Démographie x Futur – Procréer, s’ouvrir ou mourir

 

02/04/2023

Pour accroître leur population, les pays disposent de nombreux instruments allant de la politique nataliste à la politique migratoire. D’ici 2050, les projections démographiques soulignent la fracture économique entre pays émergents et les pays développés. Sous la pression du changement climatique, l’évolution démographique mondiale risque de déterminer les bouleversements géopolitiques à venir. 

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Pour accroître leur population, les pays disposent de nombreux instruments allant de la politique nataliste à la politique migratoire.  

  • Les États se sont longtemps concentrés sur l'indice de fécondité pour piloter leur croissance démographique. L'indice de fécondité correspond au nombre moyen d’enfant par femme. Dans un pays fermé, la population d’un pays donné atteint l'équilibre lorsqu’il vaut 2,1. Ainsi, l’indice de fécondité devient un élément crucial pour les décideurs politiques. Dans la revue Population et avenir, le démographe Gérard-François Dumont explique que la « démographie conditionne le pouvoir politique ». Avant le XVIIe siècle, la France était - de loin - le pays le plus peuplé en Europe, ce qui explique son influence sur les différentes monarchies européennes. En effet, le poids démographique constitue longtemps un critère historique et fondamental de la puissance. Le déclin de la fertilité française à la fin du XIXe siècle a ouvert la voie à la domination démographique britannique et allemande.  

  • Liée à des indices de développement plus élevés, l’augmentation du niveau de vie renforce aussi la croissance démographique. Après le XIXe siècle, la transition démographique limite l’impact de l’indice de fécondité sur la croissance démographique dans les pays riches. La révolution industrielle, les innovations scientifiques et médicales contribuent à l’augmentation de la longévité des populations. Le Bureau des statistiques national britannique (ONS) a enregistré que l’espérance de vie masculine est passé de 40 ans en 1890 à 80 ans en 2010 au Royaume-Uni et au Pays de Galle. Ces caractéristiques démographiques sont des marqueurs forts expliquant la domination occidentale avant la Seconde Guerre mondiale. Pour Steven Pinker, la chute libre du taux de mortalité infantile et l’augmentation de la longévité à l’échelle mondiale réduit les inégalités démographiques (Le triomphe des Lumières, 2018). 

  • Pour combler leur déficit démographique, les pays attractifs ont recours à l’immigration. Beaucoup de pays font l’expérience du « tournant de Lewis » correspondant, en économie, à la limitation de la main d’œuvre disponible. Une réponse nationale peut être de recourir à l’immigration pour compenser la baisse du solde naturel. Aussi, les migrants viennent s’établir dans un nouveau pays à la recherche d’une qualification accrue, d'un travail stable ou d’aventures existentielles. Les États-Unis se présentent comme l'archétype du pays fondé sur des flux migratoires massifs avec la promotion de l’American Dream. Entre 1860 et 1920, 15% des individus vivants aux États-Unis sont des étrangers selon le Census Bureau américain. Aujourd’hui, ce ratio d’immigration est resté le même avec près de 45 millions de personnes nées à l’étranger sur une population de 334 millions d’habitants. Dans un cercle vertueux, les États-Unis pratiquent un brain drain qui attire d’autres migrations.  

D’ici 2050, les projections démographiques soulignent la fracture économique entre pays émergents et les pays développés.  

  • Les prévisions démographiques indiquent que l’augmentation de la population mondiale se combine avec d’importantes variations régionales. En 2022, l’Organisation des Nations unies (ONU) publie The World Population Prospect. L'ONU estime que la population mondiale pourrait atteindre 9,7 milliards d’habitants en 2050 et 10,4 milliards d’habitants en 2100. Actualisées des impacts de la pandémie de coronavirus, ces projections insistent sur l’atteinte d’un plateau global de population en 2080. Ces projections démographiques soulignent aussi un contraste entre les grandes régions du monde. Alors que les régions en déclin démographique se trouvent en Asie de l’Est et du Sud Est, la région à la démographie dynamique se trouve en Afrique subsaharienne. D’ici 2050, plus de la moitié de la croissance démographique serait concentrée dans 8 pays, dont 5 pays africains (Éthiopie, Égypte, Nigeria, Tanzanie, République démocratique du Congo). Selon les scénarios les plus extrêmes de l’ONU, le continent africain pourrait même compter 4,2 milliards d’habitants, soit 40% de la population mondiale en 2100.  

  • S’ils contrôlaient leur croissance démographique, les pays émergents seraient en situation de dividende démographique. Le dividende démographique correspond à une fenêtre d’opportunité où la fertilité baisse tandis que l’espérance de vie augmente. Dans ce cas, le pays concerné peut disposer « d’une population active en bonne santé, avec une bonne éducation, un emploi décent et un taux plus faible de dépendance précoce » selon la Division des Nations unies pour la population. L’exploitation de cette fenêtre d’opportunité suppose une combinaison intelligente de politiques publiques d’éducation et d’emploi. Les leaders régionaux d’Asie orientale ont réussi à tirer profit de leur dividende démographique. L’Indonésie, un pays d’Asie du Sud-Est peuplé de 275 millions d’habitants, a conduit une politique de développement pour soutenir l’emploi et créer des infrastructures pour sa population jeune entrant dans la vie active.   

  • En revanche, les pays développés pourraient faire face à un déclin démographique engendrant d’immenses défis. La croissance démographique mondiale se tasse à 1% par an dans les années 2020. La quasi-totalité des pays développés sont confrontés à de faibles indices de fécondité dont le niveau devient inférieur au seuil de renouvellement générationnel (2,1). À court terme, l’augmentation de la population des pays vieillissants repose surtout sur la variable d’ajustement migratoire. Les pays réticents à l’ouverture internationale limitent le recours à l’immigration pour compenser leur solde naturel déficitaire. Par exemple, le Japon se présente comme « une société hyper vieillissante » d’après le cabinet McKinsey (Japan: Lessons from a hyperaging Society, 2015). En 2021, le solde naturel du Japon apparaît négatif de 620 000 personnes. Cet indicateur incontournable pourrait même atteindre 900 000 personnes en 2050. L'hiver démographique du Japon pourrait préfigurer l’évolution des puissances occidentales au point que celles-ci s'inquiètent d’une japonisation.  

Sous la pression du changement climatique, l’évolution démographique mondiale risque de déterminer les bouleversements géopolitiques à venir.  

  • Les pays en forte croissance démographique seront aussi les plus affectés par l’ampleur du changement climatique. Cette tendance au réchauffement climatique par rapport aux températures préindustrielles affectera les pays les plus fragiles du globe. Les pays de la bande sahélo-saharienne (BSS) comme le Niger et la République Centrafricaine font déjà face à de grandes difficultés socio-économiques. Parmi les pays les moins avancé (PMA) de la planète, le Niger a un indice de fécondité de 6,8 enfants par femme. Sa population était de 2,5 millions d’habitants en 1950. Elle pourrait dépasser les 65 millions d’habitants en 2050. Bordant le lac Tchad, sa capitale N’Djamena pourrait devenir répulsive du fait d'une projection d’augmentation des températures de près de 5°C. La stabilité de la BSS dépendra de son évolution démographique dans les prochaines décennies. 

  • L’accroissement des tensions lié aux inégalités socio-économiques pourrait également affecter les continents les plus peuplés. La transition démographique s’opère à des rythmes divers en Asie, le continent le plus peuplé du monde. Les rapports de puissance entre les États asiatiques pourraient en être affectés. Si la Chine enregistre une population de 1,41 milliard d’habitants, chiffre en déclin en 2022, l’Inde a une population de 1,4 milliard d’habitants, croissant 1% par an. Avant 2025, les Indiens dépasseront en nombre les Chinois. En outre, le continent comporte des pays connaissant un effondrement brutal des naissances. La Corée du Sud apparaît à la pointe de cette tendance : elle a un indice de 0,84, bien en dessous de 1 enfant par femme. Cette dynamique durable risque de s’étendre au reste de l’Asie et des pays développés ayant des conséquences vertigineuses sur les plans économiques, sociaux, financiers et politiques. La gestion des retraites n’en est que l’un des aspects apparents. 

  • Les migrations humanitaires et climatiques pourraient également s’intensifier, ce qui impose une gouvernance inclusive des flux migratoires. Les débats politiques sur l'immigration s'appuient sur les causes, les provenances et les volumes de migrants. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), la migration climatique affecte les migrants « qui, principalement pour des raisons de changement soudain ou progressif de l'environnement dû au changement climatique, sont obligés de quitter leur lieu de résidence habituel, de manière temporaire ou permanente ». Selon le rapport de la Banque Mondiale, 216 millions de personnes pourraient être soumises à des migrations climatiques forcées (Groundswell : Se préparer aux migrations climatiques internes, 2021). D’après les conclusions des économistes, les migrations climatiques doivent être prises au sérieux tant le « rapport Groundswell rappelle crûment le coût humain du changement climatique en particulier pour les plus pauvres ». 

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Axel Riondet

Source image : CBS News

Source carte : Our World in Data

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