France x Outre-mer – Les avant-postes de la République
29/01/2023
Reliquats de la colonisation, les territoires ultramarins sont maintenus dans une relation asymétrique avec la métropole. Toutefois, ils représentent des atouts diversifiés pour une France qui cherche à maintenir sa présence et sa puissance dans le monde. Confrontée à des bouleversements profonds, la politique ultramarine de la France gagnerait à se renouveler.
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Reliquats de la colonisation, les outre-mer de la France sont maintenues dans une relation asymétrique.
L'outre-mer est formé de territoires et de sociétés composites à travers le monde. Littéralement situés au-delà des mers, ces territoires se singularisent par leur amplitude et leur diversité. En effet, il existe 3 grands bassins de territoires ultramarins pour la France. Le bassin Atlantique avec, au nord, Saint Pierre et Miquelon et, au sud, les territoires insulaires de la Caraïbe (Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin, Saint-Barthélemy) ainsi que la Guyane, ancrée en Amérique du Sud. Le bassin Indien où figurent les îles de Mayotte et de la Réunion. Le bassin Pacifique où se trouvent la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la constellation d’îles de la Polynésie française. Il convient d’ajouter à cet inventaire les terres inhabitées (Clipperton, Terres australes et antarctiques françaises). Ces territoires ultramarins présentent des statuts spécifiques avec les départements régions d’outre-mer (DROM), les territoires d’outre-mer (TOM) et les collectivités d’outre-mer (COM). Plus de 2,8 millions de Français y vivent en 2021 selon l’INSEE.
L’histoire de la colonisation des outre-mer française s’inscrit dans le temps long des rivalités entre puissances européennes. Depuis le XVIe siècle, plusieurs mouvements de conquête des outre-mer se sont opérés dans le but d’étendre l’influence de la France dans le monde. Pour Jean-Christophe Gay dans La France d’outre-mer (2021) : « la politique coloniale cherche avant tout à affaiblir les rivaux espagnols, anglais et hollandais ». Au XVIIe siècle, ce sont les Antilles (1635) qui sont conquises, puis, la Réunion (1642). L’enclenchement d’un deuxième mouvement en direction du Pacifique mène à l’annexion d’une série d’îles qui prendra le nom de Polynésie française en 1946. Au XIXe siècle, la France s’ancre notamment en Nouvelle-Calédonie (1853) et à Wallis-et-Futuna (1887). Ces territoires sont conquis à la suite d’explorations maritimes impulsées par le cardinal Richelieu et les différents rois de France successifs. La France colonialiste se construit un empire considérable sur toutes les mers du monde.
Une relation asymétrique s’engage entre les colonies ultra-marines et la France métropolitaine. Connectés aux routes maritimes et commerciales majeures, les outre-mer sont considérés comme des espaces d’extraction et de relégation. Ils subissent une domination sociale et économique avec la mise en place d’un modèle économique rentier qui est centré sur l'exploitation des ressources naturelles. Conçu au bénéfice de la puissance métropolitaine, ce circuit de l’économie de plantation conduit la France à s’approvisionner en denrées précieuses dans le cadre du commerce triangulaire (épices, sucre, cacao, café, etc.). En complément, la France installe des colonies pénitentiaires au milieu du XIXe siècle en Nouvelle-Calédonie et en Guyane, où elle éloigne ses bagnards aux confins de l'empire. Soumis à un traitement inhumain, ces bagnards peuvent être des détenus de droit commun voire des prisonniers politiques. Dénoncé l’ouvrage Au bagne (1923) d'Albert Londres, ce système d’incarcération confirme l’instrumentalisation de l'outre-mer au service de la métropole. Les systèmes économiques et sociaux de l’outre-mer restent longtemps dépendants de cette trajectoire historique asservissante.
Toutefois, ils représentent des atouts diversifiés pour une France qui cherche à maintenir sa présence et sa puissance dans le monde.
Certes, les territoires ultra-marins conservent des traits caractéristiques des périphéries marginalisées. Dès 1976, Jean-Claude Guillebaud aborde dans son ouvrage éponyme le statut spécial des « confettis de l’empire ». Ces territoires combinent une densité de population faible, un accès difficile aux services publics ainsi qu’un niveau d’éducation et d’emploi limités. Selon le journaliste Pascal Perri, les économies des outres-mers s’apparentent à des « économies de comptoirs » (Arte) c’est-à-dire des économies extraverties qui reposent exclusivement sur l’exportation de matériaux bruts. L’exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie qui représente 90 % des exportations du territoire tout comme l'agriculture bananière aux Antilles en témoignent avec évidence. Dans les années 2020, la santé publique aux Antilles souffre des effets du chlordécone (insecticide cancérogène utilisé dans les bananeraies) et du coronavirus. Mixte de désespérance et de d’indignation, une révolte populaire marque le début de la décennie aux Antilles. Cette situation exceptionnelle montre combien la robustesse des services publics et la continuité territoriale font défaut en outre-mer.
Les territoires ultra-marins procurent à la France des espaces maritimes qui comptent pour sa puissance mondiale. Grâce à tous ses territoires ultra-marins, la France dispose du deuxième domaine maritime du monde, avant même celui de l’Australie et de la Russie. Avec l’accord de Montego Bay (1982) et l’entrée en vigueur d'un nouveau droit de la mer, la zone économique exclusive française (ZEE) tend vers les 11 millions de kilomètres carrés. Ainsi, l’État français met en place une stratégie maritime plus en synergie avec les territoires ultramarins. Selon le spécialiste de la mer, Christian Buchet, « il faut se jeter à l'eau parce que jamais la France n'a été aussi grande » (Outre-mer La Première). Pour dépasser la méconnaissance de notre vocation ultramarine, un rapport sénatorial de 2022 émet des recommandations constructives. Il préconise de placer les questions maritimes dans la stratégie de l'Union européenne pour les régions ultrapériphériques (RUP) et d’accroître encore l’insertion de l’outre-mer dans une mondialisation maritimisée.
Ces postes avancés pour la France dans le monde lui donnent aussi un rôle stratégique et un enrichissement culturel. Les outre-mer bénéficient à la France pour leur rôle stratégique. En Polynésie française, les atolls Moruroa et Fangataufa abritent le centre d’essai nucléaire, au cœur de la dissuasion nucléaire française. La Guyane abrite la base spatiale de Kourou, indispensable aux lanceurs européens, grâce au développement des activités du Centre spatial guyanais (CSG). D’autres territoires d’outre-mer, dont la Réunion et Wallis-et-Futuna, sont également un relais dans le renforcement du réseau européen de positionnement par satellite Galileo. Les métissages socio-culturels des territoires ultramarins apportent à la France une perspective enrichissante. La littérature française est augmentée par les auteurs ultra-marins, d’Aimé Césaire à Léon Gontran-Damas et de Maryse Condé à Édouard Glissant. Plus contemporaine, Audrey Célestine narre une saga familiale, des Antilles à Dunkerque en passant par l’Algérie, dans Une famille française (2018). Dans le registre musical, les styles vibrants comme le zouk, le hakahau et le kaséko sont le signe d’une intense diversité culturelle.
Confrontée à des bouleversements profonds, la politique ultramarine de la France gagnerait à se renouveler.
La reconfiguration globale des rapports de puissance impose à la France un réinvestissement de ses points forts en outre-mer. Effectivement, avec l’essor de la conflictualité dans la zone Indopacifique, des territoires français, de la Réunion à la Nouvelle-Calédonie, risquent de se trouver au cœur de ce théâtre d’opérations. Certes, sur le plan militaire, la France appartient au club restreint des États disposant d’une présence globale grâce aux territoires ultramarins. La sanctuarisation du territoire national apparaît prioritaire pour les « forces de souveraineté » qui regroupent les 8 400 militaires déployés dans les outre-mer. Elles sont réparties en zones de responsabilité permanente distinctes (FAZSOI, FANC, FAA, FAG, FAPF). Ce dispositif unique offre des relais agiles de projection de puissance (dissuasion, protection, déploiement) en fonction de la donne géostratégique. Il convient de le renforcer avec vigueur et d’en assurer l’interopérabilité avec les alliés en vue d’assurer un maximum de souveraineté en Indopacifique.
Le changement climatique constitue un facteur de transformation exogène qui s’impose aux territoires ultramarins. Selon la romancière Anne Akrich, les outre-mer sont devenus avant-postes de notre « future apocalypse écologique » (Zadig). Les dangers de l’extractivisme clandestin, de la déforestation illégale et de la pollution multiforme affectent d’ores et déjà les populations ultra-marines. Cependant, les territoires ultramarins sont riches de services rendus à la France par leurs écosystèmes : 10 % de la biodiversité marine mondiale sont concentrés dans nos outre-mer. La France commence à peine à prendre la mesure de cet atout environnemental, atout qu'il convient de protéger avec plus de rigueur. En 2019, le président Emmanuel Macron annonce qu’il entend classer les îles Glorieuses en réserve naturelle nationale alors même qu’elles font l’objet d’un contentieux diplomatique avec Madagascar. Les territoires ultramarins sont au cœur d’une stratégie de transition nationale comme puits de carbone. Une volonté politique plus ambitieuse est requise pour exécuter une réelle une politique d’extension des réserves naturelles nationales et de création d'aires marines protégées (AMP).
Face aux instabilités socio-économiques, les outre-mer aspirent à des réformes structurelles dans le cadre républicain. L’uniformisation engendrée par la départementalisation (1946) apparaît comme un frein au développement. Les sociétés ultra-marines aspirent à un approfondissement réel de la décentralisation pour obtenir plus d’autonomie. Les trois consultations successives pour le référendum d’auto-détermination en Nouvelle-Calédonie (2018, 2020, 2021) interrogent le fonctionnement institutionnel de ce territoire. Comme le note Sarah Mohamed-Gaillard dans son analyse La Calédonie dépasse la Calédonie (IFRI), « la Nouvelle-Calédonie et la France entretiennent un rapport quasi fédéral » qui changera durant la période de transition jusqu’en 2023. Sa position centrale dans l’espace Indopacifique confère à la Nouvelle-Calédonie « un possible vecteur et démultiplicateur » de l’influence française. Une association de l’île à « l’élaboration et la réalisation » de cette nouvelle stratégie Indopacifique lui apparaît indispensable. Comme le disait avec éclat Aimé Césaire, il faut repenser ce statut des « Français à part entière », lesquels sont aussi « entièrement à part ».
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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Axel Riondet
Source image : Le Monde
Source carte : Mind The Map par Christophe Chabert
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