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Europe x Libye – De la dictature au chaos

Atomisée par la guerre civile, la Libye devient l’épicentre de risques majeurs pour les Européens. La lutte de pouvoir entre les belligérants s’internationalise au point d’aggraver le chaos national. Alors que l’ONU reste impuissante à régler le conflit, les Européens auraient intérêt à assumer leurs responsabilités.

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Atomisée par la guerre civile, la Libye devient l’épicentre de risques majeurs pour les Européens.

  • Située en Afrique du Nord, la Libye est un pays méditerranéen au carrefour du Sahel, du Moyen-Orient et de l’Europe. Quatrième plus grande superficie d’Afrique, elle compte 6,4 millions d’habitants. Son territoire est réparti en trois grandes régions qui constituent un sous-jacent géographique pour comprendre sa situation actuelle. Comprenant la capitale Tripoli, la Tripolitaine est un territoire riche, dense et situé à l’ouest. La Cyrénaïque se trouve à l’est du pays et elle est frontalière de l’Égypte. Elle comporte plusieurs champs pétrolifères et gaziers du bassin de Syrte (70% des réserves nationales). Enfin, la région du Fezzan est plus désertique et aride, elle se singularise par un peuplement de Touaregs et de Toubous. 

  • L’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 a plongé le pays dans la guerre civile. Kadhafi avait pris le pouvoir en 1969. Pendant quatre décennies, son régime autocratique s’est caractérisé par des violations de droits humains et des soutiens à des mouvements terroristes. Au début des années 2010, des groupes issus de la société civile se sont soulevés contre le dictateur dans le contexte du Printemps arabe. La Libye s’est retrouvée morcelée par les allégeances régionales et tribales. Sous la pression d’une coalition agissant avec un mandat de l’ONU, Kadhafi a été tué par des forces armées à Syrte. La tentative postérieure de démocratiser la Libye fut un échec causé par les clivages profonds du pays.

  • La situation actuelle de la Libye concentre des foyers de déstabilisation pour l’Europe. Plusieurs enjeux exacerbent l’importance de la Libye pour l’aire européenne : les ressources, les terrorismes et les migrations. La Libye est un pays pétrolier qui exporte entre 500 K et 1 million de barils par jour. Son instabilité politique affecte ses exportations pétrolières à destination des acheteurs dépendants. En conséquence, les Européens redoutent les chocs sur le cours du brut et les effets récessifs sur leurs économies. Au-delà des ressources, une Libye en guerre peut devenir un camp d’entraînement terroriste et une plaque tournante de migrations clandestines. Les Européens ont ainsi un intérêt direct à surveiller ce pays de leur voisinage.

La lutte de pouvoir entre les belligérants s’internationalise au point d’aggraver le chaos national.

  • La guerre civile en Libye procède de l’affrontement entre Fayez el-Sarraj et Khalifa Haftar depuis 2014. N’ayant pas mis en place de gouvernement accepté par tous, la Libye est divisée entre deux forces rivales. À l’ouest, dans la région Tripolitaine amoindrie, Sarraj est chef du gouvernement d’union nationale (GNU) reconnu par la communauté internationale. Il cherche à se maintenir au pouvoir et à reprendre dans son giron les ressources de la Cyrénaïque. À l’est et au sud, dans la région Cyrénaïque étendue, Haftar est le commandant de l’armée nationale libyenne (ANL). Fort du contrôle de 80% du territoire, son but est de marcher sur Tripoli, conquérir le pouvoir et restaurer l’ordre par la force.

  • Des puissances régionales s’ingèrent dans ce conflit en offrant un soutien solide à leur protégé. L’ANL du maréchal Haftar bénéficie de l’appui des puissances arabes sunnites que sont l’Égypte, les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite. Contre elles, le Qatar et la Turquie misent sur le GNU de Sarraj. Ainsi, la Turquie a autorisé le déploiement de forces armées dans le pays en janvier 2020. Elle vise à augmenter son poids géopolitique dans la région notamment au sein des territoires ayant fait partie de l’Empire ottoman. Elle anticipe les besoins d’infrastructures pour reconstruire ce pays qui dispose d’un fonds souverain de 70 milliards de dollars d’actifs gelés (Libyan Investment Authority).

  • Des puissances mondiales poursuivent un agenda caché qui brouille les repères géopolitiques. Fins connaisseurs de la situation, plusieurs observateurs pointent une internationalisation du conflit. Certes, l’ONU reconnaît la légitimité du GNU de Sarraj, ce qui devrait imposer aux pays membres d’adopter la même position. Pourtant, des pays membres du Conseil de Sécurité, dont la Russie et la France, prennent parti dans ce conflit par des moyens diplomatique et militaire. Selon le chercheur Jalel Harchaoui, la France procure une « aide active » car elle a « violé l’embargo contre les armes » pour appuyer l’initiative du maréchal Haftar alors même qu’elle affirme le contraire. Des puissances mondiales suivent une stratégie trouble qui aggrave le chaos libyen.

Alors que l’ONU reste impuissante à régler le conflit, les Européens auraient intérêt à assumer leurs responsabilités.

  • L’ONU ne parvient pas à promouvoir un règlement politique face à l’escalade de la violence. Elle a dépêché en 2017 un envoyé spécial, Ghassan Salamé, qui est chargé d’établir les meilleurs équilibres afin de dégager une solution politique qui apaiserait la Libye. Selon le journaliste Vincent Hugeux, auteur de la biographie Kadhafi, l’envoyé spécial est un « Sisiphe libyen » qui doit toujours reprendre son travail sans pouvoir atteindre son but : « la Libye n’a jamais été une entité unitaire » et « les tropismes régionaux et tribaux ont toujours été prévalents ». Ces caractéristiques de la Libye expliquent l’enlisement de la guerre civile autant que l’impuissance de la communauté internationale à l’apaiser.

  • Les Européens doivent surmonter leurs stratégies troubles pour faire front commun dans ce territoire stratégique. Comme l’internationalisation du conflit et l’impuissance onusienne, les forces à l’œuvre en Libye font prendre aux Européens le risque d’être marginalisés dans une zone relevant de leur intérêt vital. Pour les éditorialistes du journal Le Monde, les Européens « n’ont pas d’autre choix que de faire taire leurs dissensions, de serrer les rangs et d’unir leurs forces ». Ils ont ainsi pris l’initiative d’organiser la conférence de Berlin le 19 janvier 2020 qui a réuni les principales parties prenantes au conflit. Ils aspirent à la mise en place d’un cessez-le-feu et à la reprise d’un processus politique. L’ampleur de la tâche des Européens fait écho à la formule d’Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe : « il faut imaginer Sisyphe heureux »

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Source image : Courrier international

Source infographie : AFP

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