NeoGeopo

View Original

États-Unis x Mexique - La frontière de la discorde

27/08/2023

La frontière américano-mexicaine est un territoire archétypal de la mondialisation contemporaine. Or, la multiplication des flux et échanges sur cette frontière cause des crises profondes à toutes les échelles. Ainsi, dans un contexte de transformation démographique et environnementale, la question frontalière continuera de perturber les relations américano-mexicaines. 

***

La frontière américano-mexicaine est un territoire archétypal de la mondialisation contemporaine. 

  • La frontière entre les États-Unis et le Mexique forme une importante ligne de démarcation géographique, politique et symbolique. Elle s’étend de l’océan Pacifique au golfe du Mexique sur plus de 3 150 kilomètres. Elle suit le cours de fleuves (Rio Grande, Colorado) et traverse des régions arides. Elle clive aujourd’hui des villes jumelles comme Tijuana et San Diego ou encore El Paso et Ciudad Juárez. L’établissement de cette frontière ponctue la conquête du nouveau monde et l’établissement des nations nord-américaines d’aujourd'hui. Au XVIe siècle, les Espagnols ont colonisé une grande partie du Mexique, notamment avec Hernán Cortés après 1519, tandis que les États-Unis sont devenus indépendants en 1776. Ainsi, la frontière entre ces pays tend vers sa forme actuelle à la suite de la guerre américano-mexicaine (1846-1848) à l’issue de laquelle le traité de Guadeloupe Hidalgo est signé. Ce traité acte la cession d’un territoire de plus de 1,3 million de km² aux États-Unis : la Californie, le Nevada, l’Utah, une partie du Nouveau Mexique, de l’Arizona, du Wyoming et du Colorado font l’objet du traité. 

  • Cette frontière reste un lieu d’opportunité pour les deux États qui la bordent. En effet, au XXe siècle, ils exploitent son statut d’interface démographique et économique. Le programme Bracero (1942-1964) constitue le premier accord d’immigration entre les États-Unis et le Mexique. En raison de la pénurie de main d’œuvre liée à la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis et le Mexique ont signé un accord permettant aux travailleurs mexicains d’entrer en toute légalité sur le territoire états-unien pour exercer un emploi agricole. Concernant plus de 4 millions de travailleurs, ce programme répond au besoin états-unien de main d’œuvre en facilitant la gestion démographique mexicaine. En outre, dans le contexte de la mondialisation contemporaine, la frontière américano-mexicaine offre des opportunités économiques. Les « maquiladoras » industrielles bénéficient d’exonérations fiscales leur facilitant l’importation des pièces, l’assemblage des biens intermédiaires, puis, l’exportation des produits manufacturés. L’accès à une main d’œuvre à coûts réduits, la proximité avec le marché américain et les avantages douaniers font des « maquiladoras » un modèle profitable pour l’émergence de l’économie mexicaine. 

  • Symboles de l’essor de la mondialisation, les relations commerciales entre les deux pays voisins se multiplient. Instauré en 1994, l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) impulse le rapprochement des deux pays frontaliers. L’ALENA est un traité commercial qui unit les pays d’Amérique du Nord, c’est-à-dire le Mexique, le Canada et les États-Unis dans une zone d’intégration régionale (ZIR). Ce traité a été mis en place afin d’optimiser la compétitivité des pays d’Amérique de Nord en stimulant leurs échanges commerciaux. Depuis, les flux commerciaux et humains ont connu une croissance significative. En 2020, les États-Unis étaient le premier partenaire commercial du Mexique. Ils représentent 78% des exportations mexicaines et 49% de ses importations pour un commerce bilatéral évalué à 385 Md$ en 2022 (Business France). Les flux migratoires du Mexique vers les États-Unis sont aussi une source de main-d’œuvre utile. Selon le Pew Research Center, environ 50 % des Mexicains nés à l’étranger vivent aux États-Unis depuis plus de 20 ans et 31 % d'entre eux sont citoyens états-uniens.  

Or, la multiplication des flux et échanges sur cette frontière cause des crises profondes à toutes les échelles. 

  • La multiplication des flux de biens et de personnes entraîne des crises locales liées à l’économie souterraine. Le Département d’État estime qu’environ 95% de la cocaïne consommée aux États-Unis passe par le territoire mexicain. Par exemple, la Basse-Californie représente une des principales portes d’entrée de la drogue latino-américaine aux États-Unis. Ainsi, les villes jumelles (« twin cities ») de Mexicali et de Calexico sont un lieu de transit du trafic de drogues illicites. Entre 2010 et 2017, plus de 80 « narco-tunnels » transfrontaliers ont été découverts par les autorités étasuniennes et mexicaines. Comme les cartels s’imposent par la force, les villes jumelles font face à une banalisation de la violence. Des cartels mexicains présents en Californie, en Arizona et au Texas se disputent la domination de territoires. À Mexicali, environ 60 homicides liés au trafic de drogues ont eu lieu en 2018. Ces guerres de cartels expliquent l’explosion des violences quotidiennes dans cet espace transfrontalier.  

  • Des crises nationales liées aux inégalités socio-territoriales prennent place des deux côtés de la frontière. Les villes frontalières présentent de grandes inégalités sociales, ce qui se traduit par une ségrégation socio-spatiale entre les résidents de divers quartiers. Selon Marie-Carmen Macias, les inégalités sociales sont subies par les frontaliers, car, « dans les deux pays, les frontaliers ont une situation des plus précaires. Aux États-Unis, il s’agit de migrants mexicains illégaux qui évitent de rentrer au pays pour ne pas perdre toute chance de revenir vers les États-Unis » (Transcontinentales, « Jeux et enjeux d’une mobilité transfrontalière à contre-courant à la frontière Mexique-États-Unis », 2010). De plus, « l’américanisation » des villes-frontières efface les commerces mexicains au profit de grandes entreprises étasuniennes comme Walmart. Du côté des Etats Unis, les logements en périphérie des centres villes sont en majorité habités par des citoyens issus de l’immigration mexicaine. 

  • Des tensions régionales sont liées à la remise en cause d’accords commerciaux entre les deux pays. Fruit de cette transformation, l’ACEUM est entré en vigueur en 2020 pour remplacer l’ALENA. Il gouverne dorénavant les échanges commerciaux et d'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Après son investiture en 2017, le Président Donald Trump avait annoncé son ambition de revoir l’accord de libre échange qui n’était, selon lui, plus équitable pour le pays et les États-uniens. Ayant fait campagne sur la construction d’un mur avec le Mexique (« Build the Wall! »), Donald Trump a déclaré en 2017 : « le Mexique a suffisamment profité des États-Unis. Le déficit commercial massif et le manque d’aide sur une frontière poreuse doivent changer, maintenant ! ». Les négociations difficiles de l’ACEUM se sont centrées sur la préservation de l’origine nord-américaine de l’acier et la lutte contre le « dumping social » mexicain. La dépendance commerciale du Mexique aux États-Unis a débouché sur un accord plus favorable aux États-Unis. 

Ainsi, dans un contexte de transformation démographique et environnementale, la question frontalière continuera de perturber les relations américano-mexicaines. 

  • Des transformations démographiques et environnementales sont à prévoir en Amérique du nord, perturbant la relation américano-mexicaine. Selon le recensement effectué aux États-Unis en 2020, les citoyens s’identifiant de race blanche (ni hispaniques, ni latinos) enregistrent une décroissance avec 58% de la population en 2020 contre 64% en 2010. Cette fragilisation des Blancs s’effectue au profit des Latinos dont le nombre augmente de 23% sur la période pour atteindre 19% de la population en 2020. Ils se concentrent dans les États frontaliers comme la Californie où ils forment 39% des résidents. Cette transformation démographique à l’œuvre peut rapprocher voire hybrider les deux nations. Confrontée aux catastrophes naturelles, l’Amérique centrale est en première ligne face au changement climatique et à ses conséquences humaines. Dans les années 2020, un couloir de la sécheresse se précise entre le Guatemala et le Honduras en passant par le Salvador. Aussi, les États-Unis doivent se préparer à l’arrivée croissante de réfugiés climatiques par le Mexique au XXIe siècle. 

  • Face aux transformations de l’Amérique du nord, le fantasme protectionniste et nationaliste aux États-Unis s’exacerbe. L’idéal d’une frontière imperméable est souvent évoqué dans les débats sur l’immigration et la sécurité aux États-Unis. Toutefois, sa mise en œuvre complète et effective n’apparaît pas réalisable dans les années 2020. Mis en place durant le mandat de Donald Trump (2017-2021), le Titre 42 semblait le meilleur moyen de verrouiller l’accès du territoire américain depuis le début de la pandémie. Le Titre 42 conférait aux autorités américaines le droit de refuser tous les migrants entrés dans le pays, y compris les demandeurs d’asile. Levé en mai 2023, cette réglementation n’a fait qu’accentuer la demande migratoire vers les États-Unis. Alejandro Mayorkas, ministre américain de la Sécurité intérieure, s’était exprimé sur la fin du Titre 42, et le risque de flux migratoires intenses, en disant qu’il serait possible que les « jours et semaines à venir » soient « très difficiles ». En effet, craignant de ne pas pouvoir passer la frontière pendant 5 ans, de nombreux migrants s’y sont précipités pour réclamer l’asile dans délais courts.   

  • Ainsi, une nouvelle coopération transfrontalière reste à construire entre les pays voisins. Depuis son arrivée au pouvoir, Biden tente de renforcer ses liens avec le Mexique et le Canada, ce qu’attestent ses mots au sommet de l’Amérique du Nord (2023) pour que les 3 nations deviennent « la région économique la plus compétitive, prospère et résiliente du monde ». Dans ce cadre, reliés par leur géographie, leur histoire et leur démographie, les États-Unis et le Mexique pourraient gagner à fluidifier leur coopération transfrontalière. Dans Les Neufs Nations de l’Amérique du Nord (1981), Joel Garreau regroupe dans la Mexamérique des populations situées de part et d’autre du Rio Grande, unies par des liens linguistiques, économiques et sociaux. Cette Mexamérique prend une forme de plus en plus tangible au XXIe siècle. Pour David E. Lowey, la coopération régionale de la frontière est ainsi garante de l’avenir des États-Unis et du Mexique : « les interconnexions économiques et les interdépendances relient maintenant fermement entre eux les dix états et les deux pays en tissant une seule région et la réussite économique de cette région est la clef du futur entre les deux pays » (cité par Alain Vanneph, Bulletin de l’association des géographes français, « Mexique/États-Unis : vers quelle forme transfrontalière ? », 1999). 

See this form in the original post

Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Margaux Chérifi Brault

Source image : Le Monde

Source carte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Apolline B.