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Énergie x Environnement – La France dans le noir

11/09/2022

Produit de l'histoire contemporaine, le modèle énergétique de la France vise à assurer notre souveraineté énergétique. Or, le bouquet énergétique français présente de graves fragilités en 2022 dans un contexte géopolitique tendu. Pour consolider sa résilience énergétique, la France devra réaliser des efforts drastiques en production comme en consommation.

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Produit de l'histoire contemporaine, le modèle énergétique de la France vise à assurer notre souveraineté énergétique.

  • Le système énergétique français est le fruit d’une volonté politique visant la souveraineté énergétique. Pour contrecarrer sa faible détention de ressources fossiles, la France de l‘après-guerre opte pour un modèle énergétique original fondé sur l’énergie nucléaire. Initiée dans les années 1950 et 1960 par de Gaulle, la filière de l’atome se structure dans les années 1970 sous l’impulsion du Premier ministre Pierre Messmer. La pertinence de cette planification énergétique est confirmée par les chocs pétroliers (1973, 1979) et la vigueur de la coopération internationale (G7, AIEA). Héritière du plan Messmer de 1974, la filière énergétique de la France dispose ainsi d’une source d'énergie bas carbone (56 réacteurs) et conserve un rôle majeur dans la recherche de pointe (projet ITER sur la fission). Cette perspective de sécurité énergétique guide les politiques publiques françaises de l’après-guerre jusqu’à nos jours.

  • Toutefois, signe de notre dépendance énergétique, la production française fait appel à de nombreuses importations soumises aux aléas géopolitiques. La consommation d’énergie primaire en France repose sur le nucléaire (40%), le pétrole (28%) ou encore le gaz (16%) selon le bilan énergétique de la France (2021). Or, la France a un taux de dépendance énergétique de 48% tant elle est contrainte d’importer son pétrole d’Arabie Saoudite et du Kazakhstan (66% du total) et son gaz majoritairement de Norvège (42%). Depuis les années 1990, l'évolution des sources d’énergies consommées reflète une importante divergence entre croissance vive (énergies renouvelables), hausse modérée (nucléaire, gaz) et baisse rapide (charbon, pétrole). Ces caractéristiques du système énergétique de la France nous assujettissent aux aléas géopolitiques qui affectent les pays producteurs de matières premières.

  • Aussi, la transition énergétique engagée par la France vise une résilience accrue dans un système marqué par une forte inertie. La loi « Transition énergétique pour la croissance verte » de 2015 affiche de nouveaux objectifs. Elle ambitionne de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) pour tendre vers l’horizon contesté de « croissance verte ». Cependant, ses buts initiaux apparaissent déjà inatteignables comme en témoigne la part insuffisante d’énergie renouvelable dans le bouquet énergétique français. En 2019, la loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat (LPEC) fixe les nouvelles priorités d’action publique en prenant en compte le rehaussement de l’objectif européen de réduction des émissions de GES nettes de 55% d’ici 2030 (Fit for 55). Si les dispositifs législatifs et réglementaires s’empilent, la tension s’exacerbe entre l’inertie du système énergétique et les fluctuations du contexte géopolitique.

Or, le bouquet énergétique français présente de graves fragilités en 2022 dans un contexte géopolitique tendu.

  • En 2022, le déséquilibre entre offre et demande d'énergie se traduit par une explosion des prix énergétiques en Europe. Extrêmement volatils, les prix fluctuent récemment autour de 500 euros par mégawattheure (MWh) selon le gestionnaire du Réseau de Transport d’Électricité (RTE). Le prix de gros a même atteint plus de 1 000€ par MWh fin août 2022, contre 85€ en août 2021. Le gouvernement français tente de contenir l’inflation par la mise en place d’un bouclier tarifaire instauré au début de l’année 2022. Cette protection contient la hausse du prix réglementé de l’électricité à 4% tout en gelant le tarif du gaz. Ce bouclier tarifaire devrait être prolongé en 2023 pour un coût dépassant les 20 Md€. L’État tente ainsi de protéger la population et l’économie nationale face à la hausse des prix énergétiques, quoi qu’il en coûte.

  • La récente augmentation des prix énergétiques résulte des tensions géopolitiques qui s’imposent aux pays européens. Car, en représailles à l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, les pays occidentaux ont imposé au régime de Poutine une série de sanctions sans précédent dont des restrictions sur l'importation d’énergies fossiles (charbon, pétrole) et l’exclusion de banques du réseau SWIFT. Répliquant avec son arme énergétique, la Russie a fortement restreint ses livraisons de gaz, dont l'Union européenne est extrêmement dépendante (45% du gaz importé). Pour Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre Énergie de l’Institut Jacques Delors, « il y a un risque de pénurie [de gaz] énorme, et ce pour au moins cinq ans ». En France, le géant gazier Gazprom suspend ses livraisons de gaz à Engie, menaçant directement les ménages français. Les prix du gaz ont explosé dans toute l'Europe, ce qui aggrave la crise énergétique générale.

  • L’envol des prix provient aussi de fragilités techniques qui restreignent la production énergétique. Dans le cas français, 32 des 56 réacteurs nucléaires d’EDF sont aujourd’hui à l’arrêt en raison de problèmes de corrosion et d’opérations de maintenance. Censé démarrer en 2012, le réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville voit sa mise en œuvre reportée. Du fait des défauts constatés sur 8 soudures, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) surveille la réparation de l’EPR, ce qui rallonge le délai de mise en service. Par rapport au budget initial, les coûts du chantier ont ainsi été multipliés par 3. Les surcoûts sont estimés à 11 Md€. Ainsi, la France se trouve dans l’obligation d’accroître ses réserves de gaz et d’importer de l’électricité à l’étranger, exacerbant d’autant l’inflation des prix énergétiques. Endogènes comme exogènes, les contraintes énergétiques fragilisent l’économie de la France et menacent sa stabilité sociale.

Pour consolider sa résilience énergétique, la France devra réaliser des efforts drastiques en production comme en consommation.

  • L’objectif impérieux d'atteinte de la neutralité carbone imposera à la France d’électrifier davantage son économie d’ici 2050. À l’échelle mondiale, l’accord de Paris, adopté par 196 parties lors de la COP 21 (2015), oblige à limiter le réchauffement climatique à un niveau inférieur à 2°C, allant de préférence à 1,5°C, par rapport aux températures de l’ère préindustrielle. À l’échelle nationale, le candidat Emmanuel Macron a déclaré à Marseille en 2022, durant l’entre-deux-tours, que « la politique qu’il [mènera] dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas ». Dans un contexte d'électrification des usages, la France doit ainsi décarboner son bouquet énergétique, c’est-à-dire remplacer les énergies fossiles par des énergies bas carbone. Les modes de transports représentent la première source d’émission de GES en France (24%), ce qui plaide pour une électrification rapide de nos modes de transport.

  • La décarbonation du système énergétique impliquera des efforts d’investissements massifs dans les énergies renouvelables et le nucléaire. En effet, l’entreprise RTE projette les évolutions de la consommation et dégage 6 scénarios garantissant la sécurité d’approvisionnement et la décarbonation des systèmes électriques pour que la France atteigne ses objectifs prioritaires (Futurs énergétiques 2050, 2021). Selon l’étude, « le système électrique de la neutralité carbone peut être atteint à un coût maîtrisable pour la France », mais il est urgent d’agir. Développer les énergies renouvelables, optimiser le réseau ou miser à terme sur un système hydrogène bas carbone sont autant d'axes essentiels dégagés par RTE. S’inscrivant dans cette perspective, le plan France 2030 accorde une place importante aux financements vers le nucléaire civil. La place du nucléaire dans la transition énergétique reste encore débattue en raison des risques d’incidents de sécurité et du stockage des déchets.

  • L’optimisation de la demande énergétique s’imposera avec tout autant de vigueur à tous les acteurs français. « Face au risque de pénurie, il n'y a qu'une seule voie : la baisse de la consommation d'énergie », alerte la première Ministre Elisabeth Borne à l’occasion de la rencontre du Medef fin août 2022. Aussi, la sobriété et l’efficience de la demande apparaissent des impératifs de plus en plus partagés, par le gestionnaire du réseau électrique et des associations non gouvernementales (ONG), dont négaWatt ou le Réseau Action Climat (RAC). À l’échelle européenne, la France s’inscrit dans une tendance à la réduction de la consommation énergétique, ciblant –15% pour le gaz naturel en 2023. La Commission européenne propose aussi des mesures pour circulariser l’économie (éconception). Dans ce contexte troublé, l’expert Jean-Marc Jancovici, auteur du Plan de transformation de l’économie française (PTEF), considère qu’il serait « temps de se réveiller », et, de préférence, avant que nous ne soyons plongés dans le noir...

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Adrien Gredy

Source image : L’Usine nouvelle

Source carte : NeoGeopo / Apolline B. [rendons à Apo ce qui est à Apo]

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