France x Puissance - Vers une armée modernisée en 2030 avec 8 priorités stratégiques
22/01/2023
Le président Emmanuel Macron annonce un nouveau projet de Loi de Programmation Militaire (LPM) en janvier 2023. Ce projet de loi prévoit une hausse de 33% des dépenses militaires jusqu’à 413 Md€ sur la période entre 2024 et 2030. Il s’agit d’un volume d’investissement qui atteint un niveau inédit depuis les années 1960 avec la présidence du Général de Gaulle. Confronté au retour de la guerre en Europe, le président Emmanuel Macron veut que la France puisse « avoir une guerre d’avance ».
L’équipe NeoGeopo vous propose de décrypter ce tournant pour les affaires militaires de la France. Plusieurs orientations stratégiques sont présentées dans le discours du président de la République du 20 janvier 2023 :
Construire un nouveau modèle d’armée face aux menaces contemporaines
Consolider la crédibilité de notre dissuasion nucléaire
Placer notre renseignement militaire au sommet de la hiérarchie mondiale
Durcir nos capacités de confrontation dans une guerre de haute intensité
Atteindre l’excellence opérationnelle dans les espaces communs
Repenser notre réseau d'alliances dans un cadre européen, otanien et international
Reconfigurer nos engagements territoriaux dans les outre-mer
Retisser le lien entre les forces armées et la nation
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1/ Construire un nouveau modèle d’armée face aux menaces contemporaines
Les Européens entrent dans l’ère de la géopolitique qui induit des jeux de rapports de force en permanence. Les guerres de haute intensité et les menaces hybrides se multiplient, comme l'illustre la guerre en Ukraine, ce qui menace le multilatéralisme mondial et la stabilité européenne.
« Ce qui caractérise notre décennie, c'est donc cette accumulation des menaces dans tous les ordres et dans toutes les géographies, comme une forme d'anthologie des risques de guerre qui ont tenté nombre de générations avant nous : impérialisme débridé, prolifération nucléaire, violence terroriste. Des guerres très vieilles, d’autres plus inédites, mais qui toutes s'additionnent et peuvent se nourrir l’une l’autre. »
L'objet du projet de LPM est de proposer un renouvellement stratégique et un redimensionnement capacitaire pour que la France résiste mieux à ces menaces. La commande publique joue un rôle prépondérant pour orienter notre écosystème de la base industrielle et technologique de défense (BITD).
2/ Consolider la crédibilité de la dissuasion nucléaire de la France
L’arme nucléaire est à la source d’une capacité de dissuasion absolue pour sanctuariser un territoire national. Toutefois, la prolifération nucléaire en Asie (Corée du Nord, Iran) et le durcissement des conflits en Europe (Ukraine) montrent que l’utilisation d’une arme nucléaire, stratégique ou tactique, redevient un risque crédible.
« C'est donc d'abord renforcer notre dissuasion en nous donnant tous les moyens d'assurer sa robustesse, sa fiabilité, sa modernisation dans des conditions particulières et évolutives du monde d’aujourd’hui. »
La France peut réinvestir dans ses armes (ogives), ses vecteurs (missiles M51.2 et ASMP-A) et ses porteurs (avions Rafale et submersibles SNLE). Elle pourrait ainsi maintenir une posture de dissuasion permanente avec un SNLE patrouillant les mers en continu.
3/ Placer notre renseignement militaire au sommet de la hiérarchie mondiale
L’hybridation des menaces requiert une capacité d’anticipation, de détection et d’intervention qui replace les services de renseignement au centre de la souveraineté nationale. Les capacités défensive, offensive et contre-offensive de la France devraient être fortement améliorées face à toutes les tentatives d’ingérence, y compris dans l’industrie d’armement.
« Le cœur de souveraineté, c'est aussi le renforcement des postures permanentes. Cela suppose des capacités accrues de renseignement qui nous permettent d'anticiper les crises ou les menaces. J'ai constamment insisté sur la nécessité pour la France d'avoir un renseignement en propre, permettant notre autonomie de décisions et d'actions. »
Le projet de LPM propose ainsi le doublement des crédits de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Direction du renseignement de la sécurité de la Défense (DRSD).
4/ Durcir nos capacités de confrontation dans une guerre de haute intensité
Dans les années 2010 et 2020, l’ensauvagement des relations internationales donne lieu à l’essor des conflictualités dans tous les milieux et domaines. Le risque de guerre de haute intensité entre grandes puissances apparaît croissant selon les militaires (général Vincent Desportes) et les experts (François Heisbourg).
« La transformation en second lieu, c’est être capable de passer d’un modèle fait pour assurer des opérations dans des milieux où notre liberté d’action était forte, à une capacité d’évolution dans des environnements contestés, face à des adversaires aguerris, technologiquement redoutables sur tout le spectre de la conflictualité. C’est ce que j’appelle le pivot vers la haute intensité. »
Les retours d’expérience de la guerre en Ukraine mettent en évidence l’importance des forces spéciales et des capacités de soutien (munition, logistique, soin). Le maintien en conditions opérationnelles et l’aguerrissement impliquent la mise en place d'exercices militaires y compris sur le territoire national (exercice Orion en 2023).
5/ Atteindre l’excellence opérationnelle dans les espaces communs
La démultiplication et l’interpénétration des menaces impliquent un investissement croissant dans les espaces communs. La mer, l’air, l’espace exo-atmosphérique et le cyberespace deviennent des territoires d’affrontement à basse intensité (Thomas Gomart). Les puissances géopolitiques en Europe sont contraintes à l’adaptation en permanence pour défendre leurs intérêts.
« Nous passerons ainsi au tout Rafale et maintiendrons cet avion d'exception au meilleur niveau mondial, nous poursuivrons résolument la modernisation de nos forces terrestres par une numérisation accélérée du champ de bataille et une contribution particulière dans les nouveaux combats cybers, nous augmenterons la puissance et la protection de nos frégates et bien sûr, nous développerons le porte-avions de nouvelle génération. »
Le domaine de la défense sol-air impose un traitement spécifique tant son importance s’est révélée cruciale dans le contexte de guerre en Ukraine. Contre les aéronefs, les drones et les missiles, la France dispose de systèmes qui se doivent de rester à la pointe de la technologie (SAMP/T soit Mamba).
6/ Repenser notre réseau d'alliances dans un cadre européen, otanien et international
Le rôle de puissance d’équilibre voulu par le président Emmanuel Macron doit construire une nouvelle grammaire. Le bloc occidental fait l’objet de fortes pressions pour s'aligner sur les priorités stratégiques des États-Unis d’Amérique. Cette tension interne apparaît exacerbée lorsque l’horizon d’Europe de la défense est poursuivi par les Européens.
« Si demain tel grand partenaire doit regarder ailleurs, nous devrons être en mesure d'agir avec les Européens à l'intérieur de l'OTAN ou en dehors de l'Alliance et, si nécessaire, d'assurer les capacités de commandement qui permettront de mener ensemble une opération d'ampleur. »
La stratégie d’alliances militaires de la France s’opère à trois niveaux complémentaires. À l’échelle européenne, la France resserre ses partenariats, y compris bilatéraux, comme le CaMo avec la Belgique (2018). À l’échelle otanienne, la France vise à prendre plus d’initiative et de commandement pour mener une capacité expéditionnaire de réaction rapide (20 000 hommes). À l’échelle internationale, la France construit un nouveau réseau de clients et partenaires pour son industrie d’armement (Egypte, Inde, Indonésie, etc.)
7/ Reconfigurer nos engagements territoriaux dans les outre-mer
La compétition stratégique des grandes puissances incite la France à réorganiser ses théâtres prioritaires d’intervention. Or, la contestation révisionniste s’impose avec plus d’acuité en Indopacifique que dans la bande sahélo-saharienne (BSS). L’expérience des engagements militaires français dans la BSS témoigne des limites du modèle expéditionnaire au-delà du territoire national.
« N'oublions jamais que notre Nation est un archipel. Et si la sécurité du territoire métropolitain est là assurée par vous toutes et tous, nos Outremers ne doivent jamais quitter notre regard et notre présence. »
La géostratégie de la France donne une place spéciale à l’Indopacifique. La présence française sur ses territoires ultramarins fait l’objet de revendications accrues dans la stratégie d’entrisme de la Chine. Le projet de LPM mentionne une capacité de maîtrise militaire des fonds marins jusqu’à 6 000 mètres (ressources océaniques, câbles sous-marins).
8/ Retisser le lien entre les forces armées et la nation
Bien des observateurs des sociétés occidentales mentionnent l’affaiblissement des forces vives de nos nations. Les sociétés occidentales apparaissent entrées dans l’ère post-héroïque où le rapport aux forces armées s’étiole. Les engagements dans les bourbiers moyen-orientaux dans les années 2000 et 2010 ont engendré une war fatigue diffuse. Le manque de détermination et la méconnaissance de l’autre fragilisent nos interventions militaires (Gérard Chaliand).
« Face aussi à toutes les menaces qui peuvent toucher notre société et la déstabilisation que celles-ci pourraient engendrer, la résilience plus générale de notre société, ses forces morales déjà évoquées, la capacité de mobilisation de notre nation face à l'inattendu, comme elle a su le faire durant la pandémie, est essentielle. »
Le président de la République poursuit son objectif stratégique selon lequel il importe de redonner plus de poids à l’armée dans la société. Le doublement projeté des effectifs de la réserve et le renforcement du service national universel (SNU) sont autant de projets qui répondent à cette exigence. Si la France des années 2020 veut la paix, elle doit anticiper et préparer la guerre.
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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré
Source image : L’Humanité
Source carte : NeoGeopo / Apo
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