Conflits x Armement – Menaces nucléaires sur l’Europe
La course aux armements conventionnels et non-conventionnels constitue une menace pour l’Europe. Elle s’intensifie du fait de la fragilisation du multilatéralisme et de l’exacerbation des rivalités stratégiques. Ainsi, l’initiative française pour renforcer la dissuasion européenne doit amener un engagement accru des Européens.
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La course aux armements conventionnels et non-conventionnels constitue une menace pour l’Europe.
Les puissances militaires sont engagées dans une course aux armements. La fin de la guerre froide lors des années 1990 s’est caractérisée par une baisse significative du volume de dépenses militaires mondiales. Celles-ci atteignaient alors un point bas proche de 1035 Md$ en 1998 selon le centre d’expertise suédois SIPRI. Toutefois, la période contemporaine témoigne de la recrudescence de la militarisation du monde puisque les dépenses ont augmenté jusqu’à 1822 Md$ en 2018. Plus de 60% de ces dépenses sont réalisées par 5 pays, à savoir les États-Unis, la Chine, l’Arabie Saoudite, l’Inde et la France. Les puissances se réarment pour faire face aux conflits actuels et à venir.
La prolifération et la diversification des armes non-conventionnelles singularisent la période contemporaine. Les armes non-conventionnelles sont considérées comme « produisant des effets traumatiques excessifs » ou « frappant sans discrimination » selon la convention de Genève de 1980. Les armements nucléaires s’inscrivent dans cette qualification. Depuis l’emploi du nucléaire militaire en 1945, des pays comme Israël, le Pakistan, l’Inde, la Corée du Nord et l’Iran ont développé leurs capacités nucléaires stratégiques. La tendance actuelle est à l’acquisition d’armes nucléaires tactiques utilisables sur un théâtre d’opérations. Malgré les accords de non-prolifération et de désarmement, la capacité destructrice des armées atteint des niveaux considérables.
Par sa position au carrefour des puissances, l’Europe est menacée de toutes parts. Ainsi, comme le Moyen-Orient se trouve dans son voisinage, elle est à portée des tensions régionales. Ceci explique l’engagement fort des Européens dans le dossier du désarmement iranien puisque Téhéran dispose de plusieurs modèles de missiles menaçants. Le missile balistique SAHAB III a une portée de 2000 km tandis que le missile de croisière SOUMAR peut atteindre une cible à 2500 km. En cas de tensions avec l’Iran, ils pourraient inquiéter les pays du sud-est de l’Union européenne dont la Grèce et l’Italie. Les Européens ne sont pas à l’abri des tensions et conflits qui font rage dans leur voisinage.
Elle s’intensifie du fait de la fragilisation du multilatéralisme et de l’exacerbation des rivalités stratégiques.
Une compétition stratégique plus agressive sous-tend la course aux armements. Cette évolution de long terme concerne autant les régimes forts que les régimes démocratiques. Dans son ouvrage Destined for War (2017), le théoricien Graham Allison rappelle que les États-Unis se rapprochent de la situation de « piège de Thucydide » avec la Chine. Il signale ainsi que le risque est grand de voir se déclencher l’engrenage d’un conflit majeur pour le leadership mondial. Dans leur Nuclear Posture Review de 2018, les États-Unis de Trump justifient la modernisation de leur arsenal nucléaire pour dissuader la Chine de toute manœuvre : « les États-Unis sont prêts à répondre résolument à l’agression de la Chine qu’elle soit nucléaire ou non ».
La montée des périls est accélérée par le rôle multiforme des complexes militaro-industriels (CMI) pour les puissances émergentes. Le cas de la Russie montre combien la société et l’industrie sont mobilisées pour les ambitions militaires du pouvoir. Spécialiste de l’espace post-soviétique, Galia Ackerman montre que l’instrumentalisation de la victoire de 1945 contre le nazisme débouche sur une « militarisation de la société russe » (Le régiment immortel, 2019). En faillite après 1991, le CMI russe se privatise, se restructure, se modernise, se concentre et s’exporte avec l’appui actif de Vladimir Poutine. Ainsi, le holding public Rostec pèse 2/3 de la production militaire nationale grâce à ses actifs dans l’aviation, l’électronique et l’armement.
Les verrous du droit international pour la maîtrise des armements cèdent peu à peu face à la pression. Restreignant l’usage d’armes non-conventionnelles, des conventions tombent en désuétude comme le traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) ou le traité New Start. Signé en 1987 pour clore la crise des euromissiles, le traité FNI bannissait l’usage de missiles balistiques et de croisière à lanceur terrestre d’une portée comprise entre 500 et 5500 km. Il est abandonné de facto en 2020 puisque Washington et Moscou n’en respectent plus la lettre ni l’esprit. Les Européens redoutent de se trouver exposés à la course aux armements des années 2020 en raison des rapports de force mondiaux.
Ainsi, l’initiative française pour renforcer la dissuasion européenne doit amener un engagement accru des Européens.
La France reprend l’initiative politique et se propose d’européaniser les capacités militaires du pays. Par son statut de puissance militaire et diplomatique, la France s’engage en faveur du renforcement de la souveraineté des Européens. Dans son discours prononcé à l’École de guerre en février 2020, Emmanuel Macron appelle un « agenda international renouvelé pour la maîtrise des armements » et un « réel investissement européen en matière de défense ». Par solidarité envers les autres capitales, il proclame avec force que « les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ». Cette formule invite les Européens, dont l’Allemagne, à s’associer aux exercices de dissuasion afin de construire une culture stratégique commune.
Conscientes des menaces, les institutions européennes prolongent l’initiative française. Toutes les capitales européennes, dont Berlin ou Varsovie, ne sont pas pleinement en phase avec les proclamations françaises tant leur pensée stratégique est biaisée par l’atlantisme. Cependant, les autorités européennes finissent par partager l’analyse géostratégique de la France. Dans une tribune à Project Syndicate de février 2020, le haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell appelle l’UE à devenir une Europe puissance : « l’Union européenne doit réapprendre le langage de la force et se considérer comme un acteur géostratégique de premier rang ». Il fait écho au mot profond de Raymond Aron dans Penser la guerre, Clausewitz (1976) : « il reste une dernière illusion à dissiper : [...], ni les hommes ni les États n’ont dit : adieu aux armes ».