer en foyer de tensions régionales. En effet, Israël et l’Iran s’opposent aussi à travers ce champ de bataille. Israël entreprend de transformer l’Azerbaïdjan en point d’appui contre son ennemi iranien. Tel Aviv a d’ores et déjà vendu 5 Md$ d’armes à Bakou selon l’institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Il lui procure des drones de haute technologie, dont les « kamikazes » IAI Harop, mais aussi des équipements électroniques à usage militaire. Face à ces stratégies, l’Iran soutient l’Arménie en raison de liens historiques étroits mais aussi pour atténuer les risques de soulèvement de ses minorités : 15 millions d’Azéris vivent au nord-ouest de l’Iran.
Les tentatives de dialogue initiées restent inefficaces pour engager une désescalade réelle.
Les initiatives visant à apaiser le conflit entre Erevan et Bakou apparaissent inefficaces. En 1992, le groupe de Minsk est créé afin de faciliter la résolution du conflit. Coprésidé par la France, la Russie et les États-Unis, le groupe peine à trouver des solutions face à deux positions divergentes. L’Arménie revendique le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes tandis que l’Azerbaïdjan déclare agir au nom de son intégrité territoriale. Aujourd’hui, la Russie semble avoir pris le leardership du groupe, comme en témoigne la réunion début octobre entre les ministres des affaires étrangères arméniens, azerbaïdjanais et russes à Moscou. Cette rencontre au sommet a débouché sur un cessez-le-feu qui n’a été effectif que moins d’une journée…
La position radicale adoptée par l’Azerbaïdjan et la Turquie laisse envisager deux scénarii majeurs. Selon Hubert Védrine et Pascal Boniface, le premier scénario est celui d’un statu quo renouvelé entre Bakou et Erevan après les affrontements actuels comme après les heurts de 2016 (Atlas des crises et des conflits). Le deuxième scénario verrait une importance accrue de la Russie dont le rôle d’arbitre dans son « étranger proche » a été mis à mal tant en Biélorussie qu’au Kirghizistan. Selon Gérard Chaliand, géostratège français, « la dimension passionnelle, de part et d’autre, l’aura emporté, laissant Moscou maître du jeu ». Par une médiation réussie dans le Caucase, Moscou pourrait réaffirmer sa mainmise dans la sous-région.