Prospective x États-Unis – Les États-Unis dans le monde en 2050, vers la chute de l’aigle ?
D’ici 2050, les États-Unis conforteront leur maîtrise des océans tout en confortant leur hégémonie sur le continent américain. Ce repositionnement stratégique s’effectuera au prix d’un désengagement des théâtres européens et moyen-orientaux. Dans leurs futurs engagements extérieurs, les États-Unis viseront en priorité l’endiguement des rivaux asiatiques et la conquête de nouvelles frontières.
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D’ici 2050, les États-Unis conforteront leur maîtrise des océans tout en confortant leur hégémonie sur le continent américain.
Les États-Unis confirmeront leur statut de thalassocratie en renouant avec leur tradition stratégique. Au terme du XIXe siècle, l’officier de marine et historien américain Alfred Mahan soulignait les atouts indispensables pour la conquête de la suprématie navale dans une stratégie de puissance mondiale (The influence of Sea Power upon history: 1660 – 1783). Les dirigeants Américains du XXIe siècle se réapproprieront son héritage pour maintenir leur domination des espaces maritimes. L’US Navy continuera d’avoir pour mission primordiale la surveillance et le contrôle des points de passage critiques pour les échanges commerciaux comme les détroits (Malacca, Bab el-Mandeb, Ormuz) et les canaux (Suez, Beagle, Panama). Ses groupes aéronavals (CVBG), ses bases militaires et ses facilités portuaires recevront d’importants investissements de la part de l’exécutif américain.
L’ampleur de la puissance des États-Unis soumettra les autres nations américaines. Dans les décennies à venir, l’économie américaine enregistrera une croissance soutenue sous les effets conjuguées de la procréation, de l’immigration et de l’innovation. Elle exercera une forte attractivité sur ses voisins immédiats en Amérique du nord (Mexique, Canada). Entré en vigueur en 2020, l’accord commercial AEUMC constituera le socle d’une dynamique d’approfondissement jusqu’à devenir une union douanière, économique et monétaire. Les États-Unis prolongeront dans les Amériques cette stratégie active tendant à imposer leur modèle économique. La promotion du capitalisme passera par la mise en avant des réussites colombienne et chilienne tandis que l’affaiblissement des modèles alternatifs s’illustrera par les échecs cubain et vénézuélien.
Les États-Unis établiront un glacis dans l’Arctique qui deviendra un espace d’expression des rivalités mondiales. Sous la pression du réchauffement climatique, la région arctique sera transformée par l’ouverture de nouvelles routes maritimes (passages du Nord-est et du Nord-ouest) et l’accessibilité de gisements (hydrocarbures, minerais). Les États-Unis seront fortement tentés d’y établir un glacis protecteur pour sécuriser leur territoire et leurs approvisionnements. Ils useront ainsi des modalités diplomatiques de « soft power » dont ils disposent dans le cadre du Conseil de l’Arctique. Mais, ils mettront aussi en œuvre leur « hard power » en prépositionnant des forces à partir de l’Alaska et de leur base de Thulé au Groenland.
Ce repositionnement stratégique s’effectuera au prix d’un désengagement des théâtres européens et moyen-orientaux.
L’écart entre les États-Unis d’Amérique et l’Europe atteindra un point de rupture avec la réalisation de la souveraineté européenne. Au début du XXIe siècle, les Américains et les Européens prennent de plus en plus conscience de cette tendance à « l’inéluctable découplage » selon le général français Vincent Desportes. Pour la chercheuse polonaise Justina Gotkowska : « les États-Unis laisseront à l’Europe le soin de régler crises et conflits dans les pays du voisinage européen » (OSW Commentary, août 2020). Ainsi, dans les années 2020, la démographie et l’axiologie américaines ne trouvent plus autant d’échos en Europe que pendant l’après-guerre au XXe siècle. Ce découplage se traduira en refus croissant de la tutelle américaine avec la revendication de « souveraineté européenne » que réaliseront les institutions du Vieux continent.
Focalisés sur d’autres régions, les États-Unis se retireront d’un Proche et Moyen-Orient (PMO) dévasté par le chaos. Dans un espace fragmenté par des décennies d’antagonismes, les guerres, les conflits et les tensions n’auront de cesse de s’accroître au détriment des populations civiles. Les années 2020 et 2030 verront l’essor inexorable de puissances régionales ayant des stratégies d’expansion affirmées comme l’Iran, la Turquie, l’Arabie Saoudite voire le Qatar. Face à ces émergences, les États-Unis renforceront leur soutien à Israël en raison des représentations religieuses des Évangéliques américains. Il s’agira ainsi de consolider une citadelle autour de Jérusalem, ville « qui a la valeur qu’on lui donne » selon le géopolitologue Frédéric Encel (Mon dictionnaire géopolitique).
Dans leurs futurs engagements extérieurs, les États-Unis viseront en priorité l’endiguement des rivaux asiatiques et l’investissement vers de nouvelles frontières.
Les États-Unis auront à faire face à l’essor des puissances asiatiques qui pourront leur être hostiles. Dans les années 2020, les plus grands spécialistes internationaux constatent l’essor de la rivalité sino-américaine dans tous les domaines et sur tous les théâtres. Si l’Américain Graham Allison insiste sur les mécanismes pour déminer le dangereux « piège de Thucydide » (Destined for War), le Singapourien Kishore Mahbubani souligne l’enjeu de compréhension mutuelle entre les superpuissances (Has China Won?). Cela étant, la patience stratégique de la China l’aura poussée à tisser des liens étroits dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), incluant la Russie, et des initiatives des routes de la soie (BRI). La constitution de ce duo sino-russe suscitera une méfiance accrue des États-Unis.
Ainsi, les États-Unis renforceront leurs alliances sur le continent asiatique suivant une approche d’endiguement. Cette orientation stratégique s’inscrira dans le cadre d’un programme intégré de « new containment ». Washington s’appuiera à l’évidence sur ses relais historiques comme le Japon, la Corée du Sud, les Philippines, l’Australie et la Nouvelle-Zélande au sein de la zone cruciale de l’Indopacifique, espace auquel il aura donné toute sa portée géostratégique. En complément, il fournira des efforts plus prononcés pour quadriller l’océan Indien en augmentant sa présence militaire à Singapour, à Abou Dhabi, à Djibouti et à Diego Garcia. Cette militarisation croissante de l’Indopacifique laisse présager des affrontements sporadiques entre les camps en présence sur les principaux points chauds.
Les États-Unis entreprendront de se repositionner sur les nouvelles frontières de la mondialisation. De nouveaux marchés à fort potentiel apparaîtront sur le continent africain sous la pression démographique et le développement économique. Car la population africaine pourra compter de l’ordre de 2,5 milliards d’habitants en 2050 selon la division population de l’ONU. En conséquence, le continent africain deviendra l’espace des grandes rivalités surtout dans les grandes nations de la zone anglophone, comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya ou l’Ethiopie, où les États-Unis chercheront à s’implanter davantage par opportunisme. Ils activeront par leur force de frappe économique en investissant dans le secteur privé avec l’organisme US International Development Finance Corporation (US IDFC). C’est pourquoi le XXIe siècle géopolitique ne sera ni asiatique, ni américain, mais africain.