Europe x RU – « Oh **UK! »
Depuis les élections de décembre 2019, Boris Johnson dispose d’un mandat clair pour mener le Brexit à son terme. Si le cadre de la sortie de l’Union européenne a été établi, les termes précis d’un accord commercial restent à négocier. Ainsi, le Brexit pourrait isoler davantage le Royaume-Uni et inciter l’Union européenne à rénover son projet politique.
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Depuis les élections de décembre 2019, Boris Johnson dispose d’un mandat clair pour mener le Brexit à son terme.
Après s’être tenu à distance de l’intégration européenne, le Royaume-Uni (RU) a rejoint le projet politique en posant ses conditions. Il est devenu membre de la Communauté économique européenne (CEE) en 1973. Selon Robin Niblett, le directeur du cercle de réflexion britannique Chatham House, le RU « n’est pas entré dans l’union avec les mêmes impératifs politiques » que la France et l’Allemagne. Ceci explique ses réticences à l’égard de l’intégration renforcée et ses efforts pour obtenir des options de retrait (frontière, monnaie, budget) dans les années 1980 et 1990. Dès 1992, les critiques de l’Union européenne (UE) ont dénoncé la perte de souveraineté et le poids bureaucratique s’abattant sur Londres.
La polycrise européenne a été utilisée par les dirigeants britanniques pour changer les termes de leur adhésion. Dans les années 2010, l’UE a traversé de graves crises causées par la spéculation sur les dettes souveraines, la multiplication de l’immigration clandestine et la propagation de la menace terroriste. C’est dans ces circonstances que l’ancien Premier ministre britannique, le conservateur David Cameron, fut réélu en 2015. Il avait promis d’organiser un référendum sur l’appartenance du RU à l’EU après avoir proposé des réformes structurelles de la communauté européenne. En juin 2016, une campagne politique très polarisante a engendré la victoire du « Leave » sur le « Remain ». David Cameron n’avait alors d’autre option que de démissionner pour laisser place à un « nouveau leadership ».
Les derniers développements du Brexit ont mené au triomphe de Boris Johnson en décembre 2019. Comme successeur de David Cameron, Theresa May a passé 3 ans à négocier un nouvel accord de sortie avec l’UE et à persuader ses partenaires politiques de l’accepter. Confrontée à son incapacité à faire valider l’accord, elle a dû démissionner en juin 2019. C’est à Boris Johnson - dit BoJo - que fut confiée l’immense tâche de finaliser le Brexit. Il a réussi à conclure un accord avec l’UE en octobre. Il a convoqué des élections parlementaires en décembre. La victoire historique des conservateurs avec 43,6% des voix contre 32,2% pour les travaillistes de Corbyn lui octroie un mandat clair pour achever le Brexit en 2020.
Si le cadre de la sortie de l’Union européenne a été établi, les termes précis d’un accord commercial restent à négocier.
Les nouveaux parlementaires britanniques ont accepté l’accord de BoJo pour acter la rupture avec l’UE. Plusieurs points demeurent inchangés dans la dernière version de l’accord entre l’UE et le RU. Les principales modifications concernent la situation applicable à l’Irlande du Nord. Celle-ci et l’Irlande n’auraient pas pu être séparées par une frontière extérieure à l’UE. L’épisode douloureux de guerre civile irlandaise ne devait en aucun cas refaire surface. En synthèse, l’accord prévoit le maintien de l’union douanière avec l’UE et l’application de règles spéciales pour assurer une équité dans les échanges. Il dispose également que la période de transition s’achèvera d’ici le 31 décembre 2020.
Cependant, le processus du Brexit est loin d’être terminé puisque le RU et l’UE doivent encore négocier un accord commercial. Selon le cercle de réflexion britannique UK in a Changing Europe, le RU devrait faire face à la perte de 2,5% de revenu par tête du fait du plan de BoJo. Pour éviter un tel marasme, le Premier ministre a annoncé une stratégie qui n’a pas manqué de susciter la colère des Européens. Il voudrait transformer le RU en « Singapour sur Tamise » en attirant les firmes européennes par le biais d’allègements de taxes et de règlementations. Cette annonce fut loin d’être la meilleure manière d’amorcer les négociations commerciales avec les Européens.
Ainsi, le Brexit pourrait isoler davantage le Royaume-Uni et inciter l’Union européenne à rénover son projet politique.
Même si plusieurs modèles d’association avec l’UE existent, le RU pourrait connaître un « splendide isolement ». D’une part, la négociation d’un accord commercial avec l’UE pourrait se faire au détriment de l’intérêt britannique. Son marché du travail et son commerce extérieur restent dépendants du continent. Londres ne choisira ni l’appartenance à l’Espace économique européen (EEE), comme la Norvège ou l’Islande, ni un accord bilatéral sur le modèle suisse. Car chacune des branches de cette alternative irait de pair avec la liberté de mouvement, ce qui pourrait attiser les craintes d’une immigration massive. D’autre part, la prétendue « relation spéciale » avec les États-Unis ne pourrait être garantie non plus tant la présidence de Donald Trump a « désorienté » le RU selon Steeve Bloomfield de la revue Foreign Affairs (« The not-so-special relationship »).
En réaction au Brexit, l’UE devrait ajuster son projet politique aux besoins nouveaux de ses membres. Le Brexit est un épisode parmi les nombreuses crises que l’UE a dû affronter pendant les années 2010. L’ampleur de cette polycrise a dégradé l’idéal d’une « union sans cesse croissante » entre les pays européens. Cette observation ne devrait pas sonner comme un requiem mais annoncer un appel à l’action. Pour Heinrich August Winkler, un célèbre historien allemand, auteur d’une tribune dans le Berlin Policy Journal, l’objectif poursuivi devrait être « plus modeste que celui d’un État fédéral européen ou une république européenne » (« No ever closer union »). Il plaide pour une « coopération sans cesse croissante entre les États membres » pour faire face aux bouleversements majeurs de la géopolitique mondiale.