Géostratégie x France – Les rivalités dans l’Indopacifique
L’Indopacifique s’impose comme concept et espace majeur pour la géostratégie contemporaine. Or, la montée en puissance chinoise s’y heurte à des contestations nationales et régionales. Réaffirmant sa présence dans l’Indopacifique, la France vise à y jouer un rôle de puissance régionale d’équilibre.
***
L’Indopacifique s’impose comme concept et espace majeur pour la géostratégie contemporaine.
L’Indopacifique est une région du monde qui cristallise l’attention des cercles diplomatiques et stratégiques. Elle désigne le bassin océanique qui combine deux océans, Indien et Pacifique, ainsi que leurs pays limitrophes, du Canada à l’Afrique du Sud et du Pakistan au Chili. Selon l’historien Pierre Grosser, professeur à Sciences Po, l’expression « Indopacifique » remplace « Asie Pacifique » à la suite de son emploi par le premier ministre Japonais Shinzo Abe en 2007. L’Indopacifique permet de rendre compte de la montée des menaces communes, de la dépendance pétrolière des émergents, de l’impérialisme occidental et de l’expansionnisme chinois.
La zone Indopacifique correspond à une réalité primordiale pour la géostratégie du fait de la mondialisation. Elle concentre une part prépondérante de la richesse et des échanges qui n’ont eu de cesse de croître : les échanges transpacifiques dépassent les échanges transatlantiques depuis 1984. Quatorze membres du club du G20 font partie intégrante de la région, ce qui atteste de son poids économique aujourd’hui. Les relations stratégiques entre pays y sont en outre prédéterminées par la rivalité sino-américaine. Des experts Américains comme le professeur Graham Allison (Destined for War) ou l’expert Michael Pillsbury (The Hundred-year Marathon) avancent des interprétations divergentes des causes de la compétition entre la Chine et les États-Unis dans l’Indopacifique.
Or, la montée en puissance chinoise s’y heurte à des contestations nationales et régionales.
Le phénomène majeur en Indopacifique est l’essor des ambitions de puissance de la Chine. La stratégie de Pékin consiste à mettre en place des cercles de protection et de coopération pour s’imposer sur cet espace critique. Sur l’océan Pacifique, la Chine fait preuve d’expansionnisme auprès des États insulaires de la Mélanésie, de la Micronésie et de la Polynésie. Elle installe une dépendance multiforme en Papouasie Nouvelle-Guinée, laquelle possède de nombreuses ressources minières et gazières. Sur l’océan Indien, la Chine met en place la boucle maritime des « nouvelles routes de la soie » avec une succession de ports et de bases qui forment un « collier de perles » entre l’île Woody aux Paracels et Gwadar au Pakistan. La Chine est l’acteur majeur qui assoit sa présence et son influence dans la zone indopacifique.
Contestant l’expansionnisme chinois, les puissances rivales de l’Indopacifique répondent par des stratégies nationales. Comme puissance majeure dans la région, l’Inde prolonge ses politiques de riposte à la Chine. New Dehli ne peut accepter d’être prise en tenaille entre sa frontière montagneuse au nord, où les contentieux frontaliers restent actifs, et sa frontière maritime au sud, où s’étend l’influence chinoise. Ainsi, l’Inde mise sur un « essor des forces navales » et une « politique des îles » selon Jean-Luc Racine dans le Revue Hérodote. Elle réinvestit les territoires qu’elle possède en mer d’Arabie (archipel du Lakshadweep) et dans le golfe du Bengale (Andaman et Nicobar). Elle resserre aussi sur ses relations avec Maurice et les Seychelles.
Les puissances rivales de la Chine constituent aussi des alliances multilatérales pour imposer leur agenda commun. Plusieurs pays majeurs de l’Indopacifique sont des démocraties qui cherchent à promouvoir un ordre multilatéral dans la région. Ainsi, en 2017, les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde ont reformé leur forum intergouvernemental de sécurité, le « Quadrilateral Security Dialogue ». Le Quad vise à défendre un ordre fondé sur l’application des règles du droit et à promouvoir la liberté de navigation. Dans ce groupe, les Américains sont ceux qui promeuvent l’approche la plus conflictuelle. Ils ont réorganisé leur commandement militaire en 2018. L’USINDOPACOM surveille ce « théâtre stratégique prioritaire » avec 370 000 militaires, 2 000 aéronefs et 200 vaisseaux et sous-marins. La région indopacifique est bien réinvestie par les grandes puissances mondiales.
Réaffirmant sa présence dans l’Indopacifique, la France vise à y jouer un rôle de puissance régionale d’équilibre.
La France revendique de plus en plus son statut de nation souveraine de l’Indopacifique. En effet, la France s’appuie sur son territoire ultramarin pour affirmer l’étendue de sa souveraineté. La présence française tient en 7 territoires d’outre-mer (de Clipperton à Mayotte) lesquels comportent 1,6 million de ressortissants et 9 millions de km² de zone économique exclusive (ZEE). Fin 2019, à l’occasion d’un déplacement remarqué aux Îles éparses dans l’océan Indien, Emmanuel Macron a qualifié les îles Glorieuses de « haut-lieu de la biodiversité ». Il a classé l’île Grande Glorieuse comme réserve naturelle nationale. La France consolide, sécurise et active sa présence dans l’Indopacifique.
Cette revendication souveraine se traduit par une stratégie spéciale que la France poursuit en Indopacifique. Le président de la République Emmanuel Macron a fait de cet espace l’un des axes prioritaires de la diplomatie française dans le monde. Suivant le cadre tracé par le discours de Garden Island à Sidney en 2018, « la France doit assumer le rôle d’une puissance médiatrice, inclusive et stabilisatrice ». S’impliquer dans la sécurité de la zone, approfondir les partenariats diplomatiques, protéger les biens communs et exercer une influence sont autant d’objectifs concrets que la France se donne en Indopacifique. Seulement, au-delà de ses buts ambitieux, elle fait face à un défi de taille. Entre la Chine et les États-Unis, le Japon et l’Inde, elle doit encore se donner les moyens de ses ambitions.
***
Source image : Ambassade d’Inde en France
Source carte : Hugo Billard (Mon Atlas de Prépa aux éditions Autrement)
***