France x Algérie – Du trauma au partenariat

 

25/09/2022

Issues du colonialisme et marquées par la guerre, les relations entre la France et l’Algérie sont dégradées par une mémoire traumatique. Toutefois, les gouvernements de la France et de l’Algérie s'affichent conscients des priorités stratégiques qui les rapprochent aujourd’hui. Si le partenariat franco-algérien constitue une coopération décisive, il laisse inchangés les défis structurels que rencontre l’Algérie.

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Issues du colonialisme et marquées par la guerre, les relations entre la France et l’Algérie sont dégradées par une mémoire traumatique.

  • Dès le début du XIXe siècle, la colonisation de l’Algérie par la France s’opère dans une perspective de peuplement et d’exploitation. Le débarquement en 1830 à Sidi-Ferruch par l’armée d’Afrique marque le début de la colonisation algérienne. Cette colonisation militaire s’accompagne d’une colonisation de peuplement : les colons s’installent et aménagent le territoire algérien. En 1848, l’Algérie devient un territoire français avec 3 départements : Alger, Oran et Constantine. Dès 1881, le Code de l’indigénat est appliqué sur les populations autochtones jusqu’à son retrait en 1946. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les partis nationalistes se renforcent et contestent l'emprise métropolitaine sur les colonies. En 1945, les émeutes à Sétif et dans le Constantinois sont réprimées par l’armée dans la violence. Elles font plusieurs milliers de morts parmi les sympathisants nationalistes et plus d’une centaine parmi les Européens.

  • Suscitée par le refus des aspirations nationalistes, la guerre d’Algérie (1954-1962) traumatise les mémoires nationales. La guerre d’Algérie est déclenché par les attentats de la « Toussaint rouge » de 1954 qui sont revendiqués par le Front de libération nationale (FLN). Le gouvernement de Pierre Mendès-France refuse toute négociation avec les nationalistes, comme Messali Hadj et Ferhat Abbas. Il s’ensuit un cycle de violences, incluant des actes de torture et de terrorisme, qui justifie la mise en place de l'état d’urgence. Signés en 1962, les accords d’Évian proclament le cessez-le-feu, préalable à l’indépendance de l’Algérie. Cette guerre traumatise les populations comme en témoignent les essais du psychiatre anticolonial Frantz Fanon (L’an V de la révolution algérienne, 1959) et les œuvres de l’écrivain algérien Mohammed Moulesshoul, connu sous le pseudonyme de Yasmina Khadra. Ainsi, Ce que le jour doit à la nuit (2008) narre le quotidien des « pieds noirs » – communautés de Français originaires d’Algérie – dans une Algérie coloniale divisée et ébranlée par le terrorisme.

  • La mémoire traumatique des populations est entretenue par des prises de positions problématiques en France comme en Algérie jusqu’aux années 2020. L’historien Benjamin Stora pointe « l'oubli de la guerre » en France et « la frénésie de la commémoration de la guerre » en Algérie (revue Hommes et Migrations, 2003) entre la fin de la guerre et les années 1990. Toutefois, la reconnaissance mémorielle s’accélère dans les années 2020 avec la publication du rapport sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » (2021). Remis par Benjamin Stora à Emmanuel Macron, le rapport préconise notamment la création d’une commission « Mémoire et vérité » pour des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur la mémoire, la mise en place de « lieux de mémoires » en France ou la facilitation de la mobilité des harkis, ces supplétifs algériens de l’armée française. Le président français affiche sa volonté d'apaiser les mémoires tout en rejetant le dilemme entre fierté et repentance.

Toutefois, les gouvernements de la France et de l’Algérie s'affichent conscients des priorités stratégiques qui les rapprochent aujourd’hui.

  • Les économies françaises et algériennes sont confrontées aux défis du développement ou de la transition. Si la France affiche s'impliquer dans la transition écologique, le contexte de crise énergétique en 2022 rend indispensables les approvisionnements algériens. L’Algérie s'impose comme un acteur majeur de la diversification des fournisseurs gaziers de l’Europe et de la France. Elle représente 10% du gaz européen, part qui a d’ores et déjà augmenté depuis février 2022. Dépendante de sa rente de matière première, l’économie algérienne place son émergence au sommet des priorités. Bien des acteurs économiques français sont impliqués dans le développement du pays. Par exemple, en juillet 2022, le géant pétro-gazier Sonatrach a renouvelé un contrat de production pour 4 Md€ dans le bassin de Berkine avec notamment le français TotalEnergies et l’italien ENI. Affichant une logique partenariale, la France et l’Algérie resserrent leurs liens pour atteindre leurs objectifs économiques dans la durée.

  • La régulation des migrations dans l’espace méditerranéen passe par une relation plus forte entre la France et l’Algérie. Depuis les printemps arabes (2011), l’Afrique du Nord est perçue par l’Europe comme une plaque tournante des migrations. Face à la pression migratoire entretenue par les crises politiques (Égypte, Algérie, Tunisie) et les guerres civiles (Libye, Syrie), l’Algérie devient l’un des verrous des migrations clandestines vers l’Europe. Mise en place à la suite de la crise migratoire de 2015, l’initiative conjointe entre l’Union européenne (UE) et l’Organisation internationale des migrations (OIM) de 2016 vise à la protection et la réintégration des migrants dans leurs pays d’origine. L’Algérie occupe une place importante dans ce dispositif tant elle représente un pays de transit dans les migrations en provenance d’Afrique de l’Ouest. Face à l’essor de l’immigration clandestine de ressortissants algériens, et à la réticence de l’Algérie de les réadmettre au pays, Emmanuel Macron augmente la pression en 2021 sur le gouvernement algérien.

  • La France et l’Algérie ciblent ensemble le terrorisme qui met en danger la sécurité de leurs populations. L’Algérie dispose d’une expérience dans la lutte antiterroriste tant elle a dû faire face au djihadhisme pendant « la décennie noire ». Entre 1991 et 2002, cette guerre civile oppose le gouvernement algérien, disposant de l’Armée nationale populaire (ANP), et divers groupes islamistes, dont le Groupe islamique armé (GIA). La guerre s’achève par la victoire des forces gouvernementales et la défaite du GIA, groupe ayant aussi visé la France en 1995. Mais, les affrontements font entre 60 000 et 150 000 morts en 10 ans, ainsi que des milliers de disparus, un million de personnes déplacées, des dizaines de milliers d'exilés et plus de 20 Md$ de dégâts. La violence des attentats et le bafouement des droits des femmes pendant cette période restent encore aujourd’hui ancrés dans l’imaginaire social en Algérie comme l’illustre le film Papicha (2019), César du meilleur premier film 2020.

Si le partenariat franco-algérien constitue une coopération décisive, il laisse inchangés les défis structurels que rencontre l’Algérie.

  • Le partenariat acté par les présidents Macron et Tebboune en août 2022 aborde les dossiers fondamentaux des relations franco-algériennes. En effet, la multiplicité des intérêts croisés, alors même que les tensions restent vives entre Paris et Alger, s’accompagne du besoin de rapprocher les pays selon une logique d’apaisement. La déclaration d’Alger du 27 août 2022 prévoit l’établissement d’une commission mixte d’historiens algériens et français pour étudier les archives sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Elle s’étend à des domaines d’innovation qui concernent la jeunesse française et algérienne. Le président Emmanuel Macron a notamment affiché sa volonté à créer un « incubateur commun de start-ups » dont l’objectif est d’établir un « écosystème d’entreprenariat franco-algérien ». Dans le contexte actuel d’urgence climatique et sanitaire, la déclaration comporte une dimension environnementale car la Méditerranée est qualifiée de « trésor commun en partage ».

  • Ce nouveau partenariat ne saurait combler les fragilités de la société et de l’économie de l’Algérie, minées par la corruption et le clientélisme. Dans les années 2020, la crise économique creuse la crise socio-politique de la nation algérienne. Le pays rétrograde à la 117e place du classement de Transparency International sur la corruption. Elle s’enfonce dans la crise alimentaire en même temps qu’elle est frappée par la crise sanitaire en 2020. La « crise de la semoule » met en lumières les fragilités socio-économiques du pays. Cette pénurie généralisée aggrave les tensions sociales dans un pays heurté par le coronavirus. Ce contexte d’instabilité sociale ne fait que donner de l’élan au mouvement du Hirak (2019-2021) qui refuse la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel. Successeur de Bouteflika, le président Abdelmadjid Tebboune apparaît soucieux de rétablir l’ordre avec un durcissement généralisé, attesté par le resserrement de la politique pénale et l’hostilité envers son voisinage.

  • L’Algérie demeure aussi entravée par ses relations tendues avec les pays de son environnement régional. Les relations n’ont jamais été aussi dégradées depuis la guerre des sables qui oppose l’Algérie et le Maroc (1963-1964) autour du conflit historique du Sahara occidental. En effet, l’année 2021 traduit une escalade généralisée des tensions entre le Maroc et l’Algérie. Le 24 août 2021 marque la rupture par l’Algérie des relations diplomatiques officielles entre les deux pays : contentieux sur le Sahara occidental, rapprochement du Maroc avec Israël et rivalité pour le leadership régional expliquent cette rupture unilatérale. Confirmant cette tendance belligène, le Monde estime qu’existe « le risque en 2022 d’une guerre entre l'Algérie et le Maroc » (2021). La même année, l'Algérie ferme le gazoduc Maghreb-Europe qui prend le Maroc pour pays de transit. Déstabilisée de l’intérieur et à l’extérieur, l’Algérie se cherche des partenaires robustes en surmontant les traumatismes de son histoire.

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Doha Yahyi

Source image : Courrier International

Source carte : NeoGeopo / Apolline B. [rendons à Apo ce qui est à Apo]

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