États-Unis x Chine – Taïwan, le hérisson face au dragon

 

18/09/2022

Située en Asie orientale, Taïwan est une île stratégique dont l’histoire contemporaine en fait un foyer de tensions. Au début du XXIe siècle, Taïwan devient le carrefour stratégique de la globalisation et de la géopolitique mondiales. Les crises géopolitiques sur le statut de Taïwan risquent de se multiplier au point de déstabiliser la géopolitique régionale et mondiale.

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Située en Asie orientale, Taïwan est une île stratégique dont l’histoire contemporaine en fait un foyer de tensions.

  • Taïwan occupe une position géographique dans les mers de Chine au centre de l’Asie orientale. Il s'agit d'un territoire insulaire, anciennement appelé Formose, qui sépare la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale. Taïwan se situe le long d’un axe nord - sud sur une chaîne d’îles asiatiques, du Japon à la Malaisie, face à la Chine continentale. Elle se trouve sur l’une des artères de la mondialisation contemporaine, voie de passage importante par laquelle transitent 80% des importations chinoises et entre 30 et 40% du commerce maritime mondial ce qui atteste de sa position géostratégique dans cette région (Atlas des crises et des conflits, Boniface et Védrine, 2021). Prétendant à la souveraineté sur la Chine continentale depuis 1949, Taïwan « se comporte comme un Etat indépendant » selon Mathieu Duchâtel (Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, 2011). Son territoire représente 36 000 km2 pour 23,5 millions de Taïwanais en 2022.

  • Traumatisée par les guerres, Taïwan est investie au XXe siècle par les nationalistes chinois qui affirment leur indépendance. Au terme du XVIIe siècle, la dynastie des Qing conquiert Taïwan à la suite d’expéditions navales, sans pour autant l’intégrer dans leur territoire. Après plusieurs défaites militaires, la Chine doit renoncer à sa suzeraineté sur l’île de Formose. Car les ambitions coloniales sur Taïwan de l’empire du Japon Meiji (« gouvernement éclairé ») s’installent par la signature du traité de Shimonoseki (1895) qui conclut la première guerre sino-japonaise. L’histoire récente de Taïwan est marquée par la guerre civile chinoise (1927-1949) dont l’issue constitue un tournant fondamental pour Taipei comme pour Pékin. En 1945, la rétrocession de Taïwan à la République Populaire de Chine (RPC) par le Japon vaincu permet aux nationalistes de Tchang Kaï-chek d’y établir leur base de repli. Défaits par les communistes chinois, les nationalistes se réfugient à Taïwan en 1949, ce qui incite la RPC à considérer cette occupation comme illégitime.

  • L’affirmation des ambitions régionales de puissance de la Chine se concrétise par un essor des revendications sur Taïwan. Les discours menaçants tenus envers Taïwan par les acteurs chinois ne cessent de croître dans les années 2010 et 2020. Taïwan représente un enjeu existentiel pour Pékin qui fait de la réunification un objectif prioritaire. Comme l’explique Kharis Templeman, spécialiste de l’Asie de l’est et de Taïwan, dans The Diplomat, la Chine adopte « une stratégie à deux voies » vis-à-vis de l’île, celle d’une « coopération sélective ». Elle dissuade les velléités indépendantistes par l’intimidation tout en augmentant les interdépendances par le commerce. En martelant le principe d’une seule Chine, Pékin met tout en œuvre pour accentuer l’isolement de Taipei sur la scène internationale. Cette politique connaît un certain succès puisque seuls 14 États reconnaissent désormais Taïwan principalement en Amérique latine, dans le Pacifique et au Vatican.

Au début du XXIe siècle, Taïwan devient le carrefour stratégique de la globalisation et de la géopolitique mondiales.

  • Le succès de la stratégie de développement de Taïwan la positionne comme carrefour de la mondialisation technologique. Taïwan profite de la place stratégique qu’elle occupe dans la mondialisation des industries numériques. Elle contrôle le plus grand et le plus innovant des fabricants de semi-conducteurs au monde, Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), fournisseur vital pour les acteurs des écosystèmes numériques américain, chinois et européen, mais aussi, pour les grandes industries (défense, aéronautique, automobile). TSMC possèderait près d’une décennie d’avance sur ses concurrents notamment en ce qui concerne microprocesseurs les plus sophistiqués. Selon la Semiconductor Industry Association (SIA) l’entreprise taïwanaise produit à elle seule plus de 90% du marché des puces dernier cri. Tout arrêt de production engendrerait des conséquences graves sur les industries manufacturières et les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Taïwan représente ainsi le goulet d’étranglement majeur dans la chaîne de valeur de l’industrie électronique mondiale.

  • Taïwan devient aussi un foyer de crispations qui cristallise les tensions géopolitiques en Asie orientale. Malgré les interdépendances économiques, les crispations géopolitiques s’exacerbent autour de Taïwan. L’interpénétration commerciale entre Taipei, Pékin et Washington ne cesse de s’accentuer. Car la Chine et les États-Unis sont les deux principaux partenaires de Taïwan avec respectivement 40% et 12% des exportations en 2021 selon Trading Economics. Toutefois, la confrontation militaire entre les deux premières puissances mondiales attise les tensions régionales, ce qui pourrait provoquer un casus belli. Lors du dialogue de Shangri-La de juin 2022 à Singapour, le ministre de la défense chinois Wei Fenghe prononce une rhétorique de plus en plus belliqueuse : « si quelqu’un ose séparer Taïwan de la Chine, l’armée chinoise se battra à tout prix pour écraser résolument toute tentative de sécession ». Source potentielle de pacification des relations internationales, l’interdépendance économique renforce ici les antagonismes entre les puissances.

  • Ainsi, toute crise géopolitique majeure à Taïwan présenterait des conséquences lourdes sur les économies mondialisées. À l’assertivité de la volonté de Xi Jinping, soucieux de régler la question taïwanaise, fait face la fermeté du soutien affiché par les États-Unis de Joe Biden. Selon The Economist, en mai 2021, Taïwan est devenu « l’endroit le plus dangereux du monde ». Dans ce contexte belligène, la visite éclair de la présidente de la Chambre des Représentant des États-Unis, Nancy Pelosi, figure « l’apogée de la crise entre la Chine et les États-Unis » pour Marc Julienne responsable des activités Chine de l’IFRI. Cet événement, qui, selon le président chinois revient à « jouer avec le feu », a entraîné des représailles militaires (blocus maritime et aérien), économiques (embargo sur les produits agro-alimentaires) et diplomatiques (suspension des pourparlers climatiques sino-américains). Ces mesures de rétorsions, loin d’être un ferme signe de puissance, constituent un désaveu pour la politique d’unification pacifiste de la Chine.

Les crises géopolitiques sur le statut de Taïwan risquent de se multiplier au point de déstabiliser la géopolitique régionale et mondiale.

  • Le gouvernement taïwanais met tout en œuvre pour préserver sa souveraineté et son indépendance au point de se militariser. La pression chinoise exercée sur Taïwan impose à l’île d’accroître drastiquement son « hard power » pour faire monter les coûts d’une invasion. En effet, face à une invasion potentielle, corroborée par la présence permanente de l’armée populaire de libération (APL) dans la zone, Taïwan opte pour une stratégie défensive dite du porc-épic. Ainsi, sous la présidence de Tsai Ing-wen le budget militaire augmente de plus de 50% depuis 2016 pour culminer à 20 Md€ en 2022 d’après le site spécialisé Opex 360. Tous ces efforts budgétaires s’opèrent dans d’importants programmes de défense, notamment pour sa composante maritime avec le déploiement de son programme de sous-marins de défense indigènes (IDS) de conception nationale, ses forces aériennes ou ses capacités missilières obligent « une croissance à deux chiffres des dépenses militaires » taïwanaises pour Wang Kun-Yih, président de la Taïwan International Strategic Study Society.

  • Des alliances régionales en Asie orientale sont organisées pour contrecarrer l’unification chinoise et préserver la démocratie taïwanaise. La Chine craint la multiplication des partenariats de sécurité dans l’Indo-Pacifique. Par exemple, le Quadrilateral Security Dialogue (QUAD) entre les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie, et le partenariat AUKUS de 2021 entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni, resserrent son endiguement. Sous l’impulsion américaine, ces alliances stratégiques contraignent les ambitions du géant chinois dans la sous-région tandis que la Chine s’appuie sur une posture de contestation de l’ordre occidentalo-centré. Sur le volet économique, la proposition de Joe Biden, de lancer une Structure économique indo-pacifique pour la prospérité (Indo-Pacific Economic Framework for Prosperity – IPEF) en mai 2022 consacre l'extension du domaine de la lutte au-delà du champ militaire. Cette initiative diplomatique vise à préserver les valeurs démocratiques, l'État de droit, la résolution pacifique des conflits et l'intégrité territoriale des États.

  • L’horizon du centenaire de l’accession au pouvoir des communistes en 2049 pourrait constituer un tournant pour Taïwan et le monde. Pékin tend à redéfinir ses priorités économiques en rééquilibrant son économie. La dépendance de pans de l'industrie chinoise sera atténuée afin que la Chine devienne la grande puissance mondiale d’ici 2049, date du centenaire de la RPC. L’interdépendance économique avec Taïwan est appelée à s’atténuer avec le plan « Made in China 2025 ». En outre, la réunification constitue « la tâche historique et immuable du Parti communiste chinois » selon Xi Jinping dans son discours célébrant le centenaire de la naissance du Parti (PCC) en juillet 2021. Dans leur ouvrage de prospective, James Stavridis et Elliot Ackerman racontent comment la Chine et les États-Unis entrent en guerre en 2034, le conflit commençant par une bataille navale au large de Taïwan (2034: A Novel of the Next World War). Cet été 2022, la réalité géopolitique a effleuré la fiction académique.

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Axel Riondet

Source image : France 24

Source carte : NeoGeopo / Apolline B. [rendons à Apo ce qui est à Apo]

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