Conflits x Russie – Les guerres de Wagner
19/03/2023
Soutenue par Poutine, la société paramilitaire russe Wagner monte en puissance depuis 2014. Wagner déploie ainsi ses activités sur plusieurs théâtres d’opérations dans le monde entier. Face aux atteintes aux droits humains, les mesures prises contre Wagner doivent être renforcées pour contrecarrer son influence.
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Soutenue par Poutine, la société paramilitaire russe Wagner monte en puissance depuis 2014.
La société Wagner prolonge la politique étrangère russe dans la clandestinité. Créée en 2014 pendant les manifestations de Maidan à Kyiv et l’annexion de la Crimée, les milices Wagner sont une société paramilitaire sans forme juridique dont l’existence est illégale en Russie. Elles ont été fondées par Dmitri Outkine, néo-nazi russe, et par l’oligarque Evgueni Prigojine, surnommé le « cuisinier de Poutine », qui est aujourd’hui à la tête de Wagner. Selon Catrina Doxsee, chercheuse au Center for Strategic and International Studies (CSIS), Wagner permet officieusement à la Russie « d’étendre son influence géopolitique et de rétablir ses accords obtenus avant la chute de l’Union soviétique ». Le Kremlin fournit un appui logistique (bases, armes, transport) et financier aux hommes de Prigojine. En tant qu’entreprise privée, Wagner vise une rentabilité maximale au travers de ses différentes activités de sécurisation des ressources, d’intervention militaire, de formation et de désinformation.
Au-delà de l’action militaire, Wagner renforce sa cyberpropagande et sa capacité de désinformation. Menant une véritable guerre médiatique contre l’Occident, la société dépense près de 1,7 million d’euros sur le seul mois de novembre 2019 dans des campagnes de désinformation selon la série d’enquête « Sources » d’Arte (2023). Prigojine est également à la tête de l’Internet Research Agency, usine à trolls spécialisée dans la désinformation, très active en Afrique francophone. Déployée en 2018 en République Centrafricaine (RCA) à la demande du président Touadéra, la milice Wagner a notamment financé plusieurs manifestations « Stop MINUSCA » à Bangui pour protester contre la présence onusienne. Le journal Ndjoni Sango, qui publiait des articles sur ces protestations, était également payé par Prigojine. Cette désinformation se matérialise aussi en Russie via des opérations d’espionnage avec des informateurs infiltrés chez les opposants au pouvoir, qu’il s’agisse des milieux libéraux ou des médias d'opposition.
Wagner incarne la tendance mondiale à la privatisation des guerres. Les sociétés militaires privées (SMP) sont caractérisées par leur opacité, leurs liens officieux avec les États et leurs formes multiples. Pour Harchaoui et Smirnova (The Conversation, 2022), Wagner et les autres SMP russes comme Patriot, Sewa Security Services ou PMC Shchit sont la « manifestation d’une tendance mondiale à la privatisation de la sécurité, qui s’étend vers une privatisation de la guerre ». Le recours aux groupes paramilitaires est toutefois ancien et global. Dans les années 1990, des groupes militaires privés spoliaient déjà les minerais précieux en Sierra Leone et au Liberia. En 2003, la société américaine Blackwater accompagnait les compagnies pétrolières en Irak. Pour Jean-Michel Valantin, chercheur en études stratégiques et sociologie de la défense, « à l’avenir, avec le réchauffement climatique et la crise écologique, ces milices privées risquent de proliférer ».
Wagner déploie ainsi ses activités sur plusieurs théâtres d’opérations dans le monde entier.
À l’origine, Wagner sert surtout les intérêts russes en Ukraine depuis 2014. Déployés sans insigne lors de l’annexion de la Crimée et aux côtés des sécessionnistes des républiques de Donetsk et de Louhansk, les « hommes verts » de Wagner permettent d’abord à la Russie d’agir de façon masquée. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, Wagner est au cœur de la guerre. Selon John Kirby, porte-parole du Pentagone, 50 000 membres de Wagner, dont des milliers de prisonniers, combattaient au côté des forces russes en décembre 2022. Directement impliqués dans le massacre de Boutcha, les milices Wagner sont aujourd’hui basées à Soledar au nord de Bakhmout. En plus de soutenir l’offensive russe, Wagner prend le contrôle d’une gigantesque mine de sel. Toutefois, les relations avec le Kremlin se fragilisent, Prigojine reprochant à Poutine son manque de soutien direct.
Afin d’étendre l’influence russe, Wagner s’engage au Proche et Moyen-Orient, en Syrie comme en Libye. En 2015, le groupe Wagner apporte son soutien à Bachar El-Assad et protège les sites pétroliers du pays. La milice a notamment libéré le champ pétrolier Al Sha’er à Homs après la bataille de Palmyre (2016) et a soutenu l’Armée Arabe Syrienne à Khoucham (2018). Via la société Evro Polis, Prigojine a signé un contrat avec les autorités syriennes, lui assurant 25% des revenus des champs d’hydrocarbures en l’échange de la protection contre l’État islamique (EI). L’intervention de Wagner en Syrie a entraîné des affrontements directs avec les forces américaines. En 2016, la milice soutient le maréchal Haftar en Libye via les bases aériennes d’Al-Jufra et de Qardabiya au côté du maréchal Haftar. À partir d’avril 2019, le groupe participe à l’assaut contre le gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli, sans succès.
L’Afrique subsaharienne est aujourd’hui la nouvelle frontière de l’action de la société paramilitaire Wagner. Reflet du regain d’intérêt russe pour le continent, Wagner a été identifié depuis 2016 par le CSIS au Mali, au Soudan, en RCA, à Madagascar et au Mozambique. Au Soudan, le groupe est actif depuis 2017, d’abord sous le dictateur Omar El-Béchir puis sous Abdel Fattah Al-Burnhan depuis 2021. En l’échange d’une protection militaire, les entreprises Meroe Gold et M Invest, contrôlées officieusement par Wagner, exploitent les mines d’or soudanaises au profit du Kremlin. Au Mali, Wagner alimente un sentiment antifrançais au travers de ses campagnes de désinformation, précipitant le départ des troupes françaises de l’opération Barkhane et des corps diplomatiques (2022). Entre le 27 et 31 mars 2022, une intervention de l’armée malienne entraînant l’exécution de 300 personnes à Moura, au centre du pays, a impliqué les forces de Wagner.
Face aux atteintes aux droits humains, les mesures prises contre Wagner doivent être renforcées pour contrecarrer son influence.
Les troupes de Wagner ont essuyé plusieurs échecs lors de leurs interventions extérieures. Alors que le Mozambique avait fait appel en 2019 au service de la milice pour lutter contre Ansar al-Sunna dans la région gazière du Cabo Delgado, les forces de Wagner ont reculé face à la branche locale de l’EI. Elles ont été remplacées en mars 2020 par les Sud-Africains. En Libye, leur soutien au maréchal Haftar n’a pas empêché les larges pertes face aux troupes du GNA menées par Fayez al-Sarraj et soutenues par la Turquie. Enfin en Ukraine, le recours à des prisonniers et les tensions avec l’État russe pour un soutien logistique et financier renforcé traduisent les difficultés de la société menée par Prigojine. Toutefois selon Catrina Doxsee, « le désordre, l’insécurité, la crise servent leurs intérêts […] car s’ils devaient parvenir à résoudre le conflit, ils ne seraient plus nécessaires ».
Wagner méprise les droits humains et renforce son ingérence prédatrice. En janvier 2023, des experts mandatés par l’ONU ont réclamé une enquête sur d’éventuels « crimes de guerre et crimes contre l’humanité » commis par le groupe paramilitaire russe. Les miliciens Wagner sont en effet impliqués dans de nombreux massacres, comme à Boutcha, à Moura ou en RCA. Les viols, exécutions, pillages et actes de torture font partie intégrante de leur modus operandi. Diffusée en 2019, une vidéo montrant des hommes de Wagner démembrant avec une pelle un Syrien témoigne de leur atrocité. De plus, leur présence et l’accaparement des ressources relèvent d’une ingérence qui profite à Moscou. Sur le plan environnemental, la surexploitation des ressources détruit les écosystèmes. En RCA, la société Bois Rouge, contrôlée par Wagner, pratique ainsi la déforestation illégale et prédatrice.
Les mesures internationales se multiplient sans pour autant freiner l’influence de Wagner. Selon le chef de la diplomatie européenne Josep Borrel, « les activités du groupe Wagner sont une menace pour les populations des pays où ils opèrent et pour l’Union européenne ». En février 2023, l’Union européenne prolonge ses sanctions de 2021 contre le groupe russe, l’accusant de « violations des droits humains ». Elles ciblent 11 personnes, parmi lesquels Dmitri Outkine et Evgueni Prigojine, et 7 entités liées au groupe paramilitaire, dont Evro Polis. Les mesures européennes se matérialisent par des gels d’avoir et des interdictions de voyage. Depuis janvier 2023, les États-Unis considèrent Wagner comme une organisation criminelle internationale, tandis que l’Ukraine la désigne en tant qu’organisation terroriste depuis février. Ces mesures semblent pour autant insuffisantes au vu de l’influence croissante de Wagner dans le monde.
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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Adrien Gredy
Source image : Le Monde
Source carte : Christophe Chabert - Mind the Map
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