Syrie x Conflits – Les marges de manœuvre de la France
Le retrait des forces américaines de Syrie nuit aux intérêts occidentaux dans la région. Il laisse le champ libre aux puissances d’Astana qui gagnent en profondeur stratégique. Face à cette nouvelle donne, la France doit soutenir ses alliés kurdes et impulser une réaction européenne.
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Le retrait des forces américaines de Syrie nuit aux intérêts occidentaux dans la région.
Les Occidentaux jouaient un rôle d’appui stratégique dans la lutte anti-terroriste en Syrie. Pour anéantir les bases de l’État islamique (EI), les Occidentaux avaient engagé des moyens aériens et des forces spéciales au nord de la Syrie. Les Forces de défense syrienne (FDS), comprenant les Kurdes syriens du PYD, avaient ainsi obtenu une victoire militaire sur le terrain. Près de 10 000 djihadistes et leurs familles, dont 400 Français, croupissaient dans des camps surveillés par les FDS.
Or, le retrait des forces américaines est une décision nuisible aux intérêts occidentaux dans la région. Le 13 octobre 2019, Donald Trump a annoncé le départ de 1 000 soldats soutenant alors leurs alliés kurdes dans la lutte anti-terroriste. Pour Pascal Boniface, le directeur de l’IRIS, « l’image qui est restée est celle d’une Amérique qui abandonne ses alliés ». Recul du périmètre d’intervention américain, perte de crédibilité diplomatique et risque d’évasion de terroristes sont les conséquences majeures de cette décision.
Il laisse le champ libre aux puissances d’Astana qui gagnent en profondeur stratégique.
Poursuivant sa stratégie néo-ottomane, la Turquie assaille les Kurdes de Syrie au point de déclencher une crise humanitaire. À court terme, Erdoğan cherche à obtenir des gains politiques pour laver l’affront de la perte des élections d’Istanbul en juin 2019. À moyen terme, il vise à éliminer les populations kurdes des marges géographiques de la Turquie. À long terme, il renoue avec l’impérialisme ottoman qui ambitionne d’annexer ses territoires limitrophes. Pour Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie et Moyen-Orient à l’IFRI, il s’agit d’un « projet d'occupation du terrain en Syrie en ligne avec le projet de révisionnisme des frontières ».
En appui au régime syrien, l’Iran consolide son corridor chiite jusqu’à la mer Méditerranée. Le pouvoir iranien condamne l’intervention turque en Syrie tout en ne pouvant que se féliciter du reflux des capacités militaires américaines sur ce territoire. Fidèles soutiens à l’armée de Bachar al-Assad, les forces dirigées par l’Iran (Pasdarans, Hezbollah) se renforcent d’autant plus que les Américains quittent le pays. L’Irak, la Syrie, et, peut-être bientôt le Liban, sont autant de pays qui se trouvent dorénavant dans le giron de Téhéran.
La victoire réelle est celle de la Russie qui accumule les dividendes diplomatiques et stratégiques de l’opération américaine. Elle peut se targuer de soutenir ses alliés dans la durée rien qu’en déployant quelques patrouilles militaires dans la zone. Selon Julien Nocetti, chercheur associé au centre Russie de l’IFRI, « elle a une façon très cynique et realpolitik d’agir sur le terrain » puisque toute sa stratégie ne tend qu’à maximiser sa puissance géopolitique en agissant le moins possible. Au vu des soupçons pesant sur les amitiés politiques de Donald Trump, il est permis de se demander si le renforcement russe n’était pas l’un des effets escomptés du retrait américain...
Face à cette nouvelle donne, la France doit soutenir ses alliés kurdes et impulser une réaction européenne.
Pour se prémunir contre le terrorisme, la France a intérêt à gagner en autonomie et à apporter un soutien aux Kurdes de Syrie. Comme le dit Bernard Bajolet, ancien directeur de la DGSE, ils étaient notre bouclier anti-terroriste : « pour moi – mais je n’ai jamais été suivi là-dessus –, l’idéal aurait été que les Kurdes contrôlent l’ensemble de la frontière turco-syrienne ». La France a un intérêt direct à ce que les éléments terroristes soient jugés et emprisonnés par des forces kurdes qui ont été des alliés efficaces pour vaincre l’EI. Elle aurait les capacités financières et militaires pour intervenir et assurer les conditions minimales de sa sécurité à l’avenir.
La France peut aussi catalyser la prise de conscience des Européens de l’urgence de constituer l’Union européenne comme une puissance géopolitique. Le Conseil européen d’octobre 2019 « demande à nouveau instamment à la Turquie de mettre un terme à son action militaire, de retirer ses forces et de respecter le droit international humanitaire ». Entre les lignes, ceci signifie qu’il n’y a pas eu d’accord européen pour restreindre les ventes d’armes, opérer des sanctions économiques ou indiquer à la Turquie la porte de sortie de l’OTAN… Les réticences des Européens d’agir ensemble comme puissance géopolitique nous promettent des lendemains qui déchantent.
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