France x Russie – La roulette russe

 

Dans la configuration actuelle des puissances mondiales, la Russie pose un dilemme aux Européens qui hésitent entre antagonisme et rapprochement. Rompant cet équilibre, la France opère un revirement stratégique en renouant le dialogue avec la Russie. Elle cherche ainsi à apaiser les conflits actuels et à prévenir les tensions futures dans une période charnière pour la souveraineté européenne.

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Dans la configuration actuelle des puissances mondiales, la Russie pose un dilemme aux Européens qui hésitent entre antagonisme et rapprochement.

  • La Russie appartient à un triangle géopolitique dans lequel les Européens recherchent un point d’équilibre. Bien des analystes du monde actuel considèrent que la structuration de l’ordre mondial dépend principalement de trois pays : les États-Unis, la Chine et la Russie. Pour Thomas Gomart, le directeur de l’Institut Français de Relations Internationales (IFRI), ils forment un « triangle dont les déformations affectent directement la stabilité internationale » (L’affolement du monde). Si la Russie fait figure de « segment faible », sa proximité géographique et son importance énergétique avec l’Europe suppose d’ordonner au mieux leurs interactions. Les Européens sont aujourd’hui pris dans un dilemme vis-à-vis de la Russie.

  • Sanctionnée et isolée, la Russie pourrait poursuivre son rapprochement avec la Chine. Depuis la fin de la guerre froide, en 1991, Moscou est en quête d’options stratégiques pour continuer de peser dans les affaires mondiales. L’élargissement de l’UE et la progression de l’OTAN sont apparus des menaces occidentales contre la souveraineté russe. La Russie a alors instrumentalisé les minorités russophones dans ses anciens satellites pour établir une zone tampon. Elle perçoit l’Ukraine comme son dernier rempart ce qui a déclenché l’annexion de la Crimée et le séparatisme au Donbass en 2014. Ces choix tactiques provoquent les sanctions des Européens et achèvent de rapprocher la Russie de la Chine.

  • A contrario, renouer le dialogue avec la Russie représenterait un aveu de faiblesse sinon un reniement. Car Vladimir Poutine a fait preuve de patience stratégique face à l’Europe depuis son arrivée dans l’exécutif en 1999. Il a mobilisé plusieurs leviers pour intimider les Européens en exploitant leurs divisions politiques, en usant de l’arme énergétique et en les déstabilisant dans le cyberespace. Selon Marc Pierini, chercheur invité du think tank Carnegie Europe et ancien ambassadeur de l’Union européenne, la Russie n’a « rien accompli de favorable » pour l’Europe dans l’énergie et la sécurité. Le statu quo actuel est un équilibre où les Européens perdent dans chaque branche de l’alternative.

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Rompant cet équilibre, la France opère un revirement stratégique en renouant le dialogue avec la Russie.

  • La France impose sa stratégie de disruption pour sortir de l’impasse géopolitique. Du fait d’efforts infructueux à apprivoiser le président américain et à unifier les exécutifs européens, le président français opte pour la « disruption » selon l’expert en relations transatlantiques Benjamin Haddad dans Foreign Policy (« Emmanuel Macron’s New Strategy Is Disruption »). Le président Macron assume le rapprochement avec la Russie alors même que des alliés européens émettent des réserves – sinon des critiques – à propos de cette initiative. Plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, dont la Pologne, estiment que se rapprocher de la Russie sans exiger de concession significative de sa part ne fait que légitimer ses violations passées.

  • Pendant la conférence des Ambassadeurs, en août 2019, Emmanuel Macron a exprimé sa vision de la géopolitique mondiale et les priorités de la diplomatie française : devenir une puissance d’équilibre, rebâtir la souveraineté européenne, renouveler le partenariat dans la zone de l’Afrique et la Méditerranée, exercer une diplomatie des biens communs et renouveler la méthode diplomatique avec audace. La France cherche ainsi à construire « une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe » avec la Russie. C’est devenu une immense urgence depuis la dénonciation par les Américains et les Russes du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) de 1987. L’Europe ne peut se permettre d’être menacée par une nouvelle course aux armements.

  • Cela suppose de renouer le dialogue avec la Russie en intensifiant les échanges diplomatiques. Le symbole fort de cette nouvelle orientation fut la rencontre d’Emmanuel Macron et de Vladimir Poutine en été 2019. Les contacts ministériels entre la France et la Russie se sont ensuite intensifiés dans le cadre du format « 2 + 2 ». Il s’agit d’une rencontre entre quatre ministres, deux en affaires étrangères et deux aux armées. Selon Hubert Védrine, spécialiste des relations internationales et auteur de Sauver l’Europe, la France « a raison d’agir sans attendre » parce que son « intérêt est de porter le projet le plus loin possible, afin que le prochain président américain […] ne puisse pas ne pas tenir compte de la position des Européens ».

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Elle cherche ainsi à apaiser les conflits actuels et à prévenir les tensions futures dans une période charnière pour la souveraineté européenne.

  • Sa première priorité est de prouver que ce revirement stratégique peut produire des résultats sur les conflits gelés en Europe de l’Est. Apaiser la situation géopolitique de l’Ukraine donnerait du crédit à la nouvelle politique russe de la France. Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel, les présidents ukrainien et russe se sont rencontrés pour la première fois en décembre 2019. Kiev a cherché à reconstituer sa souveraineté territoriale tandis que Moscou s’est refusé à toute concession significative sur la Crimée et le Donbass. Selon Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-NEI de l’IFRI, « la Crimée n’est pas et ne sera pas rendue à l’Ukraine ». Paris et Berlin ont surtout mesuré l’ampleur du défi posé par l’apaisement des conflits gelés avec Moscou.

  • Sa deuxième priorité est de protéger la souveraineté européenne qui est malmenée tant sur son territoire que dans le cyberespace. Dans un avenir proche, l’Europe pourrait à nouveau se retrouver au cœur d’un bras de fer géostratégique entre Moscou et Washington. Signés à la fin de la guerre froide, plusieurs traités de régulation de la course aux armements sont menacés (START III) voire dénoncés (FNI). Cette remise en cause balistique s’accompagne d’un activisme numérique de plus en plus assumé par Moscou. Les démocraties européennes redoutent une ingérence croissante de la Russie dans leur cyberespace. Face à ces menaces exacerbées, la France opère un tournant diplomatique qui s’apparente peut-être à une roulette russe.  

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