Écologie x Ressources – Les marchands de sable
03/02/2023
Deuxième ressource la plus consommée au monde, le sable est au cœur du développement mondial. Cette ressource naturelle constitue tout autant une source d’opportunités que de tensions protéiformes. Ainsi, l’exploitation du sable doit encore relever le défi de la durabilité au XXIe siècle.
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Deuxième ressource la plus consommée au monde, le sable est au cœur du développement mondial.
Omniprésent sur terre, le sable enregistre une surexploitation. Il s’agit d’une ressource non renouvelable qui est formée d’une dizaine de minéraux allant de la silice au calcaire. Estimées à 120 millions de milliards de tonnes, les réserves en sable semblent à première vue inépuisables. Présent dans les déserts, les rivages et les océans, le sable n’est pas toujours accessible ni utilisable. Il peut être enfoui sous la mer ou les sédiments, entravé par l’explosion du nombre de barrages (850 000 en 2022) ou impropre à l’exploitation. Comme le montre Vince Beiser dans The World in a grain (2018), les grains du désert sont ronds et polis par le vent. Ils ne peuvent s’agréger pour former un béton solide. Dans les années 2020, la quantité de sable exploitable s’amoindrit rapidement à tel point qu’une pénurie menace l’économie mondiale.
Cette surexploitation du sable répond aux demandes exponentielles de nombreux secteurs. Le sable constitue un matériau essentiel pour la cosmétique, l’informatique, le verre, l'énergie et surtout le BTP. Le béton se forme en effet de ciment, d’eau, de sable et de gravier. Ainsi, pour produire une maison, il faut en moyenne 200 tonnes de sable, contre 30 000 tonnes pour 1 km d’autoroute. En conséquence, 40 milliards de tonnes de sable sont aujourd’hui extraites chaque année des fonds marins, mines ou lacs. L’urbanisation induite par le développement et la croissance démographique, majoritairement en Asie, accentuent la pression sur le sable. Dans les prochaines décennies, le taux d’urbanisation devrait passer de 55% jusqu’à 70%, entraînant un étalement urbain et des phénomènes de poldérisation (Dubaï, Singapour). Selon l’ONU, la consommation de sable sera décuplée de 1990 à 2050.
Ainsi, une géographie du commerce du sable se dessine autour du monde. Les plus grands pays exportateurs sont respectivement les États-Unis, l’Australie, la Belgique, mais aussi l’Allemagne, les Émirats Arabes Unis (EAU), la France et la Malaisie. Compte tenu de son poids, le commerce du sable est majoritairement bilatéral entre pays voisins, ce qui explique, par exemple, les échanges entre le Canada, premier importateur en raison de sa politique de fracturation hydraulique, et les États-Unis. Très pauvres en sable domestique, et en phase de forte croissance urbaine et démographique, Singapour et les pays du Golfe sont également de grands importateurs. La consommation de sable reflète alors les bouleversements économiques contemporains : à elle seule, la Chine a utilisé de 2011 à 2013 plus de béton que les États-Unis au cours du XXème siècle pour Vaclav Smil (Making the modern world, 2013).
Cette ressource naturelle constitue tout autant une source d’opportunités que de tensions protéiformes.
Les besoins en sable alimentent des rivalités croissantes dans les sous-régions. La raréfaction du sable frappe plus fortement certains territoires. Subissant un déficit en sable, l’Asie de l’est et du sud-est a vu reculer 75 à 90% de ses plages en raison de l’extraction de sable et de l’eustasie. La disparition de certaines îles, comme celles au large de Balikpapan en Indonésie, pourraient alimenter les tensions liées aux Zones Économiques Exclusives (ZEE) telles que définies par la Convention de Montego Bay (1982) concernant l’exploitation des ressources. Très pauvre en sable domestique, Singapour a soutenu son extension urbaine par des importations en provenance de ses voisins indonésien, malais et vietnamien. Face à la diminution drastique de leurs réserves en sable, ces derniers ont progressivement suspendu leurs exportations de sable vers Singapour dans les années 2000, alimentant le ressentiment dans la cité-État.
Menaçant la sécurité des populations, les trafiquants de sable s’enrichissent frauduleusement. Profitant de l’absence de véritable régulation internationale, les exploitations illégales font rage dans 60 pays selon l’ONG American Costal care. Dans son article « En Inde, les mafias du sable ont le pouvoir, l’argent, les armes » (2022), Le Monde révèle l’ampleur d’un trafic mafieux « aux mains d’entrepreneurs, de notables locaux et de policiers corrompus » dans plus de 8 000 sites. Particulièrement touchés, les États du Bihar, du Madhya Pradesh et de l’Uttar Pradesh sont gangrénés par les exploitations illégales. Entre janvier 2019 et novembre 2020, l’ONG SANDRP a recensé la mort d’au moins 23 citoyens, 11 responsables gouvernementaux et 5 journalistes engagés. À l’échelle sous-régionale, Singapour contourne les suspensions d’exportation de ses voisins par des dealers et sociétés écrans.
Le changement climatique accentuera la pression sur la ressource en sable. Selon Le Monde dans l’article « au Groenland, le sable pour nouvel horizon » (2022), le réchauffement planétaire a fait découvrir à l’île l’importance de ces gisements de sable. Pour la revue Nature Sustainibility (2019), des chercheurs ont estimé que le Groenland générerait 890 millions de tonnes de sable par an, soit presque qu’autant que l’Afrique (1,1 milliard). Les principales régions sableuses y sont la baie de Baffin (ouest) et le détroit de Davis (sud-ouest). Dépendant essentiellement de la pêche (90% des exportations), la « farine glaciaire » diversifierait les revenus de l’île. Ainsi, 84 % des Groenlandais se déclarent favorables à l’extraction de sable. Source de minéraux stratégiques comme la silice, le thorium, le titane ou l’uranium, le sable est également au cœur de la transition énergétique et digitale.
Ainsi, l’exploitation du sable doit encore relever le défi de la durabilité au XXIe siècle.
Energivore, l’industrie du sable est destructrice pour l’environnement. L’extraction accélérée du sable est extrêmement nocive pour la faune et la flore. En Indonésie, où 96% des poissons sont issus de la pêche traditionnelle, le dragage intensif bouleverse la chaine alimentaire sous-marine, détruit les massifs coralliens et fragilise les pêcheurs traditionnels. Causé par l’eustasie et la surexploitation du sable, l’enfouissement des îles menace également la sécurité des populations et leur économie. Ceci rend les côtes plus vulnérables à l’érosion et aux intempéries, pollue les nappes phréatiques et affecte l’agriculture côtière. Enfin, l’extraction du sable compromet la qualité et la disponibilité de l’eau. L’exploitation élargit le lit des rivières et modifie leur rythme d’écoulement. Elle augmente aussi les risques d’inondations et de sécheresse.
En l’absence d’organisme de régulation internationale, les réponses semblent contre-productives. Si le sujet est pris en compte par les institutions internationales (PNUD, PNUE), il n’existe aujourd’hui ni instance spécifique ni norme dédiée. Cependant, des conventions régionales tentent de réguler l'exploitation du sable, comme la convention pour la protection du milieu marin dans la zone de la mer Baltique. Certains États tentent aussi d’adopter des mesures pour faire face aux risques induits par l’industrie du sable. Alors que 9 plages sur 10 diminuent en taille, la Floride tente de protéger son tourisme et de limiter les dégâts des cyclones en favorisant le remblayage avec du sable au large des côtes, accentuant la pression autour du sable (« En Floride, une lutte sans fin pour la survie des plages », Le Monde, 2022).
Des voies durables du sable d’exploitation apparaissent dans les pays avancés. Le recyclage apparaît comme la solution la plus prometteuse. Peu rentable aux vues du prix actuel dérisoire du sable, il permettrait d’en réutiliser jusqu’à 80%. Suivant une politique proactive de recyclage du sable et de formation des constructeurs, le Danemark a ainsi réduit ses intrants en sable marin de 94 à 12% en 20 ans. Il existe également des alternatives pertinentes au sable, comme le sable de verre recyclé, l’argile, la terre crue ou le pisé. Plus globalement, il importe de promouvoir la baisse de la consommation de sable au travers d’une sobriété choisie et de renforcer l’efficacité énergétique en matière d’extraction. Ceci permettrait de concilier exploitation durable du sable et transition écologique au point de réduire le poids des marchands de sable.
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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Adrien Gredy
Source image : Le Monde
Source carte : OCDE
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