Futur x Éducation – Éduquer pour dominer
Centrale pour les puissances géopolitiques, l’éducation leur permet de se développer et de rayonner. Or, les tendances engagées en démographie et en technologie rendront ce secteur encore plus stratégique. Dans ces circonstances, les Européens pourront briller en développant leur héritage et en assumant les luttes de demain.
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Centrale pour les puissances géopolitiques, l’éducation leur permet de se développer et de rayonner.
Comme les systèmes éducatifs comptent pour la puissance, ils font l’objet de comparaisons internationales. Pour l’éducation secondaire, le classement PISA de l’OCDE est une référence publiée tous les 3 ans. Il permet de comparer les performances scolaires entre des étudiants âgés de 15 ans. Le classement paru en 2019 s’est fondé sur un échantillon de 600 000 étudiants issus de 79 pays. En lecture, en sciences et en mathématiques, les étudiants de plusieurs provinces aisées d’Asie, comme Beijing et Hong Kong, arrivent bien en tête. Pour l’éducation supérieure, la référence ultime demeure le classement de l’université Jiao Tong de Shanghai. Celui-ci confirme la prédominance du monde anglo-saxon puisque 8 universités américaines et 2 universités britanniques figurent parmi les 10 meilleures en 2019.
L’éducation supérieure stimule et accompagne le développement des économies. Plusieurs pays d’Asie orientale sont parvenus à des degrés élevés de développement en mettant en place des programmes éducatifs ambitieux. Ainsi, après 1965, les dirigeants politiques de Singapour se sont donnés pour but de « développer la seule ressource naturelle disponible : sa population » selon la formule du dirigeant Lee Kuan Yew. Critiqué pour l’angoisse forte qu’il suscite, le système éducatif de Singapour est réformé en 2018 sur la base d’expérimentations. Il se concentre ainsi davantage sur la réflexion critique et les qualités interpersonnelles qui sont des compétences indispensables au XXIe siècle.
L’éducation supérieure sert des logiques de puissance tant elle contribue au rayonnement national. C’est ce que souligne l’analyste et théoricien des relations internationales américain Joseph S. Nye dans son ouvrage Future of Power. Il y présente le système éducatif américain comme une source de « puissance douce » et de « succès économique à l’âge de l’information ». En effet, les étudiants internationaux dans les universités américaines, dont Harvard ou Yale, atteignent le niveau record de 1,1 million et contribuent pour 45 Md$ à l’économie américaine en 2019. Sensibilisés aux valeurs américaines, ils peuvent mieux en promouvoir le modèle à leur retour dans leur pays d’origine.
Or, les tendances enclenchées, en démographie comme en technologie, rendront ce secteur encore plus stratégique.
À moyen terme, l’évolution démographique stimulera les besoins d’éducation dans les pays en développement. En effet, le cas du continent africain illustre le mieux les impacts du défi démographique sur les systèmes éducatifs. Pour l’organisation des Nations Unies (ONU), la population africaine pourrait doubler en 30 ans soit passer de 1,2 Md d’habitants aujourd’hui à 2,4 Mds d’habitants en 2050. À cette date, plus de la moitié de la population aurait moins de 25 ans ce qui signifie qu’elle devrait être en situation d’étudier ou de commencer une carrière. Or, les pays sahéliens causeront l’essentiel de la hausse alors même que les taux d’alphabétisation des adultes y sont déjà faibles, comme 20% seulement au Niger. C’est dire l’ampleur des besoins éducatifs qui doivent être anticipés.
À long terme, la place accrue des technologies transformera les besoins d’éducation dans les pays développés. Au-delà de l’enjeu du nombre d’apprenants, le défi d’une éducation de qualité prendra son essor. Dans un monde en changement perpétuel, les interactions entre les personnes et les relations avec les machines imposeront à chacun de développer sans cesse sa capacité d’apprentissage. Pour le cabinet de conseil en stratégie BCG, les étudiants auront donc besoin de 3 ensembles de capacités recouvrant 16 domaines : les savoirs (lire, écrire, etc.), les compétences (créativité, collaboration, etc.) et les qualités personnelles (curiosité, adaptabilité, etc.) selon l’étude Education Technology and the 21st Century Skills Gap.
Dans ces circonstances, les Européens pourront briller en développant leur héritage et en assumant les luttes de demain.
Les institutions éducatives européennes disposent d’avantages comparatifs à valoriser en augmentant leur taille critique. L’enseignement supérieur en Europe dispose d’un ancrage historique singulier, sublimé par une tradition humaniste, dont attestent les universités de La Sorbonne et de Florence remontant au Moyen-Âge. Soumis aujourd’hui à une compétition internationale, il ambitionne de former plus d’étudiants et de déclencher plus d’investissements. Ainsi, les institutions d’enseignement supérieur en Europe gagnent en taille critique par des alliances, des rapprochements et des fusions. Cette logique sous-tend l’émergence du pôle de l’Institut polytechnique de Paris annoncé début 2019. Renforcé par une alliance avec HEC, ce nouvel ensemble aspire aux premiers rangs mondiaux face à ses rivaux anglo-saxons.
Confrontée à des rivalités géopolitiques croissantes, l’Europe gagnerait à sauvegarder son modèle d’éducation. Plusieurs théoriciens des relations internationales pointent les périls des modèles promus par des puissances rivales à l’Europe. Selon Thomas Gomart, directeur de l’IFRI, la rivalité sino-américaine est en train de « produire une société mondiale de la surveillance qui, pour l’heure, laisse les Européens incrédules » (L’affolement du monde). Attachés à la démocratie politique et au pluralisme social, les Européens mettront en jeu leurs valeurs face à des grandes puissances tentées par un « autoritarisme numérique ». Ces bouleversements démographique, technologique et géopolitique auront des répercussions certaines dans le champ de bataille de l’éducation.
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