Monde x Santé - Géopolitique de l’obésité

 

18/12/2022

Ancrée dans des dynamiques mondialisées, l’obésité constitue une tendance inégalitaire et dangereuse. D'origine multifactorielle, elle se renforce avec la sédentarisation des modes de vie, l’industrialisation alimentaire et la détérioration de l’environnement. Pour endiguer le coût économique et les impacts environnementaux de l’obésité, des acteurs se mobilisent à toutes les échelles.  

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Ancrée dans des dynamiques mondialisées, l’obésité constitue une tendance inégalitaire et dangereuse.  

  • L’obésité reflète les dynamiques sociales et économiques qui varient dans la longue histoire. Dans Les métamorphoses du gras (2010), l’historien Georges Vigarello illustre le rapport changeant au poids au cours des époques. D’un point de vue sociologique, le surpoids du « glouton médiéval », incarné par Henri VIII, était autrefois signe de bonne santé. Le clivage contemporain se cristallise entre le mouvement de fat acceptance, visant à promouvoir l’image des personnes en surpoids, et le fat shaming, tendant à les dénigrer. D’un point de vue économique, l’atteinte des paliers d’obésité a suivi l’insertion des sociétés dans la mondialisation. Si les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont respectivement été touchés dans les années 1970, 1980 et 1990, les pays émergents comme l’Inde, la Chine ou les pays du Golfe le sont de plus en plus au XXIe siècle. Près de 30 ans après l'entrée du Mexique dans l’ALENA, 73% de la population mexicaine est aujourd’hui obèse ou en surpoids. 

  • Certaines tranches fragiles de la population apparaissent plus touchées que d’autres. À l’échelle mondiale, les femmes sont bien plus en proie à l’obésité que les hommes. Les conséquences de la grossesse, l’effet de l’œstrogène et, en dehors des pays occidentaux, le mode de vie plus sédentaire expliquent cette inégalité. Ainsi, 11% des hommes sont obèses tandis que 15% des femmes le sont (OMS, 2016). En parallèle, à l’échelle nationale, le phénomène touche de plus en plus les jeunes générations. Selon une étude de l’Université Johns Hopkins (2021), 56% des jeunes de 18 à 25 ans aux États-Unis sont obèses ou en surpoids, contre 18% à la fin des années 1970. Plus généralement, la topologie du gras dépend du niveau de développement des pays. Dans les pays riches, les populations les moins favorisées sont les plus atteintes, contrairement aux pays en développement où ce sont d’abord les classes aisées et moyennes. 

  • L’obésité aussi constitue une menace de plus en plus grave pour la santé publique. Selon l’OMS, un adulte est en surpoids ou obèse si son Indice de Masse Corporelle (IMC) est respectivement supérieur à 25 ou 30. En mai 2022, l’OMS comptabilise au total 1 milliard d’obèses dans le monde, parmi lesquels 340 millions d’adolescents. Le nombre de cas a ainsi triplé depuis 1975. Les pays occidentaux sont les plus frappés. Alors que les États-Unis font figure de champion mondial avec un tiers de sa population obèse, un quart des adultes est obèse en Europe. L’obésité fragilise la santé publique tant elle augmente drastiquement les risques de maladies cardiovasculaires, de diabètes et de cancers. Au Mexique, le diabète est devenu la première cause de mortalité du pays, entraînant 80 000 morts par an. Paradoxe sanitaire, l’obésité tue aujourd’hui trois fois plus que la malnutrition (The Lancet, 2012). 

D'origine multifactorielle, elle se renforce avec la sédentarisation des modes de vie, l’industrialisation alimentaire et la détérioration de l’environnement. 

  • L’évolution des modes de vie induite par la mondialisation a renforcé les risques d’obésité. Consécutif à l’accroissement des niveaux de vie, la transition nutritionnelle a profondément modifié les habitudes alimentaires. Nos sociétés sont passées d’apports à 80% constitués de glucides lents à uniquement 30%, au profit des sucres, des lipides et des protéines animales (Les métamorphoses du gras, 2010). L’uniformisation des modes de consommation renforce l’extension mondiale de l’obésité. Le documentaire « Un monde obèse » (2022) de la chaîne Arte décrit une « société obésogène » où le sédentarisme et les mauvaises habitudes alimentaires entraînent une hausse des taux d’obésité. En raison de la pression à la réussite scolaire, les enfants Chinois privilégient ainsi leurs études au détriment de leur santé. Selon le South China morning post, le choix de snacks au lieu de déjeuners et l’abandon de pratique sportive expliquent que la Chine abrite 15 millions d’enfants obèses. 

  • En outre, l’industrie agroalimentaire maximise ses profits aux dépens de la santé de ses consommateurs. Les entreprises comme Nestlé, Mars, Mondelez ou Coca-Cola acquièrent un poids sans précédent dans la définition des régimes nutritionnels. Selon Laurent Barrat, expert en intelligence économique, les progrès technologiques dans le processus de fabrication des aliments ont fait émerger un « populisme alimentaire » (« Géopolitique de l’obésité », Affaires étrangères, 2020) qui emprisonne le consommateur dans certains goûts (sucre, gras, sel). Poursuivant un « impérialisme de la malbouffe » (Arte), les industries agroalimentaires (IAA) cherchent alors à s’exporter mondialement. La consommation de boisson sucrée a par exemple augmenté de 40% en 14 ans au Mexique. Les lobbys des IAA freinent les tentatives de régulation étatique. Selon Arte, Coca-Cola dépense 20 millions de dollars par an pour financer des recherches pseudo-scientifiques qui sont conformes à leurs intérêts. Les intérêts économiques écrasent les impératifs de santé publique. 

  • Les facteurs environnementaux jouent aussi un rôle croissant dans l’obésité. La pollution atmosphérique renforce les risques d’obésité. Dans le journal Diabetes care, des scientifiques ont démontré le lien entre prise de poids et présence de particules fines dans l’air. Les perturbateurs endocriniens (bisphénol A, phtalates, parabènes) sont un facteur aggravant. Ces derniers dérèglent le fonctionnement hormonal des organismes vivants et affectent directement la santé humaine. Ils seraient un « facteur explicatif complémentaire » de la prise de poids selon le rapport ECOD du Réseau environnement santé (2018). Toutefois, les scientifiques insistent sur les prédispositions héréditaires de l’obésité. Pour Philippe Froguel, chercheur et spécialiste à l’Imperial College de Londres, « 70% de l’obésité est due aux gènes ». L’obésité est bien une épidémie multifactorielle qui ne cesse de prendre du poids.  

Pour endiguer le coût économique et les impacts environnementaux de l’obésité, des acteurs se mobilisent à toutes les échelles. 

  • L’épidémie d’obésité pèse de plus en plus sur les économies nationales. L’obésité renforce la pression sur le système de santé public. Selon Francesca Colombo, chef de la division Santé à l’OCDE, 10% des dépenses de santé dans les pays de l’OCDE sont liées à l’obésité. Une étude publiée dans la revue « BMJ Global Health » estime que l’épidémie devrait coûter 3,3% du PIB mondial d’ici 2060. En particulier, le coût serait plus élevé pour la Chine, les États-Unis et l’Inde, représentant respectivement 3%, 4,6% et 2,5% de leurs PIB en 2060. À cela s’ajoutent les retombées indirectes liées à l’obésité. Jugées moins productives ou susceptibles d’entrer en arrêt maladie, les personnes obèses rencontrent des difficultés à trouver un emploi. L’institut IMS Health a évalué les gains de productivité à 5% pour 296 euros investis par l’entreprise dans un programme de prévention de l’obésité.  

  • La lutte contre l’obésité devient ainsi un défi pour la durabilité. En 2019, la revue médicale de référence The Lancet établit un lien clair entre les désordres alimentaires et le changement climatique. D’une part, la consommation exponentielle de viande rouge a entrainé de fortes émissions de gaz à effet de serre en plus d’une augmentation du surpoids. En parallèle, les phénomènes climatiques extrêmes accentueront la pression sur les ressources, grignotant les apports des IAA. La revue recommande ainsi de diviser par deux la consommation mondiale de viandes rouges et de sucres, et de doubler celle de fruits, légumes et noix. D’autre part, nos modes de déplacement, dominés par la voiture, combinent sédentarité, faible activité physique et fortes émissions (9% des GES viennent de l’automobile selon Greenpeace). Modifier nos habitudes alimentaires et nos moyens de déplacement s’impose comme une réponse concrète au changement climatique et à l’épidémie d’obésité. 

  • En réponse, les acteurs publics et privés s’investissent inégalement dans la luttre contre l’obésité. Les organisations internationales émettent des recommandations ambitieuses. L’OMS préconise notamment une réglementation sur le marketing agroalimentaire. À l’échelle nationale, des politiques interventionnistes ont permis de lutter efficacement contre la progression de l’obésité. Mené par le sénateur et ancien pédiatre Guido Girardi, le Chili a adopté une stratégie ambitieuse en 2016. Les produits mauvais pour la santé doivent désormais afficher un logo noir. Cette politique a entraîné une baisse de 25% des ventes de boissons sucrées en 18 mois. Certaines entreprises agroalimentaires entreprennent également des actions plus saines et responsables. Par sa filiale Nestlé Health Science, Nestlé s’affirme comme le leader de la santé nutritionnelle, ce qui pose la question du health washing. Enfin, la recherche élabore des solutions innovantes, tels que le médicament tirzepatide ou les ciseaux génétiques Crispr pour offrir des traitements durables à l’obésité (« Et si on parvenait à soigner l’obésité », Usbek et Rica, 2022).  

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Adrien Gredy

Source image : Coca-Cola

Source carte : Sciences Po - L’espace mondial

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