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Émergence x Indonésie - L’archipel à potentiel

06/03/2023

Longtemps dominée pour sa position géostratégique, l’Indonésie initie une dynamique d’émergence au XXIe siècle. Cependant, elle connaît des défis multiples qui conditionnent son ascension. Ainsi, de nouvelles priorités s’imposent à l’Indonésie pour parfaire son statut de puissance. 

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Longtemps dominée pour sa position géostratégique, l’Indonésie initie une dynamique d’émergence au XXIe siècle. 

  • Par sa position géostratégique, l’Indonésie se situe au carrefour d’influences exogènes. Cet État archipélagique compte près de 17 000 îles avec notamment l’île de Bornéo, dont la souveraineté est partagée avec la Malaisie et le sultanat de Brunei, ou les petites îles Banda au sud de l’archipel des Moluques. Trois grandes influences externes marquent l’histoire de l’Indonésie. Elle s’impose comme escale obligatoire sur les routes maritimes historiques qui innervent les mondes asiatiques, indiens, arabes et occidentaux. Primo, l’influence culturelle hindoue par les commerçants vaishyas au Ier siècle est à l’origine de l'expansion de l’hindouisme dans l’archipel. Secundo, entre le VIIIe et le XVe siècle, la richesse des empires indiens attire des commerçants de la péninsule arabique qui introduisent dans la région la religion musulmane. Tertio, l’arrivée des colonisateurs européens avec les Portugais qui christianisent leurs îles d’implantation. Enfin, les Hollandais s’emparent progressivement de l’archipel où ils règnent pendant trois siècles jusqu’à l’indépendance (1641-1945). 

  • Au XXe siècle, l’Indonésie valorise ses atouts territoriaux et économiques pour croître dans la mondialisation. Dans les années 1990, elle opte pour une stratégie d’ouverture avec l’accueil d’investissements directs (IDE) visant à stimuler une croissance extravertie. Elle compte comme l’un des cinq « tigres » avec la Thaïlande, la Malaisie, le Vietnam et les Philippines. L’Indonésie s’appuie sur une optimisation des chaînes de productions mondialisées. Elle fonde sa réussite économique sur la complémentarité des économies, ce que symbolise le triangle économique de croissance Sijori (Singapour, Johor, Riau). Cet accord entre Singapour, la Malaisie et l’Indonésie fait figure de modèle réduit du monde globalisé et rapproche l’Indonésie du cercle des pays développés. Elle est même devenue la première économie d’Asie du Sud-Est et un membre éminent du G20. Elle « se rêve en quatrième économie mondiale à l’horizon 2045 », date du centenaire de son indépendance du colonisateur néerlandais selon Jean-Baptiste Chauvin dans la préface de Comprendre l’Indonésie d’Alain Riquier (2022). 

  • Au XXIe siècle, l’Indonésie s’impose comme émergent en devenir qui exploite ses avantages comparatifs. Selon François Raillon dans Indonésie : Les voies de la survie (2007), l’Indonésie dispose d’une « économie tropicale en voie d’industrialisation ». Le président Joko Widodo prolonge son modèle d’économie extractive (huile de palme, charbon, nickel) pour engendrer une industrialisation et une tertiarisation. La montée en gamme de l’économie indonésienne passe par une stratégie de protectionnisme éducateur où les secteurs stratégiques sont sanctuarisés et les routes maritimes contrôlées (Malacca, Lombok, la Sonde, Macassar). En outre, l’urbanisation de l’Indonésie témoigne de la fulgurance de l’ascension économique du pays. Le cas de la construction de la nouvelle capitale, Nusantara, à 2000 kilomètres de Jakarta, témoigne des ambitions de grandeur nationale. Conçue comme une « smart city », verte et digitale, la ville nouvelle doit abriter un palais présidentiel pharaonique à la forme de garuda, oiseau-mythique aux ailes déployées pour symboliser l’envol vers l’avenir.  

Cependant, elle connaît des défis multiples qui conditionnent son ascension géopolitique et géoéconomique. 

  • L’Indonésie est un pays extrêmement sensible aux cycles économiques. Certes, sous l’autorité de Suharto, l’État archipélagique s’insère dans le modèle de développement en vol d’oies sauvages (Akamatsu, 1937) et expérimente le « miracle asiatique » (1967-1997). Cependant, ses fondements économiques sont dégradés par la crise financière asiatique de 1997. Cette dernière est amorcée par une série d’attaques spéculatives sur le baht thaïlandais, ce qui finit par dégrader la confiance dans la roupie indonésienne. L’Indonésie entre alors dans une ère agitée de « reformasi », nom donné à la période transitoire qui a suivi la démission du général Suharto en 1998. Pour le Fonds Monétaire International (FMI), cette crise déclenche l’engrenage « de la dépréciation monétaire, des défauts de paiement et des sorties de capitaux » à l’origine de turbulences durables pour le pays (Le redressement de la crise asiatique et le rôle du FMI, 2000).  

  • La place de la religion dans la vie politique indonésienne constitue un défi de stabilité politique. La société indonésienne comporte des reliquats d’hindouisme, de bouddhisme et de christianisme. Pour autant, la religion dominante est l’islam avec près de 230 millions de fidèles sur une population de 270 millions d’habitants. Sur le plan politique, le pays essaie de concilier un modèle démocratique avec la religion musulmane depuis 1998. L’Indonésie subit l’émergence de courants extrémistes de l’islam qui prônent le djihad comme le groupe Jemaah Islamiyah. Des développements violents troublent la paix sociale avec les affrontements sanglants aux Célèbes (1998), les conflits aux Moluques (1999-2002) voire les attentats suicides (Bali en 2002, Jakarta en 2016, Makassar en 2021). Le gouvernement actuel tente de rétablir la tradition nationale de tolérance par le biais d’un « islam nusantara » ou « islam de l’archipel » selon le chercheur Akhmad Salal (Le Monde, 2019).  

  • L’Indonésie s'inscrit dans un cadre environnemental complexe qu'elle a pu elle-même dégrader. Des failles tectoniques longent le pourtour des îles indonésiennes. L’Indonésie abrite donc de nombreux foyers volcaniques menaçants. Elle compte environ 130 volcans actifs appartenant à la ceinture de feu du Pacifique. Elle fait face à des tremblements de terre. Ce cumul des risques provoque des phénomènes naturels en cascade, lesquels combinent plusieurs catastrophes successives. En 2018, l’éruption du volcan Anak Krakatoa provoque un affaissement du volcan dans l’océan, ce qui cause un tsunami meurtrier. Sans égard pour ses puits de carbone, le pays poursuit une politique prédatrice de déforestation. En 2023, l’enquête Deforestation Inc du consortium ICIJ révèle les failles de la réglementation internationale de commerce du bois à laquelle l’Indonésie participe. Pour produire ses matières premières (huile de palme, pâte à papier) ou pour s’urbaniser davantage, l’Indonésie fait subir à la troisième forêt tropicale du monde subit des coupes illégales, des incendies volontaires et des falsifications de certifications durables. Ces pratiques répréhensibles nuisent au développement durable de l’Indonésie. 

Ainsi, de nouvelles priorités s’imposent à l’Indonésie pour parfaire son statut de puissance. 

  • De la décolonisation à la multipolarisation du monde, l’Indonésie adopte une posture neutraliste et opportuniste. Arrivé au pouvoir en 1945, le président Soekarno devient l’un des leaders des pays décolonisés dans la deuxième moitié du XXe siècle. Étant initiatrice du concept du non-alignement, lors de la conférence de Bandung en 1955, l’Indonésie prolonge cette position y compris pendant sa démocratisation. Dans ce contexte, elle privilégie un non-alignement neutraliste qui lui permet d’assurer « un million d’amis et zéro ennemi » selon la formule de l’ancien président Susilo Bambang Yudhoyono. Héritier de cette tradition diplomatique, cet État asiatique continuer de s’insérer dans des systèmes multilatéraux qui facilitent les alliances de circonstances opportunistes. Ceci lui a permis de s’imposer comme l’un des piliers de la coopération régionale à portée économique (ASEAN en 1967, RCEP en 2020). Elle joue aussi un rôle de passerelle entre des partenaires globaux (Chine, Etats-Unis, monde arabe, Asie, Europe).  

  • À l’échelle sous-régionale, le déploiement de l’influence chinoise en Asie insulaire menace la stabilité indonésienne. Alice Ekman explique comment la Chine active une stratégie de domination sous-régionale en faisant pression sur les économies de ses partenaires (Rouge vif : l’idéal communiste chinois, 2020). C’est le cas avec l’Indonésie dans les industries extractives. Elle est dotée des plus importantes réserves de nickel au monde avec près de 21 millions de tonnes (Nickel Institute). Or, la Chine dévoile ses appétits pour ce marché avec l’Indonesia Morowali Industrial Park, né d’un accord signé en 2013 entre des conglomérats miniers chinois et indonésiens. Sur ce site d’extraction, le chinois Tsingshan investit à hauteur de 4 milliards de dollars afin d’extraire et de traiter le nickel dans une logique de valorisation de la production nationale (Direction Générale du Trésor). La Chine rend ses financements et technologies indispensables dans ce processus à forte valeur ajoutée, ce qui laisse craindre une logique prédatrice. 

  • À l’échelle régionale, la place de pivot de l’Indonésie l’incite à opter pour une nouvelle géostratégie sur ses espaces maritimes. L’Indonésie devient un pivot pour l’Indopacifique tant elle se trouve à la jonction entre ces océans. Des détroits maritimes stratégiques séparent les îles indonésiennes, dont le détroit de Malacca où transitent plus de 2/3 du transport mondial d’hydrocarbures. Or, de nombreux contentieux territoriaux sur ces espaces maritimes s’exacerbent dans les années 2020. La Chine revendique sa souveraineté sur la mer de Chine méridionale, empiétant sur les zones économiques exclusives (ZEE) des pays bordiers. L’archipel indonésien des Natuna suscite l’intérêt de Pékin du fait de la présence d’un important champ de gaz fossile de la région. L’Indonésie s’associe alors à l’Australie pour contrebalancer l’action chinoise et ouvrir une route maritime alternative. Elle crée des ports en eaux profondes en mer de Timor entre les îles de Java et du Timor, mais aussi Darwin et Cairns. Elle ambitionne de s’imposer en acteur incontournable dans le contexte de tensions croissantes en Indopacifique. 

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Axel Riondet

Source image : South China Morning Post

Source carte : Matthieu Alfré et Christophe Chabert - Le monde en cartes : méthodologie de la cartographie (2023)

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