Géopolitique x Sport - La planète football

 

20/11/2022

Depuis sa création au XIXe siècle, le football atteint une portée universelle, ce qui l’inscrit dans les conflictualités géopolitiques. Dans la mondialisation contemporaine, il devient un nouvel instrument pour les stratégies de puissance des acteurs. Ainsi, la Coupe du monde au Qatar de 2022 symbolise les grandeurs et les dérives du football international.

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Depuis sa création au XIXe siècle, le football atteint une portée universelle, ce qui l’inscrit dans les conflictualités géopolitiques. 

  • Issu de l’époque anglaise victorienne, le football s'internationalise pour atteindre une portée universelle. Il naît en Angleterre au milieu de la Révolution industrielle au XIXe siècle. La Football Association est constituée en 1863. Elle édicte les premières règles d’un sport qui se popularise au-delà des « public schools » britanniques. Pendant cette période d’interconnexion croissante, le déploiement des lignes de communication, des voies ferrées et des routes maritimes participe à la diffusion de ce nouveau sport en Europe. Le football s’exporte et s’implante avant tout dans les ports européens. Le Havre (premier club professionnel français), Barcelone, Bilbao, Hambourg ou Gênes deviennent de véritables berceaux nationaux pour l’européanisation du football. Le football poursuit son exportation par les migrations outre-Atlantique : l’Amérique du Sud accueille la première Coupe du monde de football en Uruguay en 1930. 

  • Cette universalité du football lui permet de refléter les dynamiques géographiques et sociologiques au XXe siècle. Ainsi, l'évolution des sélections nationales de football apparaît représentative des vagues migratoires enregistrées par les nations attractives. À l’échelle nationale, dans le cas du football français, les joueurs issus de l’immigration représentent une forme possible d’intégration réussie pour les diasporas. Des personnalités du football incarnent ces trajectoires singulières comme Larbi Benbarek (né au Maroc, années 1930), Raymond Kopa (originaire de Pologne, années 1950), Michel Platini (originaire d’Italie, années 1980) ou encore toute la génération victorieuse de la Coupe du monde en 1998 dite « black, blanc, beur » du fait de ses origines métissées pour Blanchard, Dubucs et Gastaut (Atlas des immigrations en France, 2021). À l’échelle locale, deux clubs implantés au sein d’une même ville peuvent aussi représenter ses clivages socio-spatiaux. Le derby madrilène entre le Real et l’Atlético présente autant un clivage nord-sud qu’une scission entre bourgeoisie et prolétariat.  

  • Mode de canalisation de la violence, le football en devient aussi un terrain d’expression au XXe siècle. Des penseurs s’accordent à conférer au sport une fonction de régulation et de pacification de la violence dans la société. Fruit d’un processus millénaire de « civilisation des mœurs », le football contribue à cette « maîtrise » de la violence pour Norbert Élias (Sport et civilisation, 1994). S'il constitue une compétition régulée, il devient aussi un moyen de domination dans les antagonismes géopolitiques. Dans les années 1930, l’Italie fasciste de Mussolini est le pays hôte et le pays vainqueur de la Coupe du monde de football de 1934. Cette victoire sportive est instrumentalisée par le régime totalitaire au point d’en faire une « grande messe médiatique fasciste » pour Émilie Aubry dans Le Dessous des Cartes (« Le foot, un enjeu de puissance », 2022). Dans les années 1940, la tournée du Dynamo de Moscou en Angleterre en 1945 inspire à George Orwell ce mot d’esprit resté dans l’histoire du sport : « a war minus the shooting » (The Sporting Spirit, 1950). 

Dans la mondialisation contemporaine, il devient un nouvel instrument pour les stratégies de puissance des acteurs. 

  • Mondialisé et financiarisé, le football est devenu un secteur économique à forte perspective de rentabilité. Suivis par des millions de personnes, les championnats et compétitions internationales apportent une manne financière importante. La Premier League anglaise a généré près de 3,5 Md€ en droit télévisuels sur la période 2021-2022 pour l’Observatoire du sport business. Pendant les périodes de mercato, soit la phase autorisant les transferts de joueurs entre clubs, une véritable guerre économique se joue entre les acteurs du football. Ils investissent des sommes importantes pour transférer un joueur (Neymar, 222 M€) ou acheter une équipe (Newcastle, 350 M€). Le développement de sociétés sportives liées à des États comme Qatar Sport Investment et Abu Dhabi Investment Authority, est une tendance lourde de ce secteur (rachat du PSG ou de Manchester City). De grandes multinationales font leur apparition comme la City Football Group, un mastodonte qui détient de nombreux clubs et plus de 1 500 joueurs dans le monde. Dès lors le football business entre dans une autre dimension où logique sportive et intérêts financiers se conjuguent. 

  • Dans cet univers compétitif, la puissance footballistique devient un outil du « soft power ». Spécialiste en géopolitique du sport, Jean-Baptiste Guégan, explique dans le Ramsès 2023 en quoi le sport est devenu « une affaire d'État et de civilisation au point que le monde se divise désormais en deux catégories : les sportocratures et les sportocraties ». Pour les premières, comme la Russie, l’Arabie saoudite, la Chine et le Qatar, le sport est utilisé comme un outil de diffusion de leur émergence géopolitique et de leur narratif politique. À l’inverse, ce soft power sportif est peu instrumentalisé dans les « sportocraties ». Celles-ci se fondent sur un modèle libéral plus axé sur le rayonnement économique. Puissances footballistiques majeures, les grandes nations sud-américaines ont su exploiter leur image forte dans le football pour organiser des événements internationaux avec cinq Coupes du monde (Uruguay, Brésil, Chili et Argentine) et exporter leurs joueurs professionnels dans les meilleurs championnats étrangers (Maradona, Cavani, Messi et Neymar). 

  • Le football est une grande scène politique mondiale qui consacre des acteurs non-étatiques à la portée démesurée. Depuis sa création à Paris en 1904, la Fédération internationale de Football association (FIFA) est l’autorité organisatrice du football mondial. Elle fixe l’agenda des grandes réformes du monde football et pèse sur l’évolution du jeu lui-même. En 2022, la FIFA entend transformer le calendrier des matchs, réformer le système de transfert, optimiser les règles du jeu et protéger les parties prenantes. Elle rassemble 211 fédérations nationales alors qu’il n’y a que 193 États membres dans l'Organisation des Nations unies (ONU). Tandis que la Chine y voisine avec Taïwan, Israël et la Palestine cohabitent dans la FIFA. Compte tenu de son rôle fédérateur, la FIFA attise les convoitises, associées aux risques de corruption, venant de pays conscients que son influence dépasse le simple milieu sportif, dont des pays arabes. Dans ce contexte, la Coupe du monde 2022 est le résultat d’une stratégie de puissance amorcée il y a deux décennies par le Qatar. 

Ainsi, la Coupe du monde au Qatar en 2022 symbolise les grandeurs et les dérives du football international.

  • La Coupe du monde est une manifestation sportive d’envergure globale qui a favorisé l'intégration mondialisée. Si la compétition footballistique mondiale existe depuis 1930, elle ne devient un phénomène universel qu'au XXIe siècle dans notre « village planétaire » où règnent les médias de masse (McLuhan, The medium is the message, 1967). En 2018, 3,5 milliards de téléspectateurs, en audience cumulée, ont suivi le Mondial pour la FIFA. Selon le géopolitologue Pascal Boniface, « la télévision a permis la construction d’un stade virtuel dans lequel le nombre de place est illimité » (Une géopolitique du sport ?, 2016). Donnant à toute image une répercussion mondiale, cette compétition est le moyen le plus efficace pour promouvoir l'image de marque d’un territoire (nation branding). Ainsi, en 2010, la Coupe du monde de football est organisée en Afrique du Sud, permettant au pays d'afficher une image d’unité, après les déchirements de l’apartheid, et au continent de faire valoir son émergence. Puissances économiques majeures, les pays du Golfe, comme le Qatar, profitent aussi dans cette opportunité de transformer leur image. 

  • L’obtention et la gestion de la Coupe du monde 2022 par le Qatar consacrent ses efforts pour appartenir au club des puissants. Si la Coupe du monde s’ouvre le 20 novembre 2022, le moment décisif a lieu en décembre 2010 à Zurich. Le vote du comité exécutif de la FIFA fait exulter les dirigeants du richissime État pétro-gazier du Golfe. Le Qatar pourra rayonner dans le monde entier. La stratégie qatarie s’articule autour de son projet National Vision 2030 qui vise, au-delà de la simple rente gazière et pétrolière, à construire sa puissance dans des secteurs structurants (éducation, recherche et sport). Pour développer sa marque-pays, le budget du Qatar est colossal avec près de 220 Md$ investis dans l’hôtellerie, les infrastructures ou les transports (Statista). Si cette démesure enrichit des entreprises locales et internationales, elle suscite des préoccupations sociales et environnementales. 

  • Le déroulement du Mondial 2022 symbolise les défis qui attendent le football voire le sport international. L’organisation d’une Coupe du monde dans un pays désertique où il n’existe aucune tradition footballistique est problématique. Dès l’attribution de l’organisation en 2010, des organisations non-gouvernementales (ONG) dénoncent l’aberration écologique, le non-respect des droits humains et la corruption. La visibilité des conditions de construction des infrastructures sportives révèle l’existence d’un système d’exploitation généralisé des travailleurs immigrés au Qatar. Dans son dernier Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde (2022), l’ONG Amnesty International explique qu’« en dépit de réformes gouvernementales, les travailleuses et travailleurs migrants étaient toujours en butte à des violations du droit du travail ». Enfin, le bilan environnemental de cet événement annoncé à tort comme « neutre en carbone » par la FIFA et le pays d’accueil, semble nuisible (stades climatisés, navettes aériennes pour les supporters). Après le nation branding, le Qatar est devenu expert en sport-washing

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Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Axel Riondet

Source image : France Info

Source carte : NeoGeopo / Le Monde

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