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Russie x Ukraine – Le domaine de la guerre s’étend à l’économie

27/08/2023

L'invasion illégale de l'Ukraine par la Russie en 2022 a engendré une guerre économique à l'échelle européenne et mondiale. Cette guerre économique multi-scalaire impose des mesures conjoncturelles et structurelles aux pays rivaux. Elle exacerbe ainsi la fragmentation géopolitique et géoéconomique à l'échelle mondiale pour les années 2020. 

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L'invasion illégale de l'Ukraine par la Russie en 2022 a engendré une guerre économique à l'échelle européenne et mondiale. 

  • L’invasion de l’Ukraine est relancée en 2022 du fait de l'idéologie néo-impérialiste de Vladimir Poutine. La politique néo-impériale menée par la Russie en Ukraine est une politique guidée par l’idée que la souveraineté ukrainienne, actée en 1991, doit être anéantie. En effet, Vladimir Poutine vise le rétablissement de la « mère Russie », pour contrecarrer l’humiliation causée par l’effondrement de l’Union soviétique (1991) et son complexe obsidional face à l’Occident. Ainsi, il cherche à rétablir une sphère d’influence régionale en exerçant une emprise sur son étranger proche, c’est-à-dire les anciens pays satellisés dans l’URSS. En outre, l’accès aux mers chaudes apparaît fondamental dans la doctrine maritime russe depuis Pierre Le Grand (1672-1725). L’accès élargi à la mer Noire, au sud-est de l’Ukraine, est l’une des préoccupations principales de la Russie. La Russie cherche à élargir son domaine maritime afin de maintenir une position géostratégique face à l’OTAN. Dans les années 2000 et 2010, le territoire ukrainien reprend son importance stratégique pour Moscou comme l’atteste l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014. 

  • L'extension du domaine de la guerre s'impose au bloc occidental en 2022. Afin de riposter à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, les pays occidentaux ont mis en place des trains de sanctions. Leur objectif assumé consiste à exercer une pression croissante et multiforme sur le Kremlin. Toutes les sanctions combinées viennent s'ajouter aux mesures déjà imposées à la Russie depuis 2014 à la suite de l'annexion de la Crimée et de l'absence de mise en œuvre des accords de Minsk. Par exemple, l’Union européenne (UE) a adopté en 2023 son onzième train de sanctions à l’encontre de personnalités et d’entités russes étant parties prenantes au conflit (gels d’actifs, restrictions commerciales, limitation d’accès aux services, etc.). L’UE a gelé plus de 20 Md€ d’actifs russes sur son territoire. Avec le G7, elle a bloqué plus de 300 Md€ d’actifs de la banque centrale de Russie. Pour accroître l’isolement financier de la Russie vis-à-vis du système international, des banques russes ont même été déconnectées du système SWIFT, noyau communicationnel des virements bancaires. 

  • Cette guerre économique exerce des impacts tout relatifs sur la Russie en 2023. L’économie russe souffre de ces sanctions, qui ont été plutôt efficaces. Professeur à l’IEP Paris, l’économiste Sergei Guriev considérait en 2022 que « la Russie risque d’entrer dans sa pire récession depuis les années 1990, avec une baisse probable du PIB de 10 % à 11% ». Le pays souffre d’une fuite massive de cerveaux tant 300 000 Russes hautement qualifiés ont quitté le pays en quelques mois après le déclenchement du conflit. Cependant, en dépit de l’effet de ces sanctions, la Russie dispose de ressources qui lui permettent de soutenir son économie. Ses ressources naturelles et ses réserves de change lui ont permis d’amortir le choc des sanctions occidentales. L’économie russe s’est seulement contractée de 2,1% en 2022 selon l’OCDE (OECD Economic Outlook, « A long unwinding road », 2023). Des projections robustes estiment que l’année 2023 pourrait multiplier l’impact des sanctions (Elina Ribakova du Bruegel Institute, « Sanctions against Russia will worsen its poor economic prospects », 2023). 

Cette guerre économique multi-scalaire impose des mesures conjoncturelles et structurelles aux pays rivaux. 

  • Les effets géoéconomiques et géopolitiques de la guerre se propagent sur les marchés et les sociétés dans le monde. Par exemple, l’institut de l’économie allemande de Cologne estime que l’invasion russe de l’Ukraine serait responsable de la perte de 1 600 Md$ de richesse dans le monde en 2022 et 1000 Md$ en 2023. Le conflit a catalysé la dynamique inflationniste qui était déjà présente depuis la reprise post-covid qui avait engorgé les chaînes logistiques. L’étude souligne que le conflit entraîne « des perturbations des chaînes d’approvisionnement dans le monde entier » et que « les prix de l’énergie ont monté en flèche ». En effet, depuis le début du conflit, les prix de l’énergie, des engrais et des céréales ont déjà augmenté de 20% à 30% en France (CESE). Les conséquences sociales sur les populations sont considérables, notamment parce que la déconsommation et la paupérisation aggravent des tensions sociales préexistantes dans les pays européens. 

  • Ainsi, l'UE tente d’opérer un découplage accru vis-à-vis de la Russie. La Commission européenne a décidé de mettre en œuvre un plan global pour desserrer l’étau de la Russie sur les pays membres. Par exemple, elle cherche à assurer sa sécurité énergétique en réduisant sa dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes notamment le gaz. Cette perspective représente un défi tant le gaz russe a représenté jusqu’à 40% des importations européennes au début de l’année 2022. Par la déclinaison du plan REPowerEU, l'UE riposte à l'instrumentalisation de l’énergie faite par Vladimir Poutine. Lancé en mai 2022, le plan REPowerEU vise à construire une sécurité énergétique en aidant l’UE à produire de l’énergie bas carbone, économisant l’énergie et diversifiant ses approvisionnements. Ce plan ambitieux a produit des résultats allant dans le sens d’un découplage énergétique : moins de 8% du gaz européen provient de Russie en 2023 avec une demande de gaz en baisse de 18% entre août 2022 et mars 2023. Au-delà du secteur gazier, des entreprises européennes autrefois installées en Russie décident de quitter ce marché au risque souverain trop élevé. 

  • La Russie cherche et trouve des partenaires alternatifs pour ses affaires étrangères. Depuis 2022, la Russie a multiplié ses liens avec l’Afrique et l’Asie. Sur le continent africain, l’armement, l’énergie et l’agriculture font partie des secteurs d’exportation privilégiés par la Russie. S’agissant des armes, la Russie se fonde sur l’héritage soviétique de soutien aux mouvements nationalistes sur le continent. Elle affirme sa domination avec 40% de parts de marché en 2022, loin devant les États-Unis (16%). Selon Siemon Wezeman, chercheur au Sipri, « le principal client de la Russie en Afrique est de loin l’Algérie. Au sud du Sahara, c’est le Mali qui est en tête ; les autres puissances se sont retirées et la Russie s’est engouffrée dans la brèche ». S’agissant de l’agriculture, la Russie sort de l’accord sur les exportations céréalières de la mer Noire tout en promettant à 6 pays africains la gratuité d’importation (Zimbabwe, Somalie, Erythrée, Mali, Burkina Faso et Centrafrique) au sommet Russie-Afrique (juillet 2023). Les grands émergents asiatiques, eux, privilégient l’énergie fossile de la Russie en soutien à leur croissance démographique et économique. 

Elle exacerbe ainsi la fragmentation géoéconomique et géopolitique à l'échelle mondiale pour les années 2020. 

  • Dans les années 2020, un bloc pro-occidental s’affirme face à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Face à l’agression russe en Ukraine, le noyau dur du bloc occidental, incluant les États-Unis et l'UE, se sont affirmés dans ce conflit par leurs aides militaires, leurs appuis économiques et leurs soutiens diplomatiques adressés à l’Ukraine. Cependant un groupe occidental s'élargit en englobant aussi le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud ou encore le Japon. Certains de ces pays présentent des antagonismes latents avec la Russie, comme pour le Japon, qui revendique sa souveraineté sur plusieurs îles de l’archipel des Kouriles, annexées par l’URSS en 1945. Ces pays ont condamné la Russie et soutenu l’Ukraine avec une panoplie de mesures concrètes (fourniture d’équipements défensifs et offensifs, aide humanitaire abondante). Selon les circonstances, ce bloc pro-occidental bénéficie de l’alignement d’autres pays : 141 pays de l’Assemblée générale de l’ONU ont voté pour la résolution du 2 mars 2022 qui déplorait « l’agression » russe contre l’Ukraine. 

  • Un groupe significatif d’États semble limiter ses prises de position pour ménager à la fois les Occidentaux et les Russes. Ce groupe hétéroclite concerne ceux qui se sont abstenus lors du vote de mars 2022 par l’Assemblée générale de l’ONU de la résolution concernée. Ce groupe de pays inclut principalement des pays émergents, comme la Chine, l’Inde et l'Afrique du Sud, ou des pays dépendants de la Russie, comme le Kazakhstan, le Kirghizstan et de nombreux pays africains. Certains d’entre eux réprouvent la position de la Russie sans oser s’opposer ouvertement à elle. Selon Michel Liégeois, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, « la plupart de ces derniers pays n’approuvent pas le recours à la force pour régler les problèmes internationaux », mais « ils ne veulent pas s’aligner sur un bloc occidental ». Alors que le monde occidentalo-centré se transforme, ces pays ménagent leurs positions en veillant à maximiser leur intérêt.   

  • Un bloc pro-russe s’affirme par l'expression d’un soutien inconditionnel à la vision poutinienne des relations internationales. Malgré sa fragilisation par les mesures du bloc pro-occidental, le Kremlin peut toujours compter sur de fidèles alliés. En Europe, la Biélorussie de Loukachenko se tient à ses côtés dans cette guerre. Elle menace de guerre hybride (instrumentalisation de migrants, cyberattaques multiples) ses pays frontaliers, membres de l’OTAN, comme les États baltes et la Pologne. Partageant une vision anti-occidentale et anti-démocratique, d’autres alliés historiques s’affichent aux côtés de la Russie : Cuba, le Venezuela, le Nicaragua, la Corée du Nord, la Syrie et l’Iran appartiennent à ce groupe. Le cas de l'Iran ayant livré des drones rôdeurs (Shahed) depuis fin 2022 illustre l’amplitude du soutien témoigné par le régime du président Raïssi. Il aurait même prévu de fournir du matériel permettant la fabrication d’une usine complète en Russie en 2023. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 bouleverse la géopolitique et la géoéconomie mondiales, et ce, pour longtemps.  

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Margaux Chérifi Brault

Source image : Le Monde

Source carte : Matthieu Alfré et Christophe Chabert / Le monde en cartes : Méthodologie de la cartographie