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Puissance x Corée du Sud - Vers un « soft power » global

15/05/2023

Conséquence de son émergence, la puissance économique de la Corée du Sud mute en construisant son rayonnement. Ainsi, l’influence de la Corée du Sud se décline dans toutes les ramifications de la culture contemporaine. Modèle de stratégie réussie, le « soft power » sud-coréen révèle tout de même des discordances et des concurrences.

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Conséquence de son émergence, la puissance économique de la Corée du Sud mute en construisant son rayonnement.

  • Par son rattrapage, la Corée du sud a su s’imposer comme une puissance économique, technologique et commerciale mondiale. Le « miracle de la rivière Han » (1961-1997) s’explique par la mise en place d’une stratégie de diversification économique, au-delà des secteurs de l’acier, de l’automobile et de l’électronique. Les investissements de Séoul dans la recherche et le développement (R&D), centrée sur les nouvelles technologies, les énergies renouvelables et les services financiers ont transformé le pays en acteur majeur du commerce international. La Corée du Sud poursuit sa stratégie de puissance et profite de la libéralisation des échanges mondiaux en intégrant l’OMC (1995) puis l’OCDE (1996). L’industrie culturelle coréenne sera plus longue à se développer en raison des différentes politiques établies avant 1990, période durant laquelle la préservation de la culture était prioritaire face à l’exportation de celle-ci. Au terme de cette montée en gamme, la Corée du Sud apparaît une puissance économique, technologique et commerciale.

  • Dans les années 1990, la Corée du Sud complète sa stratégie de puissance en promouvant l’industrie culturelle. La préservation culturelle sud-coréenne a longtemps été une conséquence du passé colonial du pays débouchant sur la crainte de l’occidentalisation et de l’invasion culturelle. D'importantes réformes sont alors mises en place afin d’investir dans la culture, comme la loi pour la promotion du cinéma, qui a pour but d’attirer de grands investisseurs dans l’industrie culturelle en leur proposant des avantages fiscaux. La création d’institutions publiques, comme le ministère de la Culture en 1990 et plusieurs agences gouvernementales, chacune consacrée à l’un des segments de la culture, permettent à Séoul de s’imposer comme modèle de développement culturel. Les réussites de cette architecture institutionnelle finissent par s’exporter dans le reste de la sous-région.

  • Le gouvernement sud-coréen joue un rôle clé dans la diffusion de la culture, au point de l’instrumentaliser. Après avoir renforcé l’industrie culturelle nationale, la Corée du Sud instaure des réformes favorables à l’exportation de la culture coréenne. Par exemple, il signe un accord avec la plateforme YouTube, afin de créer une catégorie K-pop sur celle-ci en 2011. Le gouvernement saisit l’opportunité de vendre l’image nationale à l’étranger en s’appuyant sur les chaebols (conglomérat d’entreprises privées sud-coréennes) de l’industrie culturelle. Le Presidential council on nation branding, est une commission crée par Séoul afin de promouvoir le pays à travers le monde en coopérant avec les acteurs de l’industrie culturelle non gouvernementaux. Cette commission s’inscrit dans une logique d’influence douce, afin d’élargir le rayonnement international du pays. Cette logique de marketing territorial finit par renforcer l’attractivité du pays par ses productions culturelles.

Ainsi, l’influence de la Corée du Sud se décline dans toutes les ramifications de la culture contemporaine.

  • La diffusion de la culture coréenne passe d’abord par la popularisation des séries dramatiques (« dramas ») dans la sous-région. Le terme « Hallyu » provient de l’engouement de la jeunesse chinoise pour les séries télévisées coréennes. Par extension, il désigne la popularité croissante de la culture coréenne à l’étranger. Synonyme de « flux » ou « vague », Hallyu englobe les différents aspects de la culture coréenne : la musique avec les films, la musique, les séries télévisées, la gastronomie, la mode et la beauté. Pour Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, la Hallyu connaît plusieurs phases : au début des années 1990, avec un succès localisé en Chine, puis en 1997 après la crise asiatique, où l’exportation culturelle s’est étendue à l’Asie du Sud-Est, et, enfin, au début des années 2010 avec une promotion culturelle internationale (Les succès du soft-power sud-coréen, 2021).

  • L’industrie culturelle coréenne s’appuie sur le cinéma et la musique au point de créer des mastodontes économiques. La Corée du Sud propage son influence mondiale par l’utilisation intelligente des réseaux sociaux et plateformes. Ainsi, la reconnaissance planétaire de Squid Games, diffusée sur Netflix, est un parfait exemple de la réussite de la Hallyu. La série totalise 1,35 milliard d’heures de visionnage, ce qui en fait la série la plus regardée sur la plateforme. Squid Games figure les dérives de la société sud-coréenne contemporaine entre précarisation et darwinisme. En outre, la Corée du Sud tend à exporter ses valeurs à travers les succès de l’industrie musicale. Ainsi, la K-Pop constitue un genre musical à part entière avec des groupes comme PSY, BTS et Super Junior. Elle propulse un écosystème musical, la maison de disque sud-coréenne Hybe a d’ailleurs été la première agence de K-pop à dépasser 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires (2021) et pèse 8 milliards d’euros de capitalisation boursière (2023).

  • Même la gastronomie sud-coréenne est reconnue aujourd’hui comme étant l’un des éléments essentiels de la diplomatie. Cette thèse est soutenue par Yeong Han dans « Gastronomie coréenne, élément des relations internationales » (Bulletin de l’institut Pierre Renouvin, 2019). En effet, au début des années 2000, et dans une logique de promouvoir sa culture, le ministère des Affaires étrangères sud-coréen a fait de la gastronomie l’un des piliers culturels du pays. Le gouvernement promulgue une loi visant à développer le potentiel économique de l’exportation gastronomique coréenne (2019). Le kimchi, les tteokbokki, ou encore le bibimbap, sont devenus des plats emblématiques du pays. Dans une logique synergétique, ils sont mis en avant dans les autres segments culturels, comme le Jjapaguri dans le film Parasite (2019). La puissance douce de la Corée du Sud se retrouve ainsi même dans les assiettes occidentales.

Modèle de stratégie réussie, le « soft power » sud-coréen révèle tout de même des discordances et des concurrences.

  • Certes, le modèle sud-coréen constitue un modèle contemporain de l’utilisation du « soft power » au point de dépasser ses contours. Pour décrire les ressources de la puissance américaine, Joseph Nye théorise cette notion dans Bound to Lead (1991). Il insiste sur la promotion par les États-Unis d’un modèle socio-économique destiné à séduire, attirer, retenir et influencer. Pour surmonter la colonisation, le conflit avec la Corée du Nord (1950-1953), et la dictature du général Park (1961-1979), Séoul mobilise ses leviers d’influence dans tous les domaines. Ce faisant, elle parvient à dépasser la conception traditionnelle du « soft power en géopolitique ». Pour l’avocat et président du think tank Korea Europe & You (KEY) Philippe Li, « elle arrive ainsi à faire rentrer les succès culturels et artistiques dans un patrimoine national vibrant, en servant la stratégie de construction d'une image nationale tout en générant des bienfaits pour l'ensemble de l'économie » (Les Echos, 2023).

  • Toutefois, les relations entre l’État et les élites culturelles sud-coréens peuvent révéler des discordances. Effectivement, la jeunesse et les artistes sud-coréens peuvent tenir un discours critique sur le gouvernement, ce qu’illustre l’affaire de la « liste noire » artistique. Fichés dans des listes de personnalités critiques, des centaines d’artistes portent plainte contre des membres du gouvernement de l’ex-présidente Park Geun-hye en 2017. L’ex directeur de cabinet de la présidente et l’ex-ministre de la culture sont visées dans le cadre de cette plainte. Renvoyant à la période de la censure dictatoriale des années 1960 et 1970, l’existence de cette affaire témoigne d’une volonté de lutte contre l’inféodation au pouvoir sud-coréen. En outre, les artistes sud-coréens emploient leur liberté d’expression, ce qu’atteste le succès mondial du film Parasite (4 Oscars en 2020). Capitalisme exacerbé, inégalités économiques et darwinisme social sont autant de tendances de la société sud-coréenne qui font l’objet d’une critique qui s’exprime par-delà les frontières nationales.

  • Ainsi, le « soft power » de la Corée du Sud fait l’objet d’une concurrence accrue venant de puissances asiatiques ambitieuses. Depuis le XXIe siècle, les puissances est-asiatiques diversifient leurs sources de puissance en visant un impact mondial. Ainsi, le Japon devient une véritable « superpuissance culturelle » pour Douglas McGray : « le Japon réinvente une fois encore sa superpuissance. […], il apparaît aujourd’hui comme une superpuissance – cette fois, culturelle – aussi forte qu’au temps de sa domination économique » (Foreign Policy, « Japan Gross National Cool », 2002). Face à la Corée du Sud, et au Japon, la Chine tend aussi à développer sa stratégie de « puissance à 360° », laquelle inclut une dimension culturelle selon Alice Ekman (Dernier vol pour Pékin, 2022). Elle promeut une « communauté de destins » avec son « cercle d’amis » sur lequel elle cherche à exercer une emprise. Le « soft power » de la Corée du Sud est confronté à une concurrence acharnée.  

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Margaux Chérifi Brault

Source image : Lowy Institute

Source carte : NeoGeopo / Apo