Crise x Brésil – L’émergence du Brésil au carrefour de son avenir

 

30/10/2022

Depuis les années 2010, le Brésil subit une crise durable dans toutes les dimensions de l’action publique. Ancrée dans son contexte latino-américain, la vie politique brésilienne n'apporte guère de renouveau à la population. Le nouveau président du Brésil aura pour défi de réinscrire son pays dans une trajectoire émergente, globale et durable.

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Depuis les années 2010, le Brésil subit une crise durable dans toutes les dimensions de l’action publique. 

  • Heurté par la fin du super cycle des matières premières, le Brésil enregistre une grave crise économique. Selon l’intellectuel Stefan Zweig, le Brésil fonde son économie sur des cycles : ceux du bois et du sucre, puis des ressources minières et du café, jusqu’à l’industrialisation au début du XXe siècle (Le Brésil, Terre d’avenir, 1941). Grand exportateur d’hydrocarbures, de minerais et de produits agricoles (sucre, soja, éthanol, etc.), le Brésil profite au début du XXIe siècle du super cycle des matières premières. Il enregistre une croissance forte de son produit intérieur brut (PIB), s’élevant à 7,5% en 2010. Une forte crise politico-économique secoue le pays en 2014, ce qui induit une contraction économique d’environ 3,8% en 2015. Pendant les années 2020, la crise sanitaire et l’inflation généralisée prolongent les difficultés économiques brésiliennes. Pour l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le Brésil devrait enregistrer une stagnation avec 0,6% du PIB en 2022.  

  • Pays limité par ses inégalités structurelles, le Brésil connaît une conjoncture qui exacerbe la précarité sociale. Reflet fiable des inégalités, l’indice de Gini brésilien est l’un des plus élevés du monde avec 0,52 en 2021 (1 étant son maximum). Cette donnée brute traduit des modes de vies précaires pour une partie significative de la population : plus de 19 millions de Brésiliens sont en situation d’extrême pauvreté. Surtout, 12 millions de Brésiliens habitent des favelas, marquées par des conditions instables et violentes, comme le montre Hervé Théry au travers de la Villa Cruzeiro et du Complexo do Alemão à Rio de Janeiro (La ville, lieu de conflits, 2017). Dans les années 2020, la gestion calamiteuse de la crise sanitaire et l’inflation structurelle minent les perspectives d’accès aux classes moyennes. Opposé à la vaccination alors que le pays déplore 680 000 décès de la Covid-19, le président Bolsonaro diminue fortement les aides sociales initiées par Lula da Silva (« Bolsa familia »).  

  • Gardien majeur de l'Amazonie, le Brésil souffre aussi des impacts croissants de la crise environnementale. L’Amazonie est la plus grande réserve d’oxygène planétaire du monde. Espace de peuplement des indigènes sud-américains, elle comporte une riche biodiversité et de l'eau douce en abondance. Toutefois, l’Amazonie brésilienne connaît une grave crise environnementale aux effets mondiaux. D’après Ombelyne Dagicour, le poids des lobbys agroalimentaires, les projets destructeurs d’intégration par les transports et la faiblesse des réponses gouvernementales causent une déforestation massive et des pillages territoriaux (IFRI, « Géopolitique de l’Amazonie », 2020). Selon le World Wildlife Fund (WWF), la forêt amazonienne a ainsi perdu 20% de sa superficie en 50 ans. Avec 90 000 incendies simultanés, les méga-feux de 2019 constituent l’acmé de cette dégradation. Conséquences du changement climatique, les incendies et sécheresses, conjugués à la déforestation, pourraient transformer la forêt tropicale en une savane selon la revue Nature Climate Change (2022). L’Amazonie semble passée de « puits de carbone » à source de carbone nette en 2022.   

Ancrée dans son contexte latino-américain, la vie politique brésilienne n'apporte guère de renouveau à la population. 

  • Mixte de caudillisme et de populisme, le style politique latino-américain trouve à s’exprimer au Brésil. Des années 1930 aux années 1950, le national-populisme a émergé en Amérique latine au travers de dirigeants autoritaires tel que Juan Perón en Argentine (1946-1955) et Getúlio Vargas au Brésil (1930-1945 et 1951-1954). Marqué par une forte répression sociale, le Brésil connaît par la suite une dictature militaire de 1964 à 1985. Le retour du multipartisme dès 1979 favorise l’avènement de la démocratie, incarnée par des figures réformistes comme Cardoso ou Lula da Silva. Cependant, la démocratie brésilienne souffre d’une corruption chronique. Dès 2014, l’opération policière et judiciaire « Lava Jato » met en lumière un gigantesque système de blanchiment d’argent mêlant notamment la présidente Dilma Roussef, l’ex-président Lula da Silva et l’entreprise pétrolière publique Petrobras. Aussi, le Brésil figure à la 96ème place au classement de Transparency International sur la corruption perçue en 2021. 

  • La classe politique brésilienne échoue à rassembler le pays autour de l'horizon d'émergence tant attendu. Les élections présidentielles de 2022 voient s’affronter Lula da Silva (Parti des Travailleurs) et Bolsonaro (Parti Libéral). Selon Christophe Ventura, dans une note de l’IRIS, les résultats du premier tour dessinent un paysage « aux dynamiques de polarisation, de fragmentation et de radicalisation (…) qui traversent la société brésilienne » (« Brésil : et maintenant ? », 2022). Grâce à 43% des voix (Sud, Centre Ouest et grandes villes), contre 48% pour Lula (Nordeste), Bolsonaro défie les sondages et crée la surprise. Fort de 8 gouverneurs d’État, 83 députés et 15 sénateurs élus, le Parti Libéral s’impose aux premiers tours des élections concomitantes. Il mise sur le rejet d’un Parti des Travailleurs jugé corrompu et sur le sentiment d’insécurité. Capitalisant sur la réussite de ces deux mandats, Lula da Silva promet à l’inverse un projet social et écologique. La vie politique du Brésil parvient à une bifurcation fondamentale pour son avenir. 

  • Si Lula da Silva emporte l’élection, il inscrira le pays dans son héritage réformiste. Pour faire face à l’inflation, il s’engage à relancer un programme « Bolsa Familia », qui avait permis de réduire drastiquement la pauvreté sous sa présidence. Pilier de sa campagne, Lula placera la lutte contre la déforestation et le changement climatique au cœur de son mandat, à l’opposé de son prédécesseur. Le nouveau président brésilien aura à cœur de replacer le Brésil en tant que leader multilatéral mondial, en s’appuyant sur la coopération avec l’Amérique latine et l’Afrique, ainsi qu’en renouvelant les relations avec l’Europe, la Chine et les États-Unis. Le succès du Parti Liberal au Congrès freinera le gouvernement de Lula qui ne contrôlera pas le pouvoir législatif et parviendra difficilement à former une coalition suffisamment importante. Le bolsonarisme est partiellement parvenu à s’implanter dans le paysage politique brésilien. 

  • Si Bolsonaro emporte l’élection, il inscrira le pays dans une continuité libérale. Pour faire face à l’inflation, le président réélu mise sur les allocations « Auxilio Brasil », d’un montant de 600 réais. S’il s’engage officiellement à protéger l’Amazonie et à réduire les émissions de gaz à effet de serre, sa volonté de renforcer les activités minières augure d’un nouveau mandat déconnecté des impératifs écologiques mondiaux. Sur le plan international, Bolsonaro poursuivra sa politique fondée sur la multiplication d’accords bilatéraux. Trait essentiel de sa première présidence, Bolsonaro promet une augmentation du budget de l’armée et de la police pour lutter contre l’insécurité qui frappe le pays. Le succès du Parti Liberal au Congrès lui permettra de gouverner sans grande difficulté, en faisant alliance avec la droite traditionnelle et le « centrao ». Le bolsonarisme s’implante durablement dans le paysage politique brésilien. 

Le nouveau président du Brésil aura pour défi de réinscrire son pays dans une trajectoire émergente, globale et durable. 

  • À court terme, le Brésil pourrait relancer le cycle de l'émergence en retrouvant sa créativité singulière. Fruit d’un métissage multidimensionnel, la culture brésilienne est unique et rayonnante. Elle parvient à « fusionner différentes tendances et styles » selon Olivier Dabène et Frédéric Louault (Atlas du Brésil, 2018). La samba, la capoeira ou le carnaval sont les symboles d’une culture nationale enrichie par le syncrétisme et les métissages, ce qui engendre un rayonnement international exceptionnel. Du génie architectural d’Oscar Niemeyer à la prose engagée de Jorge Amado, de la virtuosité footballistique de Pelé à la bossa nova de João Gilberto, l’inventivité brésilienne brille par son renouvellement permanent. Ainsi, sport national, le football unit les Brésiliens autour d’une ferveur commune, à l’image de l’engouement lors de la Coupe du Monde 2014 au Brésil. Source de rassemblement du pays, la culture du Brésil favorise l’apaisement national et œuvre à son « soft power ». 

  • À moyen terme, le Brésil aurait à renforcer ses partenariats en rééquilibrant les relations avec son voisinage. La diplomatie brésilienne pourrait gagner à renouer avec sa tradition en se redonnant un horizon multilatéraliste. Malgré une dégradation des relations sous-continentales sous Bolsonaro, le Brésil assume son leadership latino-américain et favorise le régionalisme. Il privilégie d’abord le libre-échange avec le Mercosur (1991), qu’il initie avec l’Argentine, puis se porte vers les enjeux « post-commerciaux » avec l’Unasur (2008) ou la CELAC (2011) en tant que puissance initiatrice et motrice. En rééquilibrant ses rivalités historiques par une intégration renforcée, Brasilia se placerait ainsi en pilier multilatéral de l’Amérique latine. À l’échelle mondiale, le Brésil pourrait aussi renforcer son influence au travers de divers organismes. Au sein du groupe des BRICS, institué en 2011, il gagnerait à se porter en partenaire stable et durable avec les pays occidentaux. Au sein du G77, il apparaît comme porte-parole des pays en développement aux Nations Unies et s’impose comme puissance unificatrice.  

  • À long terme, le Brésil pourrait rayonner en consolidant ses atouts environnementaux et démographiques. Sur le plan environnemental, le potentiel du Brésil est immense. Le Brésil pourrait asseoir une souveraineté énergétique durable voire devenir une puissance exportatrice majeure. Renforcer les investissements dans l’énergie éolien, solaire et hydroélectrique pour profiter de ses atouts naturels et climatiques et poursuivre le développement des biocombustibles. La protection de l’Amazonie et de ses populations indigènes constitue un défi de taille pour le Brésil et le monde entier dans la lutte contre le changement climatique. Sur le plan démographique, le Brésil fait figure de laboratoire de l’humanité en miniature. En raison du poids des métissages et de sa démographie, les Brésiliens connaitront ainsi les hybridations et frictions d’un monde en créolisation. Pour Edouard Glissant, philosophe et poète antillais (Traité du Tout-Monde, 1997), « la créolisation […] c’est le métissage des cultures qui produit de l’inattendu ». Le peuple brésilien nous invite à nous attendre encore et toujours à la survenance de l’inattendu.  

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Adrien Gredy

Source image : CNN Brasil

Source carte : NeoGeopo / Apolline B. [rendons à Apo ce qui est à Apo]

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