Géopolitique x Proche et Moyen-Orient - Nouvelle géopolitique de la péninsule arabique
02/09/2023
Depuis 2001, la péninsule arabique est marquée par la violence, ce qui débouche sur un retrait partiel des Occidentaux. Ainsi, les rapports de force sous-régionaux se rééquilibrent au profit de puissances globales ou régionales. Ce basculement de puissance ne contribue guère à la pacification et au développement d'une sous-région en quête d'avenir.
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Depuis 2001, la péninsule arabique est marquée par la violence, ce qui débouche sur un retrait partiel des Occidentaux.
La guerre contre le terrorisme engendre une déstabilisation accrue de la région. Le 11 septembre 2001 a été un accélérateur de changement pour les 7 pays qui composent la péninsule arabique : l’Arabie Saoudite, le Yémen, Oman, le Qatar, les Émirats arabes unis (ÉAU), le Koweït et Bahreïn. En effet, la guerre des États-Unis contre le terrorisme djihadiste a bouleversé la région et obligé les gouvernements à prendre des mesures strictes contre le terrorisme. Alliée des États-Unis depuis le pacte du Quincy (1945), l’Arabie saoudite fait l’objet de pressions du fait du rôle de Saoudiens dans l’attaque commanditée par Oussama Ben Laden (9/11). Arrestations arbitraires et mesures privatives de liberté sont prises dans le cadre de la lutte antiterroriste mise en place par le royaume wahhabite. L’intervention américaine en Irak a fait de certains États du Golfe une base arrière pour ses opérations notamment le Qatar, les ÉAU, Bahreïn et le Koweït. La position des États du Golfe dans ce conflit ne fera que raviver des tensions régionales. S’opposant à cette « guerre préventive » en 2003, Dominique de Villepin, ministre français des Affaires Étrangères, déclarait « une telle intervention pourrait avoir des conséquences incalculables pour la stabilité de cette région » et « elle aggraverait les tensions et risquerait d’ouvrir la voie à d’autres conflits » (Discours à l’Assemblée générale de l’ONU, février 2003).
Dans les années 2010, les Printemps arabes causent des impacts différenciés allant jusqu'à la guerre civile. Révoltes populaires qui ont débuté en Tunisie en 2010, les Printemps arabes ont eu un impact majeur sur les monarchies du Golfe. En 2011, les pays du Golfe font face à des tensions sociales importantes. À Bahreïn, la dynastie sunnite des Al Khalifa s’est imposée à la population majoritairement chiite. Le climat social se dégrade au point d’initier un mouvement d’ampleur par mimétisme avec d’autres nations arabes. La puissante répression du gouvernement débouche sur la cessation brutale des revendications. En Arabie Saoudite, des tensions et des contestations ont aussi été marquées. Cependant, après la chute d’autres dirigeants arabes comme Ben Ali en Tunisie (2011) et la démission d’Housni Moubarak (2011) en Egypte, Riyad se refuse à céder, donc, emprisonne des opposants et manifestants. Enfin, la Syrie est aussi touchée par les Printemps arabes, qui ont dégénéré en guerre civile. En effet, la révolution syrienne de 2011 avait pour but de renverser la dynastie des el-Assad (le père Hafez et le fils Bachar). Refusant l’ouverture démocratique, le régime a provoqué une guerre civile associée à une montée du terrorisme. Le bilan du conflit, toujours évolutif, se chiffre à plus de 400 000 morts en dix ans.
Face à ce désordre, les Occidentaux ajustent leurs priorités vis-à-vis de la sous-région. Les Printemps arabes ont eu comme effet un désengagement partiel de la part de l’Occident dont les États-Unis d’Amérique. Selon Alexandra De Hoop Scheffer, les États-Unis sont « contraints de réviser les priorités stratégiques du pays à l’heure où la menace la plus grave à la sécurité nationale des États-Unis est la dette américaine (Obama, discours du 13 avril 2011) et de répondre à de nouveaux défis économiques et géopolitiques relevant à la fois de la puissance de certains États et de la faiblesse d’autres » (Les États-Unis, une puissance en crise d'adaptation, 2013). En effet, pour les États-Unis, la priorité du XXIe siècle devient de contrecarrer la Chine, la péninsule arabique est alors une sous-région à l’intérêt géostratégique de plus en plus relatif. En 2013, Obama ne fait pas respecter sa ligne rouge consistant à sanctionner le régime de Damas en cas d’attaque chimique contre la population, alors même que Bachar el-Assad a employé du gaz sarin contre des civils en périphérie de Damas. En 2019, Trump décide un retrait non-concerté de forces américaines engagées sur le théâtre syrien, ce qui apparaît nuisible aux intérêts de ses alliés européens. Ces décisions significatives témoignent de la volonté des Américains de limiter leur engagement sur ce théâtre d’opérations, ce qui contraint les Européens à un ajustement forcé.
Ainsi, les rapports de force sous-régionaux se rééquilibrent au profit de puissances globales ou régionales.
De grands émergents ayant une stratégie globale s’impliquent de plus en plus dans la péninsule arabique. La Russie s’ingère dans la région pour défendre ses intérêts géostratégiques fondamentaux. Profitant du désengagement américain, elle s’appuie sur ses alliés historiques. Par ses liens avec le clan el-Assad, elle fait monter en puissance son soutien militaire et politique grâce au groupe Wagner dès 2013. Cet investissement lui permet de bénéficier d’un accès aux mers chaudes (Tartous) et de facilités aériennes stratégiques (Hmeimim). Elle développe aussi une politique iranienne pour desserrer les sanctions occidentales vis-à-vis de Téhéran. Puissance extractiviste, elle s’implique aussi dans l’OPEP+ (2016) pour mieux influencer les cours mondiaux du pétrole brut. Enfin, elle coopère aussi avec de nombreux pays de régions dans la lutte contre le terrorisme. Quant à la Chine, elle trouve d’abord son intérêt mercantile dans les relations avec les monarchies du Golfe. Les échanges commerciaux de matières premières entre les pays du Golfe et la Chine sont de plus en plus intenses. La Chine tire près de 80% de ses approvisionnements pétroliers de cette région, ce qui lui permet d'ancrer mieux encore son projet Belt and Road Initiative (BRI) de 2013.
Des pays locaux cherchent à rayonner dans la sous-région pour amorcer leur émergence. Par exemple, les ÉAU et le Qatar constituent deux archétypes des nouvelles stratégies de puissance économique et diplomatique dans la péninsule arabique. Sur le plan économique, ils ont reconnu la nécessité de réduire leur dépendance aux revenus pétro-gaziers. Ils ont entrepris des efforts tangibles de diversification économique. Ils investissent massivement dans des secteurs tels que le tourisme, la technologie, l'énergie renouvelable, les infrastructures et les services financiers pour créer des sources de revenus alternatives et durables. Sur le plan diplomatique, les ÉAU de Mohamed Ben Zayed ont par exemple joué un rôle dans la normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes, tandis que le Qatar de Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani a cherché à faciliter des négociations de paix et de cessez-le-feu, notamment au Soudan et en Afghanistan. Leurs stratégies consistent à s'implanter sur la scène internationale avec des événements de marketing territorial : le Qatar utilise le « soft power » en investissent dans la culture et particulièrement le sport, comme l’illustre l’organisation du mondial de football en 2022.
Des puissances émergentes locales, non arabes, contribuent aussi à transformer la géopolitique sous-régionale. Par exemple, l’Iran est une puissance indépendante majeure dans la région. Il vise à établir une influence politique et religieuse dans la péninsule arabique, en s’appuyant sur les populations chiites, minoritaires ou majoritaires, présentes en Arabie Saoudite, au Bahreïn ou encore au Yémen. La rivalité présente entre Téhéran et Riyad déstabilise en continu les équilibres géopolitiques de la sous-région. Louis Blin analyse ainsi les relations irano-saoudiennes : « leur concurrence a pour déterminant principal le déséquilibre entre un Iran à la population nationale quadruple de celle de l’Arabie saoudite, à l’ancrage national sans commune mesure avec celui d’un pays créé en 1932 seulement, et à l’histoire contemporaine marquée par une lutte anti-impérialiste contrastant avec les alliances des Saoud avec les Britanniques, puis les Américains » (L’Iran et ses rivaux, 2020). Israël profite également des nouvelles stratégies mise en place par la région avec les accords d’Abrahams, actant sa reconnaissance par les ÉAU et Bahreïn (2020). Israël renouvelle ses relations diplomatiques avec ses voisins dans une perspective de sécurité face à son ennemi l’Iran.
Ce basculement de puissance ne contribue guère à la pacification et au développement d'une sous-région en quête d'avenir.
La pacification des territoires est le défi prioritaire tant la péninsule arabique est la zone la plus belligène au monde. Le Yémen est l’exemple le plus évocateur de conflits inextinguibles dans l’histoire de la péninsule arabique. Ce conflit est ancré dans des rivalités ethniques et politiques depuis l’unification du Yémen en 1990. Depuis 2014, le pays est plongé dans une guerre civile complexe impliquant différents acteurs de la sous-région dont l’Arabie saoudite et l’Iran. Les Houthis, groupe rebelle soutenu par l’Iran, ont renversé le gouvernement yéménite en 2014. Cette insurrection aux portes du golfe d’Aden a déclenché une intervention militaire menée par la coalition de l’Arabie saoudite et des ÉAU. La pacification de ce conflit est rendue plus complexe en raison de l’internationalisation des parties prenantes. En outre, malgré l’évolution récente des relations israélo-arabes, le conflit israélo-palestinien se prolonge dans les années 2020. Si l’héritage conflictuel avec Israël reste ancré dans les mémoires, les soutiens gouvernementaux arabes à la Palestine s’affaiblissent.
Le développement réel de la sous-région pose question au vu des premiers bilans nationaux. Historiquement, le développement économique de la péninsule arabique s’est fondé sur les industries pétro-gazières. Sa dépendance envers les énergies fossiles pose question tant sur le plan économique que sur le plan environnemental. Les émissions de gaz à effet de serres (GES) de la sous-région apparaissent parmi les plus élevées au monde. Si des initiatives de diversification sont prises par de nombreux pays, le pétrole représentait 67,9% du revenu de l’Arabie Saoudite en 2019 (Hugo Le Picard, Les économies du Golfe et la transition énergétique : vers une ère post-pétrolière ?, 2020). Au vu des inégalités sociales présentes, le développement de cette sous-région peut être remis en question. Par exemple, aux ÉAU, une partie restreinte de la population détient les richesses, et les travailleurs migrants constituent la part prépondérante de la population. Ces travailleurs sont souvent exploités et confrontés à des conditions de travail précaire, de bas salaires et des violations des droits humains. En février 2021, le journal The Guardian publiait ainsi une enquête révélant que plus de 6 500 migrants travailleurs seraient morts sur les chantiers à marche forcée des stades pour le mondial de football au Qatar. De nombreuses familles de travailleurs ont dénoncé la mort de leurs proches sur des chantiers qataris, sans recevoir ni explication, ni indemnisation.
En proie aux instabilités politiques et territoriales, l’avenir de la sous-région apparaît problématique. Acteurs majeurs de l'économie mondiale, les pays de la péninsule arabique ont de quoi jouer un rôle important sur la scène internationale. Pour autant, l'ingérence territoriale et les nombreux conflits inextinguibles gangrènent le projet d’une sous-région stable, viable et fiable. Dans les faits, la sous-région n’est pas parvenue à pacifier ses conflits et maintient une économie rentière. Sur le plan diplomatique, les rivalités internationales entre les différentes monarchies constitue la source de rancœurs historiques. Selon Tayeb Benabderrahmane, « la situation actuelle du Golfe est aussi complexe que contradictoire et volatile. Il est difficile d’entrevoir la résolution des conflits et la réduction des tensions qui le déchirent » (Le Golfe : un espace en crise perpétuelle ?, 2019). Sur le plan économique, la diversification contrastée de l'économie des pays de la sous-région limite la position stratégique actuelle des pays du Golfe dans le monde de l’après-pétrole. La nouvelle géopolitique de la péninsule arabique apparaît bien le produit de ses déterminants historico-géographiques.
Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Margaux Chérifi Brault
Source image : L’Orient - Le Jour
Source carte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Apolline B.