Géostratégie x Mobilités - Géopolitique du train
30/04/2023
Issu du XIXe siècle, le train se présente comme mode de transport attractif et compétitif. Aujourd'hui, la géopolitique du train témoigne du caractère stratégique de ce mode de transport en temps de guerre comme en temps de paix. Le train s’appuie sur ses héritages pour transformer la mobilité d’aujourd’hui et de demain.
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Issu du XIXe siècle, le train se présente comme mode de transport attractif et compétitif.
Depuis la révolution industrielle, le train constitue un mode de transport innovant. L'industrialisation enclenchée par la Révolution industrielle au XIXe siècle favorise l'essor des transports terrestres. Le chemin de fer décuple alors les capacités de transports de voyageurs et de marchandises. La première ligne de chemin de fer entre la ville minière de Darlington et le port de Stockton est ouverte en 1825 en Angleterre. Trois techniques innovantes sont mobilisées pour édifier un réseau de chemins de fer : les voies, les caténaires et la signalisation. Les voies sur lesquelles s’étendent les rails constituent le socle des lignes de chemin de fer. Selon les pays, l’écartement des rails peut varier. Alors que dans l’ex-URSS l’écartement des rails est de 1 520 mm, il mesure 1 435 mm en Europe. Les caténaires permettent l’alimentation électrique nécessaire au train. Enfin, la signalisation balise le réseau pour réguler, fluidifier et alerter les autres trains afin d’optimiser la circulation.
La puissance publique soutient le développement ferroviaire sur le plan économique et politique. Aux États-Unis, le réseau ferré américain a accompagné la conquête de l’Ouest avec la jonction symbolique en 1869 d’une ligne transcontinentale. Celle-ci fut impulsée par les Pacific Railroad Acts votés par le Congrès américain sous la présidence d’Abraham Lincoln entre 1862 et 1866. De même, les empires coloniaux vont chercher à développer le ferroviaire pour exploiter les territoires colonisés. En 1898, en Afrique, la ligne Léopoldville-Matadi située sur au Congo vise à accélérer l’exploitation du caoutchouc et de l’ivoire par les Belges. La même année, en Asie, la France lance la construction des chemins de fer de l’Indochine qui relient le Vietnam du nord au sud avec la ligne Saïgon-Hanoi-frontière de Chine. Ils facilitent l’acheminement des matières premières vers la métropole française.
Malgré le développement du transport routier et l’avènement de l’aérien, le rail opère un retour en force au XXIe siècle. Dans les années 1950 et 1960, l’automobile et l’aérien sont devenus un signe ultime de réussite individuelle et de développement social. Les pouvoirs publics poussent à l’usage de ces modes de transports qui transforment les modes de vie et l'urbanisme. Toutefois, le train maintient ses atouts dont la fiabilité et la rapidité, notamment en Europe. Le réseau européen est le plus vaste au monde avec 226 000 km de voies ferrées. Le défi majeur pour les Européens reste d’harmoniser le fonctionnement de 27 réseaux nationaux différents. Par exemple, l’Union européenne cherche à éliminer l’effet frontière lié à la signalisation qui peut varier selon les tronçons nationaux. Elle entend ainsi mettre en place un dispositif unique de système de signalisation embarqué (European Train Control System).
Aujourd'hui, la géopolitique du train témoigne du caractère stratégique de ce mode de transport en temps de guerre comme en temps de paix.
Le chemin de fer est mis à contribution pendant les grands conflits du XXe et XXIe siècle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’occupant allemand fait du rail l’épine dorsale de sa logistique militaire et de son dispositif répressif organisé (déportation). Comme le Troisième Reich instrumentalise le train, la Résistance française s’organise pour freiner et bloquer les lignes vitales ennemies. Ainsi, le réseau Résistance-Fer renseigne les forces alliées sur les mouvements allemands et lance des actions de sabotages sur le réseau et le matériel. Ces moments du combat clandestin des cheminots de France sont figurés dans le film La bataille du rail de René Clément (1946). Jusqu’à nos jours, le train joue un rôle critique dans les affrontements militaires. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, la compagnie ferroviaire nationale Ukrzaliznytsia (UZ), a convoyé « plus de quatre millions de réfugiés, 300 000 tonnes de biens humanitaires, 220 délégations diplomatiques » d’après Florence Aubenas (Le Monde, Comment l’Ukraine mène la bataille du rail, 2022).
Le train devient un mode de transport critique pour l’installation de routes stratégiques à l'échelle globale. Depuis 2013, le projet chinois des nouvelles routes de la soie, surnommé Belt and Road Initiative (BRI), vise deux objectifs : interconnecter le territoire chinois et opérer à l’échelle mondiale une « politique de desserrement de grande envergure » selon Thierry Garcin, docteur en sciences politiques (Diploweb : Le chantier - très géopolitique - des Routes de la soie, 2018). Ce projet mondial relie l’économie chinoise par un vaste réseau de corridors routiers, ferroviaires et maritimes. Or, la dimension ferroviaire joue un rôle central dans la connectivité chinoise au monde. Les voies ferrées en partance de la Chine irriguent l’Asie, la Russie, l’Asie centrale et l’Europe. Le Kazakhstan devient ainsi un pôle intermodal pour la ligne « China-Europe Railway Express » longue de plus de 11 000 kilomètres, via les gares frontalières de Khorgos/Altynkol et d’Alashankou/Dostyk.
Cependant, la place du train reste contrastée à l’échelle nationale. Deux stratégies opposées révèlent les inégalités ferroviaires. Aux États-Unis, « le transport ferroviaire de voyageurs périclite » selon Antoine Pecqueur (États-Unis : une renaissance ferroviaire ?, IFRI, 2023). Privilégiant le recours à la voiture individuelle pour la mobilité interurbaine, les États-Unis cèdent au poids des lobbies de l’automobile. Le transport routier bénéficie d’un soutien public important avec l’Interstate Highway System (1956) tandis que la société publique Amtrak ne voit le jour qu'en 1971 pour unifier le réseau. À l’inverse, la Suisse s’impose en modèle du train avec l’un des réseaux ferroviaires pour voyageurs les plus denses et les plus efficace du monde. Pour le transport de marchandises, le ferroutage, l'ouverture du tunnel du Saint-Gothard en 2016, ainsi qu’une politique incitative, causent l’explosion du fret transalpin jusqu’à 72% de parts de marché. Ces politiques publiques témoignent des trajectoires divergentes dans la place octroyée au train dans les transports.
Le train s’appuie sur ses héritages pour transformer la mobilité d’aujourd’hui et de demain.
La place du train atteste d’une résilience et d’une plasticité tant il parvient à épouser les configurations de son époque. Après la domination des entreprises privées, l’État encourage le développement ferroviaire avec le plan Freycinet (1879) pour « désenclaver le monde rural ». Préfectures et sous-préfectures sont connectées au réseau national. À son apogée en 1920, le réseau compte 60 000 kilomètres de voies contre 20 000 aujourd’hui. Cet aménagement du territoire par le train dépend de choix politiques complexes (Le train : transport d’avenir, Le Dessous des Cartes, 2020). Le maillage en étoile français exprime et renforce la macrocéphalie parisienne. Au XXIe siècle, le monopole de la SNCF disparaît avec l’ouverture à la concurrence amorcé en 2019 : l’italien Trenitalia opère désormais sur le Paris-Lyon. Enfin, de jeunes entreprises innovantes s’intéressent à des lignes transversales délaissées. La start up Le Train souhaite développer une desserte sur l’arc Atlantique (Tours-Bordeaux). Quant à Railcoop, elle veut circuler sur l’axe est-ouest du réseau français : Rennes-Toulouse ou Lyon-Bordeaux.
Dans un contexte de changement climatique, le train constitue un mode de transport attractif pour bien des pays. En fonction des bouquets énergétiques, il s’impose comme mode de transport bas carbone. Selon InterRail, il émet en France 80 fois moins de CO2 par passager qu’un avion et 50 fois moins qu’une voiture à trajet équivalent. Aussi, le tourisme ferroviaire connaît une nouvelle phase de croissance dans une Europe en transition écologique. Initié par la CEE, le Pass InterRail fête ses 50 ans en 2022. Avec une croissance démographique soutenue, le continent africain est confronté à une massification des besoins de transports. Le train s’impose pour interconnecter les centres urbains et valoriser le potentiel des arrière-pays. En Afrique du Nord, au Maroc, le premier TGV Al-Boraq relie les centres économiques et décisionnels avec la ligne Tanger-Casablanca. En Afrique centrale, au Gabon, le fret minier se renforce avec le corridor logistique Transgabonais dans le contexte de tensions d’approvisionnement en minerais critiques.
Les innovations technologiques à venir sur les trains permettent d’anticiper un développement prometteur. Dans son étude The future of rail (2019), l’Agence International de l’énergie (AIE), explique que « trois quarts des voyageurs transportés le sont grâce à l’énergie électrique ». Les industriels ferroviaires conçoivent des trains nouvelle génération qui sont en cours de déploiement. Le Coradia iLint d’Alstom est le premier train à circuler en Allemagne avec une pile à combustion à hydrogène couvrant 1 175 kilomètres sans ravitaillement. Par des investissements massifs dans la haute technologie, Hitachi et Nippon Sharyo construisent un train à sustentation magnétique : le Maglev. La suppression de la résistance aux mouvements engendre des perspectives d’aller encore plus vite. Pouvant aller à plus de 550 km/h, ce mégaprojet voit le jour avec la construction d’une ligne spécial entre Osaka et Tokyo par la Central Japan Railway. L’avenir du train se rapproche à grande vitesse.
Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Axel Riondet
Source image : Matthieu Alfré - Faire de sa vie une aventure (Uyuni, Bolivie)
Source graphique : IEA - The future of rail: Opportunities for energy and the environment (2050)