Europe x Islande - Les conquêtes des Vikings
Située aux marges de l’Arctique, l’Islande fait preuve d’une grande résilience face aux crises contemporaines. Elle se positionne comme un pays d’avant-garde exerçant une influence bien supérieure à ses moyens. Ainsi, l’Islande occupe une place croissante dans les géostratégies des grandes puissances.
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Située aux marges de l’Arctique, l’Islande fait preuve d’une grande résilience face aux crises contemporaines.
L’Islande est une île volcanique occupant une position privilégiée entre l’Amérique et l’Europe. Elle est localisée dans un espace stratégique entre l’Atlantique nord et l’océan glacial Arctique où passe le cercle polaire. Au plus profond de l’hiver, elle subit donc un climat quasi-polaire et des nuits de près de 20 heures. L’Islande couvre près de 100 000 km² et dispose d’une zone économique exclusive de 750 000 km² aux riches ressources halieutiques. Ce territoire original la constitue comme un lieu de passage des routes du nord-ouest, et davantage encore du nord-est, dont l’ouverture progressive causée par le réchauffement climatique permettrait de mieux relier l’Asie et l’Europe.
Ces conditions géographiques et climatiques difficiles ont été transformées en atout par les Islandais. En effet, les Islandais ont utilisé leur double appartenance, à l’Amérique et à l’Europe, pour se développer au point d’atteindre un PIB/habitant de plus de 52 000$ en PPA (loin devant la France). Ce développement s’appuie sur une économie de plus en plus diversifiée avec la pêche, le tourisme et les énergies renouvelables (hydroélectricité et géothermie). Avec à peine 350 000 habitants, la faiblesse numérique de la population islandaise est compensée par « l’esprit d’entreprise qui semble quasi inné chez les Islandais » selon un rapport du Sénat français.
Ainsi, l’Islande atteste d’une grande résilience aux crises qui se multiplient dans le monde contemporain. Face à la crise de 2008, l’Islande a enregistré une correction brutale de son économie tant le secteur financier était alors hypertrophié : le bilan des 3 principales banques islandaises (Kaupthing, Landbanki et Glitnir) excédait 10 fois le PIB du pays. La relance islandaise est passée par la nationalisation des banques et la responsabilisation des banquiers. Aujourd’hui, la pandémie de coronavirus n’a guère eu d’impact sanitaire majeur en Islande avec seulement 10 morts. Le gouvernement de Katrín Jakobsdóttir a exécuté une stratégie gagnante combinant dépistages massifs, mise en quarantaine et distanciation sociale.
Elle se positionne comme un pays d’avant-garde exerçant une influence bien supérieure à ses moyens.
L’Islande tente de développer une économie d’avant-garde en s’appuyant sur ses points forts. La tendance à la digitalisation des échanges n’a fait que se confirmer pendant l’épisode de confinement généralisé de début 2020. Dans ce contexte, l’Islande poursuit son repositionnement en tant que centre de stockage des données numériques de l’Internet. Son climat froid et son mix énergétique 100% renouvelable représentent une opportunité pour les secteurs énergivores comme la gestion des serveurs informatiques. Des entreprises multinationales comme Verne Global, Advania et Etix Everywhere installent de plus en plus de « data centers » sur le territoire. Plusieurs d’entre elles misent sur le minage de cryptomonnaies pour connaître une croissance exponentielle à moyen terme.
En outre, l’Islande se singularise par un rayonnement culturel dépassant ses moyens limités. Les artistes islandais doivent s’exporter étant donnée la faiblesse numérique de l’audience nationale. La scène musicale atteint une large notoriété dans la pop (Björk), le métal (Hatari) voire l’électro (GusGus). Objet de fierté nationale, la littérature est aussi un outil d’influence au service du pays. La célébrité des sagas des Vikings a été complétée par des créations contemporaines dotées également d’une aura internationale. Auteur de Station atomique, l’intellectuel Halldor Laxness a reçu le prix Nobel de littérature en 1955 tandis que le polar islandais s’affirme aujourd’hui comme genre à part entière avec les textes d’Arnaldur Indriðason. Le rayonnement culturel islandais propage l’image d’un pays ouvert et créatif.
Ainsi, l’Islande tire parti d’une image avant-gardiste qui est mise au service de son influence diplomatique. Elle table sur des maîtres-mots essentiels à la tenue de la société dans son ensemble : l’égalité et le bonheur. Au-delà du symbole de l’élection de la première femme présidente du monde (Vigdís Finnbogadóttir en 1980), l’Islande domine les classements internationaux en matière d’égalité des genres. Pendant le mouvement #MeToo, elle a voté une loi imposant aux employeurs l’égalité salariale entre les hommes et les femmes sous peine d’amendes journalières. De plus, elle se place 4ème au classement du bonheur selon World Happiness Report du fait de la qualité des institutions et du degré d’autonomie laissé aux citoyens. La diplomatie de l’Islande promeut ce modèle nordique dans ses institutions d’appartenance.
Ainsi, l’Islande occupe une place croissante dans les géostratégies des grandes puissances.
Depuis la guerre froide, les États-Unis ont cherché à instrumentaliser l’Islande en en faisant un relais de leur puissance. Choisissant le camp occidental, elle fait partie des membres fondateurs de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en 1949. Comme elle n’a pas entretenu de force armée significative, elle a compté sur la sécurité américaine qu’accorde la base de Keflavik, investie par les Américains entre 1951 et 2006. L’Arctique devient un enjeu stratégique croissant pour ses ressources et ses routes au point qu’il s’impose comme « l’arrière-cour des États-Unis d’un point de vue stratégique » pour Damien Degeorges, chercheur associé à l’IFRI. En 2019, les États-Unis ont renforcé leur relation avec le pays par plusieurs visites gouvernementales.
L’Union européenne (UE) est restée un partenaire privilégié que l’Islande se refuse à intégrer. En effet, Reykjavik dispose d’une position stratégique, d’un système démocratique et d’un potentiel économique, c’est-à-dire qu’elle présente des caractéristiques attractives pour l’UE des années 2000, alors en quête d’élargissement. Elle suit d’ores et déjà près de 70% des règlementations européennes parce qu’elle appartient à l’espace Schengen et à l’Espace économique européen (EEE). Arguant de sa souveraineté, elle refuse une intégration renforcée qui soumettrait son secteur de la pêche (morue, maquereaux) aux quotas européens. Le regain d’intérêt pour cette région polaire ne pourra que relancer les initiatives européennes envers l’Islande.
Contre ses appartenances géographiques, l’Islande s’est surtout ouverte à la Chine, dont l’appétit pour l’Arctique s’exacerbe. Elle fait figure de point d’appui central pour la pénétration chinoise dans la région pour la « route de la soie polaire ». L’activisme de Pékin utilise de nombreux leviers dont des investissements financiers, de la recherche scientifique et des accords commerciaux. Pour sortir de sa crise, pendant les années 2010, l’Islande a signé 6 accords de coopération avec la Chine dont un traité de libre-échange entré en vigueur en 2014. Ce rapprochement entre les deux États fut un signal fort des ambitions chinoises en Arctique. Aujourd’hui, les géostratégies de trois grandes puissances mondiales témoignent d’un renversement historique. Alors que les Vikings avaient conquis le monde, le monde cherche désormais à conquérir les Vikings.