France x Allemagne – Je t’aime… moi non plus
Fondamentale pour l’Europe, la relation entre la France et l’Allemagne traverse une période tumultueuse. Les convergences d’intérêts sur les dossiers stratégiques devraient pourtant renforcer les liens entre les deux puissances. Ainsi, un déploiement d’efforts mutuels reste indispensable pour que le couple franco-allemand gagne plus d’impact géopolitique.
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Fondamentale pour l’Europe, la relation entre la France et l’Allemagne traverse une période tumultueuse.
À l’échelle nationale, la France et l’Allemagne se reprochent des orientations qui les éloignent de l’optimum économique. D’une part, la France a retardé ses réformes structurelles ce qui s’est traduit par le décrochage de sa compétitivité. Les rigidités du marché du travail et du système socio-fiscal ont rétrogradé la France au 7ème rang mondial pour le produit intérieur brut (PIB) et au 31ème rang mondial pour la facilité de faire des affaires selon la Banque Mondiale. D’autre part, l’accumulation d’excédents budgétaires et l’économie extravertie de l’Allemagne finissent par nuire à sa performance en 2019. Comme la conjoncture ralentit et les investissements défaillent, la contre-performance économique de l’Allemagne dégrade celle de toute la zone euro.
À l’échelle continentale, la France et l’Allemagne se divisent à propos des voies de sortie des crises européennes. Selon les termes de Jean-Claude Juncker, président de la Commission Européenne de 2014 à 2019, l’Europe a traversé une « polycrise » qui s’est manifestée dans tous ses champs d’intervention. Face à la crise économique, la France plaide la solidarité budgétaire tandis que l’Allemagne insiste sur la responsabilité financière. Face à la crise migratoire, la France joue l’attentisme politicien tandis que l’Allemagne prône l’accueil intéressé. Face à la crise politique, la France défend l’intégration renforcée alors que l’Allemagne privilégie le statu quo.
À l’échelle mondiale, la France et l’Allemagne s’éloignent vu leurs divergences sur le grand jeu géopolitique. Elles ne développent pas de lecture unifiée des rapports de forces entre les puissances du monde. La joute verbale entre Emmanuel Macron et Angela Merkel au sujet du statut de l’OTAN en novembre 2019 en est l’une des plus nettes illustrations. La position allemande reste tributaire d’une dépendance à la pensée stratégique américaine et d’une croyance en l’ampleur de la menace russe. Rénovée par l’exécutif, la position française cherche au contraire à renouer le dialogue avec les Russes tout en prenant acte du néonationalisme des Américains.
Les convergences d’intérêts sur les dossiers stratégiques devraient continuer de renforcer les liens entre les deux puissances.
Les deux nations font face à des défis sécuritaires de plus en plus communs. Dans les années 2010, de graves menaces comme le terrorisme et le crime organisé s’imposent aussi bien à la France qu’à l’Allemagne. Les rares informations ouvertes des services de renseignement intérieur, respectivement la DGSI et le BfV, confirment la magnitude du danger qui plane sur les peuples. Les mouvements terroristes, dont l’islamisme radical et le suprémacisme blanc, connaissent une montée en puissance préoccupante. Signé puis ratifié en 2019, le traité d’Aix-la-Chapelle prévoit ainsi un renforcement de la « coopération bilatérale » qui implique des formations, des déploiements et même une unité franco-allemande de sécurité.
Les deux économies enregistrent un haut niveau d’interactions y compris dans des secteurs stratégiques. Pour les services ministériels français, elles sont « imbriquées et complémentaires » en 2019. L’entreprise d’aéronautique civile et militaire Airbus apparaît le meilleur symbole de cette interpénétration des économies. Les États y sont si impliqués qu’ils conservent chacun près de 11% du capital du groupe. Aussi, grâce à leurs partenariats commerciaux, et aux investissements croisés, les entreprises allemandes en France créent plus de 140 Md€ de PIB ce qui est équivalent à ce qui est créé par les entreprises françaises en Allemagne.
Les deux diplomaties s’exercent dans un contexte de convoitises qui devrait les inciter au rapprochement. Jusqu’aux portes de l’Europe, les grandes puissances mondiales déploient un activisme remarqué par les Chancelleries française et allemande. Fondée sur son ambition d’établir de nouvelles routes de la soie, la Chine exécute sa stratégie dans les Balkans. La Serbie occupe une place cardinale au sein de cette mise en œuvre. La Chine construit un aéroport en Albanie, une autoroute du Montenegro jusqu’à la Serbie et une ligne de train à grande vitesse de Belgrade à Budapest. Pour Michel Foucher, la Chine est « en train de créer un système mondial alternatif » y compris dans les Balkans ce qui implique que l’Europe doive « venir au monde ».
Ainsi, un déploiement d’efforts mutuels reste indispensable pour que le couple franco-allemand gagne plus d’impact géopolitique.
Le couple franco-allemand devrait réaliser tous les efforts nécessaires pour restaurer la confiance. Entre la France et l’Allemagne, de premières démarches d’apaisement s’opèrent dans le domaine économique. Le gouvernement français d’Emmanuel Macron poursuit la réalisation de son programme de réformes structurelles. Visant aussi à équilibrer le budget social, la fusion des régimes de retraites annoncée fin 2019 en est l’un des meilleurs exemples. Parallèment, la pression des organismes internationaux (OCDE, FMI, Banque Mondiale), et même de la France, s’accentue sur la coalition gouvernementale d’Angela Merkel pour qu’elle utilise ses marges de manœuvre budgétaires afin de relancer l’investissement.
Cette démarche commune est d’autant plus urgente que les défis géopolitiques sont immenses. Rien que sur question européenne, plusieurs dossiers d’importance empoisonnent encore la relation franco-allemande. L’intégration des pays des Balkans, l’articulation des échelles de défense (nation, UE, OTAN) ou le renforcement de la zone euro sont autant d’étapes cruciales se présentent devant la France et Allemagne. Dans un monde où les grandes nations, les États-Unis d’Amérique, la Russie et la Chine assument leurs ambitions de puissance, le rapprochement entre la France et l’Allemagne est bien plus fort qu’une histoire de couple. C’est une question de survie.
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