Europe x États-Unis - L’OTAN ressuscitée

 

02/10/2022

Autrefois accusée d’obsolescence, l’OTAN gagne en légitimité face à la menace russe en Europe. L’OTAN apparaît aujourd’hui en position de renforcer son dispositif et d’affirmer sa puissance militaire. Dans ce contexte de crises, l’OTAN fera face à plusieurs défis pour assurer sa pérennité et son efficacité.

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Autrefois accusée d’obsolescence, l’OTAN gagne en légitimité face à la menace russe en Europe.   

  • Au début du XXIe siècle, la légitimité et la robustesse de l’OTAN sont remises en cause. Organisation politico-militaire fondée par les pays signataires du traité de l’Atlantique Nord (1949), l’OTAN compte aujourd’hui 30 pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Son rôle d’alliance défensive face aux forces du Pacte de Varsovie (1955) durant la Guerre froide a évolué à l’issue de l’effondrement de l’URSS vers une posture plus proactive. Elle a ainsi mené des opérations de gestion de crise dans les Balkans (années 1990), en Libye (2011) et en Afghanistan (années 2000-2010). Pourtant, des dirigeants majeurs contestent sa crédibilité au début du XXIe siècle. Pour Donald Trump, l’OTAN impose aux Américains un fardeau financier que les Européens devraient partager. Selon Emmanuel Macron, l’OTAN a même atteint un « état de mort cérébrale » (The Economist, 2019) du fait d’une stratégie contestée et des divergences de vues entre alliés sur des dossiers critiques (Afghanistan, Syrie).  

  • Toutefois, le retour de la guerre en Europe et ses risques d’extension constituent un choc brutal qui redynamise l’alliance atlantique. Selon Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’organisation, l’OTAN vit aujourd’hui « sa crise sécuritaire la plus sérieuse depuis la Seconde guerre mondiale ». L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a causé la réaction immédiate de l’OTAN afin de préserver la souveraineté ukrainienne. L’Ukraine s’était vu refuser sa candidature au sommet de l’OTAN en 2008 dans le but de ménager la susceptibilité de Moscou. Elle est aujourd’hui officiellement candidate. Fragilisée par les divergences internes et par les échecs militaires, l’Alliance atlantique regagne désormais en vitalité en endossant son rôle privilégié d’alliance défensive face à une menace claire : « la puissance néo-impérialiste russe » (Dominique Moïsi, Institut Montaigne, 2022). Tous les alliés dans l’organisation reconnaissent le sérieux de sa garantie de sécurité et l’efficience de sa réaction rapide.  

  • L’OTAN présente ainsi une attractivité renouvelée auprès de pays stratégiques en Europe. Le basculement du centre de gravité politique de l’Alliance atlantique vers l’est répond à l’essor de la menace russe. En 2004, 6 pays du bloc de l’Est rejoignent ainsi l’organisation, source fondamentale de tensions avec Moscou. La Finlande et la Suède demandent leur adhésion à l’OTAN en juin 2022. C’est un revirement historique pour ces pays scandinaves qui rompent avec la neutralité. La peur du voisin russe pousse les deux États à agir afin de profiter de l’article 5 du traité de l’OTAN, actant la clause de défense mutuelle. Pour Cyrille Bret, enseignant à Sciences Po, « la Russie perdra une vaste zone de confort militaire sur son flanc nord-ouest […] et risque l’épuisement budgétaire et militaire » (Diplomatie, 2022). Plus que jamais, l’ancienne sphère d’influence soviétique revendique son appartenance à l’OTAN à l’exception des membres de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC).  

L’OTAN apparaît aujourd’hui en position de renforcer son dispositif et d’affirmer sa puissance militaire.   

  • La légitimité géostratégique de l’alliance se confirme en dépit des divergences internes. Le sommet de Madrid (juin 2022) a été la source d’une « démonstration d’unité et de cohérence » entre les Chefs d’État et de gouvernement selon l’expert Bruno Tertrais (Institut Montaigne, 2022). Deux textes fondamentaux y sont adoptés : la traditionnelle « Déclaration des Chefs d’État et de Gouvernement réunis » et un nouveau « Concept stratégique » qui définit la stratégie de l’Alliance pour les prochaines années. Ce dernier expose clairement que la « raison d’être et [la] responsabilité première [de l’OTAN] consistent à assurer notre défense collective ». Cependant, des divergences entre les membres de l’alliance peuvent persister. Dans l’OTAN, la Turquie utilise son poids géopolitique pour imposer son agenda au risque d’affaiblir la sécurité mutuelle. Si elle soutient fermement l’Ukraine et appelle à la fin immédiate de la guerre, elle bloque aussi les demandes d’adhésion finlandaise et suédoise pour en obtenir des gains politiques (importations d’armement, tensions au Kurdistan).  

  • L'extension de l’Alliance contribue au verrouillage des territoires géostratégiques. Ancien lac soviétique, la mer Baltique fait l’objet d’un contrôle accru par l’OTAN. Le danger de nucléarisation, les violations de l’espace aérien et l’activisme militaire dans l’exclave de Kaliningrad accentuent la pression russe sur cet espace. L’OTAN a accru ses opérations de dissuasion dès les années 2010. Visant à se prémunir en cas de blocus de la Baltique, les manœuvres Baltops de juin 2022 incluent des opérations de combat amphibie, de déminage et de détection sous-marine. L’explosion du gazoduc Nord Stream 1 en septembre 2022 incite à aller plus loin vers la sécurisation des infrastructures critiques en mer Baltique. En outre, point chaud depuis l’annexion de la Crimée en 2014, la mer Noire devient aussi un espace de friction entre l’OTAN et la Russie, comme lors de l’exercice militaire Sea Breeze, organisé par les Etats-Unis et l’Ukraine en 2021.  

  • L’armement et la logistique des alliés de l’OTAN se perfectionnent dans ce conflit russo-ukrainien de haute intensité. La coordination des efforts est facilitée par le groupe de contact pour l’Ukraine dirigé par les États-Unis (2022). Réuni sur la base américaine de Ramstein, ce groupe met en place la logistique des stocks et de l’artillerie des alliés. À la suite de l’engagement pris au sommet de Newport (Pays de Galles) en 2014, l’ensemble des alliés est censé compenser le sous-investissement en augmentant ses dépenses militaires jusqu’à 2% du PIB. Ils déploient désormais une multitude de capacités nouvelles, allant des avions de cinquième génération aux systèmes sans pilote. En Allemagne, la décision d’investir 100 Md€ au cours des 5 prochaines années dans la Bundeswehr révèle l’extrême fragilité de l’équipement allemand et le réveil face au « retour du refoulé guerrier sur le sol européen » (Cyrille Bret).  

Dans ce contexte de crises, l’OTAN fera face à plusieurs défis pour assurer sa pérennité et son efficacité.  

  • Le premier défi consiste à crédibiliser la garantie sécuritaire de l’OTAN pour tous ses membres. L’alternance des stratégies étatsuniennes, du désengagement européen sous Trump au réinvestissement sous Biden, est une forte source d’incertitudes. Des alliés doutent de l’engagement à long terme des États-Unis, constituant un véritable défi militaire pour les Européens. Selon le Général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre, « le soldat Ryan ne viendra plus jamais mourir sur les plages de France ». Cependant, l’aide des États-Unis à destination de l’Ukraine atteste de l’implication des Américains dans ce conflit (12 Md$ approuvés au Sénat fin septembre 2022). L’accroissement des investissements dans le cyber, les hautes technologies ou l’adaptation au changement climatique visent aussi à renforcer la résilience de l’OTAN dans tous les domaines. Par exemple, adoptée en 2021, la nouvelle politique de cyberdéfense consolide sa posture globale de dissuasion et de défense. 

  • Le deuxième défi provient de l’articulation entre l’OTAN et l’Europe de la défense. Plusieurs analystes géopolitiques, dont Pascal Boniface, considèrent que l’OTAN entretient une dépendance stratégique aux États-Unis au détriment d’une autonomie continentale. Avec la perspective d’adhésion de la Finlande et de la Suède, les risques de superposition des deux projets s’exacerbent davantage : les deux organisations comptent déjà 21 membres en commun. Pour Jens Stoltenberg, c’est la constitution d’un partenariat équilibré et complémentaire entre l’Alliance et l’Union qui permettrait de relever leurs défis sécuritaires communs. À l’automne 2021, Joe Biden appelle de même au renforcement de la défense européenne en complément de l’OTAN. À l’épreuve de la guerre ukrainienne, la coopération entre l’OTAN et l’UE s’est profondément intensifiée, ce dont atteste la fréquence des réunions entre Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne), Charles Michel (président du Conseil européen) et Jens Stoltenberg.  

  • Le troisième défi résulte de l’enjeu de préserver les alliés de l’engrenage de la rivalité sino-américaine. Théorisé par Graham Allison dans Destined for War (2017), le piège de Thucydide renvoie au choc belligène entre une puissance dominante (les États-Unis) et une puissance émergente (la Chine). Par l’OTAN, les Américains pourraient chercher à engager les Européens dans leur rivalité globale avec la Chine notamment dans l'Indo-Pacifique. Dans le nouveau « Concept stratégique » de l’OTAN, la Chine pose des « défis systémiques ». En invitant les puissances de l’Indo-Pacifique au sommet de Madrid, l’OTAN envoie ainsi un signal fort à la Chine. Si Washington voit en l’Alliance un rempart face à Pékin et poursuit son pivot vers l’Indo-Pacifique, des alliés comme la France restent très hostiles à cette perspective. Selon Amélie Zima, l’OTAN usera de sa « plasticité » pour s’adapter face aux nouveaux défis sécuritaires et stratégiques du XXIème siècle (L’OTAN, 2021). L’OTAN est ressuscitée. Noli me tangere. 

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Adrien Gredy

Source image : The Japan Times

Source carte : NeoGeopo / Apolline B. [rendons à Apo ce qui est à Apo]

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