Mondialisation x Trafics – Cannabis, crack et coke en stock
Le trafic de drogues illicites enregistre une forte croissance jusqu’à représenter un poids socio-économique. Le circuit logistique des réseaux criminels s’immisce dans toutes les failles de la mondialisation. La lutte contre le trafic de drogues illicites pourrait parvenir à endiguer le phénomène en combinant mieux répression et prévention.
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Le trafic de drogues illicites enregistre une forte croissance jusqu’à représenter un poids socio-économique.
Les drogues constituent un angle pertinent pour mieux comprendre la géopolitique contemporaine. Les drogues sont des substances susceptibles d’altérer le fonctionnement du système neurologique des individus. Elles occupent une telle place dans les échanges commerciaux et dans les conflits politiques que les spécialistes de la géopolitique s’y sont intéressés. Ainsi, l’universitaire Yves Lacoste a rappelé la distinction entre drogues licites (alcool, tabac) et drogues illicites (cannabis, cocaïne, héroïne) dans l’éditorial de la revue Hérodote portant sur La géopolitique des drogues illicites. Il désigne comme « un véritable cancer » cette « expansion géographique et sociale du trafic des drogues illicites dans les dernières décennies du XXe siècle ».
La mondialisation des échanges s’accompagne d’une croissance exponentielle du trafic de drogues illicites. Alors même que la demande est croissante, la réduction des prix signale une augmentation de l’offre présumée des drogues. Le rapport de 2019 de l’office des Nations-Unies contre les drogues et le crime (UNODC) estime que plus de 270 millions de personnes avaient consommé des drogues en 2017. Selon les fonctionnaires internationaux, « le nombre de consommateurs de drogues est maintenant 30% plus élevé qu'en 2009 ». Spécialiste de la géopolitique des drogues, Pierre-Arnaud Chouvy montre que les prix au détail des drogues illicites ont baissé même si les taux de marge restent élevés pour la cocaïne et l’héroïne. Les drogues illicites sont des activités rentables pour les trafiquants.
Ainsi, les drogues illicites exercent un fort impact socio-économique sur les pays consommateurs. Les statisticiens de l’INSEE ont été tenus d’intégrer la valeur des trafics de drogues dans le PIB français en 2018 pour harmoniser leurs données avec leurs partenaires européens. Toutes substances confondues, les trafics représenteraient 3,1 milliards d’euros en 2018. Ce montant doit être mis en balance avec le coût social engendré par les drogues illicites. Professeur d’économie à la Sorbonne et à PSE, Pierre Kopp chiffre le coût social des drogues illicites en France à 8,7 milliards d’euros en 2015 à cause du coût direct (répression, taxation) et du coût indirect (décès, addiction, improductivité). Les drogues illicites ne sont pas des activités rentables pour la collectivité.
Le circuit logistique des réseaux criminels s’immisce dans toutes les failles de la mondialisation.
Les zones de production des drogues illicites prolifèrent dans des pays fragiles et instables. Leur éclatement géographique rend difficiles les tentatives de lutte coordonnée contre l’amont de la chaîne. Pour les dérivés de matières agricoles, la culture de la coca est pratiquée en Amérique latine, notamment en Colombie et au Mexique, tandis que la culture du pavot provient en majorité d’Afghanistan, pays en conflit depuis 1979. Les drogues de synthèse, elles, sont produites sur plusieurs continents, comme l’attestent les cas de la méthamphétamine de Thaïlande et du captagon de Syrie. L’éclatement des zones de production de drogues illicites dans le monde sert l’impunité des trafiquants.
L’acheminement des produits stupéfiants passe par des routes mondialisées où prospèrent les trafics de toutes natures. Des circuits logistiques opaques entretiennent les « polytrafics » suivant l’expression d’Alain Labrousse (Géopolitique des drogues). Dans toutes leurs activités, les trafiquants empruntent les mêmes trajets et s’appuient sur les mêmes réseaux de complicité. Il existe ainsi des hubs logistiques qui profitent au crime organisé en raison de leur corruption endémique et de leur sous-développement économique. L’Afrique de l’ouest sert de plaque tournante entre Afrique, Amérique latine et Moyen-Orient pour les trafics à destination de l’Europe. Selon bien des observateurs, la Guinée Bissau pourrait même être regardée comme un narco-État au carrefour de ces réseaux.
Les pays développés deviennent ainsi des cibles lucratives pour écouler les drogues illicites. Aisés et ouverts, plusieurs pays de l’Union européenne (UE) sont investis par les réseaux du crime organisé. Le Rapport européen sur les drogues de 2019 montre l’envergure de la consommation de drogues parmi les adultes (15 à 64 ans). Au cours de l’année 2018, 24 millions d’Européens auraient consommé du cannabis, 4 millions de la cocaïne, 2,5 millions du MDMA/ecstasy et 1,5 million des amphétamines. Cette consommation est entretenue par des réseaux de ventes au détail qui peuvent capturer le quotidien d’habitants de quartiers sensibles. Les dommages des trafics de drogues illicites s’imposent même à la géopolitique locale des territoires européens.
La lutte contre le trafic de drogues illicites pourrait parvenir à endiguer le phénomène en combinant mieux répression et prévention.
La répression coordonnée des trafics de drogues n’a pas permis d’endiguer leur explosion. Démocratiques ou autoritaires, des gouvernements mettent en place des politiques actives pour réprimer les trafics. Ainsi, la France a dévoilé fin 2019 un plan national de lutte contre les stupéfiants, comptant 55 mesures pour contrer les trafics. Ce plan marque la création de l’Ofast, organisme visant à améliorer la coordination et le partage d’information entre les services. Les Philippines, elles, sont engagées dans une « guerre contre la drogue » depuis 2016 sous l’impulsion du président Duterte. Plusieurs organisations non-gouvernementales, dont Amnesty International, dénoncent les exécutions extra-judiciaires commises contre les trafiquants, et les consommateurs. Ces mesures de répression ne sauraient suffire à elles seules pour juguler ce commerce illicite.
À toutes les étapes du trafic, la lutte contre les drogues doit combiner des mesures préventives et répressives. Ces trafics s’enracinent dans des territoires où les degrés de sous-développement et d’inégalités restent élevés. Selon Pierre-Arnaud Chouvy, l’objectif principal des mesures doit être de « rendre l’espace et les sociétés moins propices aux trafics » avec des « mesures les moins contreproductives possibles » selon son article de 2019 intitulé « Les frontières, fronts inefficaces de la lutte contre le trafic international ». Contenir les écarts de développement, consolider les perspectives économiques, accompagner les consommateurs malades et sensibiliser les publics cibles sont autant de mesures utiles pour vaincre les trafiquants. Jusqu’à leur prochaine opportunité.
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Source image : Le Figaro
Source infographie : European Monitoring Center for Drugs and Drug addiction
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