Maroc x Futur – Le lion africain
09/04/2023
Depuis les années 2000, par sa stratégie ambitieuse, le Maroc acquiert un poids géopolitique croissant. Toutefois, il accumule les fragmentations et les tensions à toutes les échelles géographiques. Si le Maroc compte s’imposer comme une puissance africaine majeure au XXIe siècle, sa trajectoire future demeure incertaine.
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Depuis les années 2000, par sa stratégie ambitieuse, le Maroc acquiert un poids géopolitique croissant.
Le Maroc s’ancre dans son héritage historique pour fonder ses ambitions de puissance. S’imposant dès 789 avec Idriss 1er, la dynastie des Idrissides règne pendant près de deux siècles sur la pointe occidentale de l’Afrique du Nord. Cette dynastie arabo-musulmane parvient à coaliser des tribus disparates, arabes et berbères, au sein d’une nation unifiée. Conscientes de leur mission, les dynasties successives, dont celle des Almoravides (XIe et XIIe siècles), poursuivent l’unification territoriale du Maroc. Malgré la reconquête chrétienne de la péninsule ibérique (bataille de Las Navas de Tolosas, 1212), la dynastie alaouite renforce le royaume chérifien. L’histoire du Maroc consacre une figure emblématique, le sultan Moulay Ismaïl, qui réforme le système politique en intégrant à la vie politique l’aristocratie religieuse (tournant du XVIIIe siècle). Dépassant les protectorats français et espagnols de 1912, le Maroc contemporain s’appuie sur son histoire pour entretenir des relations avec des pays européens du bassin méditerranéen, comme l’Espagne et la France.
Le Maroc bénéficie aussi d’une position géostratégique qui le prédispose à une intégration maîtrisée dans la mondialisation. Il est situé au nord-ouest de l’Afrique, au sud du détroit de Gibraltar, ce qui lui donne des frontières avec l’Espagne, la Mauritanie, l’Algérie et le Sahara occidental. Il dispose ainsi d’une ouverture bi-maritime et bicontinentale. En effet, la double façade maritime du Maroc, sur l’Atlantique et la Méditerranée, lui procure des points d’ancrage utiles aux échanges mondialisés du commerce maritime. Par exemple, la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Tanger constitue un projet intégré qui s’affirme comme l’un des principaux hubs logistiques nord-africain. Cette ZIP est portée par une agence privée, Tanger Med Special Agency (TMSA), qui est placée sous la surveillance d'acteurs du pouvoir marocain. Tanger Med génère 14 Md$ de chiffre d’affaires et traite 9 M de conteneurs (EVP) chaque année. Dans une stratégie de puissance continentale, cette expertise de ZIP a vocation à s’exporter auprès de pays sub-sahariens, dont le Cameroun.
Dans ce contexte, le Maroc entretient son soft power pour développer son attractivité dans toutes les directions. Avec ses façades maritimes, son relief diversifié, son patrimoine culturel, sa tradition hospitalière et sa stabilité politique, le Maroc est devenu un pays attractif pour le tourisme. Première puissance touristique d’Afrique du Nord, devant l’Egypte, son industrie touristique pèse 15% du produit intérieur brut (PIB). Marrakech constitue un exemple emblématique de cette attractivité pour les Européens. Les autorités marocaines s’organisent pour faire valoir leurs atouts, anciens ou contemporains, avec le plus grand rayonnement possible. Ainsi, le Maroc valorise son patrimoine et déploie sa diplomatie en parvenant à faire classer le couscous comme patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2020, dans une action conjointe avec l’Algérie, la Tunisie et la Mauritanie. En outre, le Maroc organise depuis 2001 le festival international du film de Marrakech, avec une ambition mondiale de plus en plus assumée.
Toutefois, il accumule les fragmentations et les tensions à toutes les échelles géographiques.
Véritable mosaïque ethnoculturelle, le Maroc subit ses fractures culturelles. En effet, la cohabitation entre groupes arabo-musulmans et groupes berbères est une source de tensions pluriséculaires. L’un des exemples emblématiques de ces tensions se trouve dans la langue amazigh (également connue sous le nom de berbère). L’amazigh est la langue maternelle de nombreux Marocains, notamment dans les zones rurales du pays. Cependant, cette langue reste longtemps marginalisée tant dans l'enseignement que dans la vie publique. Si la nouvelle Constitution de 2011 reconnaît l'amazigh comme langue officielle du pays, avec l’arabe, le débat sur sa place reste tendu aujourd’hui. Le réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch représente ces tensions sociétales dans son film Razzia (2017). Après des revendications des communautés berbères, critiquant la marginalisation de l’amazigh dans le programme scolaire, le ministère de l’éducation décide d’intégrer l’amazigh dans le programme scolaire en 2021. Cette lutte pour la reconnaissance linguistique figure les tensions internes dans la société marocaine.
Ces fractures culturelles du Maroc se conjuguent avec des inégalités socio-spatiales qui minent la cohésion du pays. Le clivage entre les villes et les campagnes apparaît d’une dimension significative. Selon l'UNICEF, environ 27% de la population rurale au Maroc n'a pas accès à l'eau potable, contre seulement 1% de la population urbaine. Cette disparité s'explique en partie par le manque d'infrastructures dans les zones rurales, ainsi que par les coûts élevés d'accès à l'eau potable pour les ménages les plus pauvres. En complément, les inégalités intra-urbaines s’attestent dans les grandes villes en développement, dont Casablanca, « future capitale africaine du business » (Jeune Afrique) ou « smart city » (Le Matin). Pour le romancier Mahi Binebine, dans Les étoiles de Sidi Moumen (2010), Sidi Moumen est le plus grand bidonville du pays, « un enfer terrestre qui a l’odeur des décharges publiques devenues terrains de foot ». Ces espaces urbains en perdition mettent à nu les inégalités sociales et engendrent des cycles de violences.
Le Maroc demeure aussi entravé par ses relations tendues avec les pays de son environnement régional. Les relations n’ont jamais été aussi dégradées depuis la guerre des sables qui oppose l’Algérie et le Maroc (1963-1964) autour du conflit historique du Sahara occidental. En effet, l’année 2021 traduit une escalade généralisée des tensions entre le Maroc et l’Algérie. Le 24 août 2021 marque la rupture par l’Algérie des relations diplomatiques officielles entre les deux pays : contentieux sur le Sahara occidental, rapprochement du Maroc avec Israël et rivalité pour le leadership régional expliquent cette rupture unilatérale. Confirmant cette tendance belligène, Le Monde estime qu’existe « le risque en 2022 d’une guerre entre l'Algérie et le Maroc » (2021). La même année, l'Algérie ferme le gazoduc Maghreb-Europe qui prend le Maroc pour pays de transit. Le Maroc et l’Algérie semblent avoir atteint un point de non-retour ce qui ne peut qu’être défavorable aux ambitions de développement des deux voisins du Maghreb.
Si le Maroc compte s’imposer comme une puissance africaine majeure au XXIe siècle, sa trajectoire future demeure incertaine.
À court terme, la question migratoire constitue un frein à l'émergence durable du Maroc. Depuis la crise migratoire qui frappe l’Union Européenne depuis 2015, le Maroc joue un rôle de plaque tournante des migrations c’est-à-dire de nœud de transit des flux migratoires de l’Afrique vers l’Europe. Territoires espagnols ayant une frontière terre avec le Maroc, les exclaves de Ceuta et Melilla attirent des migrants africains en quête d’une vie meilleure. Si Rabat joue son rôle de glacis migratoire, il instrumentalise aussi les migrants comme le révèle la crise avec Madrid en 2021. En réaction à la visite espagnole du chef du Front Polisario, mouvement indépendantiste du Sahara occidental, Rabat favorise le passage de 10 000 migrants vers les exclaves espagnoles. Pour le ministre des affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, « le Maroc n’a pas pour vocation d’être le gendarme de l’Europe, ni son concierge ». Cette instrumentalisation migratoire perturbe les relations avec les voisins européens, au risque d’en fragiliser le partenariat diplomatique.
À moyen terme, le Maroc a l’ambition de s’imposer comme modèle émergent de la transition écologique. D'une part, pour s’imposer dans l’agenda des conférences internationales, le Maroc mobilise le happening politique, soit l’organisation d’événements à portée internationale. C’est ce dont témoignent le forum mondial sur l’eau (1997) et la COP22 (2016), tous deux organisés dans la ville de Marrakech. D’autre part, le Maroc veut se distinguer de puissances comparables en s’érigeant en champion de l’énergie verte. En 2015, il lance une stratégie nationale de la transition énergétique visant à produire plus de la moitié de son électricité avec des technologies bas carbone d’ici 2030. Déployant cette stratégie ambitieuse, le Maroc a construit le plus grand parc éolien en Afrique à Tarfaya (2014) et le plus grand parc solaire en Afrique à Ouarzazate (2016). Au-delà des controverses sur ces projets d’infrastructures, cette transition constitue une référence crédible pour des pays comparables.
À long terme, le Maroc est confronté à un double défi de modernisation et de pacification. La modernisation du Maroc est un processus au long cours qui s’enracine dans la nécessité politique de limiter les inégalités socio-territoriales. En effet, le gouvernement du roi Mohammed VI tente de réaménager le territoire national en investissant son front méridional, ce qui permettrait aussi de contrecarrer les velléités indépendantistes du Front Polisario. Des projets massifs d’infrastructures sont en déploiement pour arrimer les provinces du Sud du Maroc, ce qu'illustrent l’autoroute express Tiznit-Laâyoune-Dakhla et le port en eaux profondes Dakhla Atlantique. Le Maroc fait aussi face au défi de la pacification sociale et diplomatique. Sociale, tant le pays est gagné par des éléments islamistes radicaux affiliés à Al-Qaeda et l’État islamique. Diplomatique, puisque l’apaisement des relations avec son voisinage, espagnol et algérien, sont des conditions préalables à son émergence durable. Sur toutes les temporalités, le Maroc rencontre des défis à la mesure de son potentiel.
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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Doha Yahyi
Source image : Le Monde
Source carte : Matthieu Alfré et Christophe Chabert - auteurs du manuel Le monde en cartes : méthodologie de la cartographie (2023) - Mind the Map
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