Sécurité x Tech – Vers la tyrannie digitale

 

Le développement exponentiel des hautes technologies rend possible l’avènement d’une surveillance de masse. Or, aujourd’hui, la lutte contre le coronavirus fait appel à des solutions technologiques qui peuvent comporter de graves menaces pour les libertés. Ainsi, les gouvernements feront des choix structurants qui façonneront nos modèles socio-politiques au XXIe siècle.

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Le développement exponentiel des hautes technologies rend possible l’avènement d’une surveillance de masse.

  • La propagation des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) atteint des degrés inédits. Réalisée en deux décennies, la mondialisation de la connectivité à l’internet l’atteste avec évidence. Si internet s’est ouvert au grand public au cours des années 1990, son accessibilité et ses usages se sont d’ores et déjà généralisés. Selon Statista, plus de 4,5 milliards de personnes peuvent se connecter à l’internet, ce qui représente près de 60% de la population mondiale. Fondées sur les trajectoires historiques et les projets en cours, les projections de Cybersecurity Ventures concluent qu’il pourrait y avoir 7,5 milliards d’utilisateurs du réseau d’ici 2030, soit 90% de la population mondiale.

  • Ainsi, les possibilités de surveillance des populations pour maintenir l’hégémonie des gouvernants se sont multipliées. Les gouvernements autoritaires se maintiennent en se protégeant des coups d’État et des mobilisations de masse. Or, dans la revue Foreign Affairs, Andrea Kendall-Taylor, Erica Frant et Joseph Wright montrent que les manifestations populaires ont évincé 2 fois plus de régimes autoritaires que les coups d’État entre 2001 et 2017 (« The digital dictators »). Les auteurs dénoncent le contrôle social opéré par la Chine où la reconnaissance faciale et la surveillance des communications sont réalisées en continu par l’intelligence artificielle (IA). Le parti communiste chinois (PCC) prend un « gant de velours » pour pérenniser son pouvoir.

  • Les acteurs géopolitiques déploient aussi des stratégies d’influence pour défendre leurs intérêts. Ceci s’applique aux entreprises de hautes technologies qui associent les sciences cognitives et la psychologie comportementale. Chercheuse au centre new-yorkais Data & Society, l’ethnographe et sociologue Alex Rosenblat a publié une étude remarquée sur l’entreprise Uber (Uberland). Elle a réalisé des centaines de courses dans 25 villes américaines pendant 4 ans. Elle dévoile les mécanismes d’un « système de contrôle et de discipline » entretenu par une « entreprise hyper-interventionniste » qui change les règles du travail. Les algorithmes de l’application misent sur la « collecte de données personnelles » et la « gamification » en vue maximiser les profits de la firme.  

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Or, aujourd’hui, la lutte contre le coronavirus fait appel à des solutions technologiques qui peuvent comporter de graves menaces pour les libertés.

  • La crise du coronavirus impose aux gouvernements de gérer la menace sanitaire tout en atténuant son impact sur les systèmes socio-économiques. La pandémie de coronavirus a d’ores et déjà fait plus de 115 000 victimes mi-avril 2020 selon l’université américaine John Hopkins. Pour ralentir la circulation du virus, plus de la moitié de l’humanité fait l’objet de mesures de confinement. Or, le coût social et économique du confinement est devenu considérable pour l’INSEE : 1 mois de confinement en France coûte 75 Md€ soit 3% du PIB. Augmenter les efforts de recherche, renforcer les systèmes de santé, accroître la production d’équipements de protection, et, surveiller la propagation de l’épidémie sont autant de mesures combinées que les gouvernements tentent de mettre en place.

  • Comme le confinement est insoutenable à moyen terme, les stratégies de sortie mises en œuvre sollicitent les NTIC. Premiers touchés par le virus, des pays asiatiques ont mis en place des applications de pistage des contacts personnels (« contact tracing »). Le régime autoritaire de Singapour a ainsi développé l’application TraceTogether. Installée sur la base du volontariat, cette application permet d’identifier et de juguler les chaînes de transmission. Elle fonctionne par l’échange de données cryptées et anonymisées sur des terminaux téléphoniques ayant activé leur BlueTooth. TraceTogether a été téléchargée 1 millions de fois dans une cité-État de 5,6 millions d’habitants. Les stratégies de sortie du confinement pourraient s’appuyer sur des technologies de suivi des interactions sociales.

  • Plusieurs modèles de surveillance épidémiologique sont porteurs de dérives graves pour les libertés fondamentales. Dans des régimes forts, la pandémie a servi à massifier et opacifier la surveillance des individus. Le premier ministre israélien a permis aux services de renseignement intérieur (Shin Beth) de pister les données de localisation des personnes infectées pendant 30 jours. Inspiré par le modèle singapourien, l’État français, lui, envisage le déploiement d’une application de pistage basée sur le BlueTooth. Les défenseurs des libertés publiques, dont des organisations non-gouvernementales (LIDH, Quadrature du net) et des autorités administratives indépendantes (Défenseur des droits), s’inquiètent des dérives liberticides de ces dispositifs de contrôle qui pourraient survivre à la crise sanitaire.

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Ainsi, les gouvernements feront des choix structurants qui façonneront nos modèles socio-politiques au XXIe siècle.

  • Les gouvernements auront à choisir leur modèle de surveillance de la population pour préserver la santé publique. L’intellectuel israélien Yuval Noah Harari présente l’alternative brûlante entre « la surveillance totalitaire » et « la responsabilisation du citoyen » dans une tribune au Financial Times (« The World after Coronavirus »). L’épidémie pourrait constituer un tournant dans l’histoire du contrôle social par l’ajout d’une surveillance des émotions à la surveillance du comportement, laquelle est d’ores et déjà réalisable. Selon Harari, l’exploitation - prétendument temporaire - des données biométriques pour des raisons de santé pourrait devenir la norme du contrôle gouvernemental, ouvrant la voie à un despotisme technologique. Fondé sur la restauration de la confiance envers les autorités (scientifique et politique), seul un libre choix éclairé des citoyens pourrait préserver les libertés.

  • Les gouvernements auront aussi à choisir leur stratégie internationale pour dépasser les effets de la pandémie. Les premières réactions témoignent des hésitations fondamentales entre le repli nationaliste et la solidarité mondiale. Pour l’entrepreneur et philanthrope Bill Gates, « tant que le SARS-CoV-2 est présent quelque part, il nous concerne tous » puisque « dans cette pandémie, nous sommes tous interconnectés » soutient-il dans une tribune au journal Le Monde (« Pour une approche globale de la lutte contre le Covid-19 »). Il recommande aux gouvernements de répartir avec efficacité les ressources mondiales, d’allouer les financements pour développer un vaccin, d’organiser la logistique de distribution et d’investir dans la santé des populations pauvres. Une seule certitude s’impose aujourd’hui : la pandémie du coronavirus de 2020 restera le révélateur des tensions de l’histoire.

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Source image : TED

Source carte : Statista

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