Biélorussie x Europe – Un dictateur en sursis
Paralysée par la dictature de Loukachenko, la Biélorussie s’enfonce dans une grave crise politique. Les Occidentaux et les Russes cherchent ainsi une sortie de crise pour ce pays à l’interface de leurs zones d’influences. Toujours est-il que la dictature de Loukachenko est entrée dans une période de sursis.
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Paralysée par la dictature de Loukachenko, la Biélorussie s’enfonce dans une grave crise politique.
La Biélorussie est un ex-pays soviétique qui est situé entre l’Union Européenne (UE) et la Russie. En effet, elle est frontalière de pays membres de l’UE comme la Pologne, la Lituanie et la Lettonie mais aussi de l’Ukraine et de la Russie. Ayant accédé à l’indépendance en 1991 à l’occasion de l’effondrement de l’Union soviétique, elle n’a toutefois pas quitté pleinement le giron de Moscou. Elle demeure sous une forte dépendance russe du fait du partenariat privilégié signé en 1994. Elle achète à la Russie du pétrole en franchise de droits qu’elle exporte à prix élevés vers les marchés occidentaux.
Le président Loukachenko y exerce un pouvoir autoritaire durable qui n’est pas assorti de performances économiques. La Biélorussie compte aujourd’hui 9,5 millions d’habitants qui vivent dans un régime politique sclérosé par le président. Alexandre Loukachenko n’a eu de cesse d’être réélu à toutes les élections présidentielles depuis 1994 en étant crédité à chaque suffrage de plus de 80% des voix. Ces résultats politiques ne s’expliquent pourtant pas par des performances économiques. Selon la CIA, l’agriculture est « dépendante des subventions gouvernementales » et l’industrie est « obsolète, inefficace et dépendante des subventions énergétiques de la Russie comme de l’accès préférentiel à ses marchés » (The World Factbook, 2020).
Orchestrée par le pouvoir, la manipulation des élections présidentielles en 2020 a plongé la Biélorussie dans une crise politique. La campagne et le suffrage pour les présidentielles d’août 2020 ont été marquées par des malversations. Emprisonnés ou exilés, trois opposants ont été empêchés de se présenter aux élections. L’un d’entre eux, le vidéaste et dissident Sergueï Tikhanovski, fut arrêté 2 jours après avoir annoncé sa candidature aux présidentielles. Prenant sa suite, sa femme Svetlana prend sa suite non sans subir des empêchements. La victoire annoncée de Loukachenko fait ressortir un résultat « grossièrement falsifié » selon un éditorial du journal Le Monde. Indignés par ce simulacre de démocratie, des manifestants s’insurgent dans tout le pays, ce qui provoque une répression violente.
Les Occidentaux et les Russes cherchent ainsi une sortie de crise pour ce pays à l’interface de leurs zones d’influences.
Défenseurs proclamés des démocraties réelles, les pays occidentaux mêlent sanctions et menaces afin de précipiter la chute du régime. D’une part, l’UE met en œuvre des sanctions individuelles ciblées au prix de craintes de pousser davantage « le régime biélorusse dans les bras de la Russie » pour Pierre Vimont, chercheur à Carnegie Europe. D’autre part, les États-Unis restent dans l’incertitude tant ils avaient amorcé un rapprochement avec Biélorussie par quelques livraisons pétrolières visant desserrer l’étau russe. Washington ne peut plus se permettre de fournir un soutien économique à Loukachenko, ce qui justifie des pressions et menaces de plus en plus assumées.
Centrale pour la résolution de la crise, la Russie dialogue avec l’UE tout en préparant ses troupes. Pour Sim Tack, analyste chez Stratfor, Moscou fait preuve d’une « réaction mesurée » tant que la situation sur le terrain n’aura pas permis de clarifier les rapports de forces politiques à Minsk. Même si Loukachenko s’est rapproché récemment de l’Ouest, Moscou ne peut pas être rassuré par l’absence de remplaçant au dictateur. En outre, alors que les mouvements populaires favorables à une démocratisation politique gênent Moscou, les opposants à Loukachenko ne se sont pas déclarés antirusses. Cette configuration spéciale explique que la Russie ne craigne pas tant un changement de pouvoir en Biélorussie que la perte de l’influence sur Minsk qui lui serait associée.
Toujours est-il que la dictature de Loukachenko est entrée dans une période de sursis.
Trois scénarios majeurs se dégagent pour la résolution de la crise politique biélorusse. Chercheur au Center for Eastern Studies (OSW), Jakub Jakóbowski subordonne tous ces scénarios d’évolution de la crise à l’absence d’intervention directe de la Russie. Il confirme que Moscou n’aurait pas un intérêt évident à marcher sur Minsk tant la proximité avec la population biélorusse compliquerait la gestion politique d’une telle ingérence. Sous cette hypothèse de non-intervention russe, la Biélorussie pourrait connaître « la survie fragile de Loukachenko », « une transition gérée du pouvoir » ou « une révolution ». Aucun scénario ne semble se dégager avec force à l’heure actuelle tant la situation est mouvante.
La crispation actuelle du régime s’apparente à un aveu de faiblesse qui prépare la sortie de Loukachenko. Le dictateur biélorusse a mis en scène son pouvoir en apparaissant vêtu d’un gilet pare-balles et muni d’un fusil d’assaut Kalachnikov. Cette communication martiale s’est traduite de la reprise en main des canaux d’information par l’éviction de nombreux journalistes étrangers. Cependant, la mobilisation n’a fait que se raffermir ces dernières semaines. Si 100 000 personnes au moins s’étaient réunies dans les rues de Minsk fin août, un Conseil de coordination des opposants a été créé pour une transition pacifique. Face à ce conflit de positions, Vladimir Poutine a invité Alexandre Loukachenko pour aborder l’approfondissement de l’union entre leurs pays…
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Source image : The Wall Street Journal
Source carte : Matthieu Alfré et Christophe Chabert (Le monde en carte)
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