Géostratégie x Europe - La Pologne, nouveau pivot européen

 

26/06/2025

Entre effacement historique et résurrection, la Pologne dessine une trajectoire singulière et autonome. De plus, la Pologne construit l’architecture d’une Europe puissance par son appartenance euro-atlantique. Face à des limites internes et externes, la Pologne cherche à surmonter ses défis pour s'imposer comme nouveau pivot stratégique.

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Entre effacement historique et résurrection, la Pologne dessine une trajectoire singulière et autonome.

  • Pays charnière entre l’Est et l’Ouest de l’Europe, la Pologne est une nation au temps long. Selon Pierre Buhler, la Pologne « porte en elle une histoire tumultueuse marquée par des périodes de grandeur, de déclin, et de renaissance » (Diploweb, Février 2025). En effet, l’histoire de la Pologne débute vers le milieu du Xe siècle avec la naissance d’un royaume de Pologne sous la dynastie des Piast. Jusqu’au XVIIe siècle, la Pologne s’érige en puissance régionale. Toutefois, les désordres internes entrainent un délitement de la Pologne en 1795, partagée entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. La Pologne est dépecée et disparait en tant qu’État souverain jusqu’en 1918 où elle retrouve son indépendance. Avec l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, la Pologne est à nouveau envahie par l’Allemagne nazie et l'Union soviétique suite au pacte germano-soviétique de 1939. A nouveau confronté à l’invasion, la Pologne deviendra un État satellite de l’URSS avant que sa quête d’indépendance ne se réactive à la fin des années 1980.

  • L’émancipation contemporaine polonaise est progressive et s’inscrit dans un ancrage vers l’Ouest. Si la Pologne est réunifiée en 1945, elle passe près de 40 ans sous influence soviétique. La signature du traité de Varsovie en 1955 maintient le pays dans une alliance sécuritaire, politique et économique avec l’URSS communément appelé bloc de l’Est. La Pologne s’inscrit, durant cette période, dans ce que Milan Kundera qualifie d’« Occident kidnappé » dans son ouvrage éponyme Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale (1983) en référence aux États d’Europe centrale devenus des pays satellites de Moscou depuis 1945 bien que les peuples de la région appartiennent culturellement à l’Occident. En outre, la chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’URSS en 1991 offre à la Pologne les conditions pour faire son retour progressif vers l’Ouest symbolisé par l’adhésion à l’OTAN en 1999 d’une part et à l’Union européenne en 2004 d’autre part.

  • Ainsi, la nouvelle Pologne s’active à redevenir un acteur de son propre chef. Sur le volet politique, les élections semi-libres de 1989 ont permis au syndicat Solidarność (Solidarité) d’instaurer le premier gouvernement non-communiste dirigé par le premier ministre Tadeusz Mazowiecki. Sur le plan économique, la Pologne mène la transition d’une économie de type soviétique obsolète en une économie de marché grâce à une « thérapie de choc » ou plan Balcerowicz (1989) du ministre de l’économie Leszek Balcerowicz. Aux effets contrastés, ce plan réduit l’hyperinflation et la dette polonaise. La mue de l’économie polonaise se poursuit pour en faire l'une des plus robustes d'Europe centrale et orientale (PECO). Le taux de croissance polonais est au constamment au-dessus de la moyenne européenne pour atteindre 5,3% en 2022 contre 3,5% à l’échelle européenne. De même, la Pologne a le taux de chômage le plus faible en Europe, à 2,7% en 2025 contre 5,8% pour la moyenne européenne.

De plus, la Pologne construit l’architecture d’une Europe puissance par son appartenance euro-atlantique.

  • L’ascension géopolitique de la Pologne s’inscrit dans une double intégration euro-atlantique. D’une part, la Pologne mise en faveur de l’intégration atlantique à travers son intégration à l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) en 1999. Cette intégration militaire vise trois objectifs pour Amélie Zima : « se protéger de la Russie, remédier au vide sécuritaire et ancrer le pays dans la sphère occidentale » (Questions Internationales, 2014). De nos jours, la Pologne accueille plusieurs bases de l’OTAN sur son sol dont la base américaine de défense antimissile de Redzikowo inauguré en novembre 2024. Cette base otanienne est intégrée au dispositif « Aegis Ashore » qui détecte et intercepte les missiles balistiques susceptibles de toucher les pays de l’Alliance atlantique. D’autre part, la Pologne a fait de son intégration à l’Union européenne en 2004 un tremplin économique. En 20 ans, le PIB par habitant a été multiplié par 4 en passant de 256 milliards de dollars en 2004 à 840 milliards en 2024 (Banque Mondiale) et classe la Pologne comme sixième puissance économique de l’Union européenne en 2024.

  • En outre, la Pologne célèbre son retour dans le concert des nations par la diplomatie européenne. La réorganisation diplomatique polonaise est façonnée par la mise en place d’une politique de voisinage. En 1991, la Pologne s’insère dans deux architectures de coopération pour faciliter son intégration aux institutions occidentales. Primo, la Pologne est membre du groupe de Visegrád qui regroupe quatre pays d’Europe centrale (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie). Or depuis les années 2010 et l’arrivée de gouvernements conservateurs successifs, le V4 est perçu comme une entité politique différente, plus autoritaire, illibérale et conservatrice. Secundo, au travers du Triangle de Weimar, Varsovie compte sur un format trilatéral avec Paris et Berlin pour s’insérer comme un moteur de la construction européenne. Sa réactivation récente témoigne activisme diplomatique fort dans lequel la Pologne navigue autour d’une « harmonie stratégique » (Radoslaw Sikorsk, avril 2024) avec l’Europe et les Etats-Unis.

  • Enfin, créer l’« Europe puissance » semble devenu une priorité. La Pologne s’affirme comme un moteur de transformation européenne. « En s’affaiblissant sous l’effet de la crise, l’Europe nous donne une occasion unique de rattraper les autres grands pays et de nous affirmer. » explique Aleksander Kwaśniewski, ancien président de la République dans Pologne, la noblesse de la terre de Jurek Kuczkiewicz (2013). Dès lors, Varsovie déploie un leadership européen vers une « Europe puissance ». La présidence tournante du Conseil de l'Union européenne polonaise débutée en janvier 2025 s’illustre par la devise « Security, Europe ! » en témoigne. En parallèle, Varsovie renforce ses efforts de défense en multipliant par 3 ses dépenses militaires de 10 à 35 milliards d’euros entre 2004 et 2024. Elle consacre 4,1 % de son PIB à la défense en 2024 et prévoit de d’atteindre près de 5 % de son PIB d’ici fin 2025 se conformant aux prérogatives américaines énoncées en janvier 2025. Enfin, elle ambitionne de déployer des « capacités aéroterrestres sans égales en Europe » (Pologne, première armée d’Europe en 2035 ?, IFRI, 2025) passant de 202 000 militaires d’actives à 300 000 d’ici 2035 par suite de l’adoption la Loi sur la défense de la Nation en mars 2022.

Face à des limites internes et externes, la Pologne cherche à surmonter ses défis pour s'imposer comme nouveau pivot stratégique.

  • Les fracturations politiques internes affaiblissent la Pologne. En effet, le processus de démocratisation est freiné par une un « bipartisme imparfait » selon Jérôme Hertaux dans son ouvrage La démocratie par le droit : Pologne, 1989-2016 (2017). Ce bipartisme politique est représenté par deux grand partis qui rythment la vie politique polonaise. D’une part, la Plate-forme Civique (PO), pro-européenne a permis d’offrir deux mandats à Donald Tusk entre 2007 et 2014 et depuis 2023. D’autre part, le parti Droit et justice (PiS), conservateur et euro-sceptique s’est maintenu 8 ans au pouvoir (2015-2023). L’alternance politique polonaise contemporaine est reflétée par le maintien au pouvoir de candidats du PiS à la présidence du pays en la personne d’Andrzej Duda et d’un gouvernement de centre droit et pro-européen dirigé depuis 2023 par Donald Tusk. Le 1er juin 2025, l’élection présidentielle a confirmé cette fracturation avec l’élection de Karol Nawrocki, nationaliste ultra-conservateur autour du slogan « La Pologne d’abord. » similaire à l’« America First » de Donald Trump.

  • Sur le plan stratégique, la dynamique polonaise est marquée par l’émergence de facteurs limitants. Le mix énergétique de la Pologne dépend massivement du charbon. Ce dernier représente 60% de la production d’électricité (AIE, 2023) et fait de la Pologne le premier producteur européen. Pour limiter ses émissions de gaz à effet de serre (GES), la Pologne cherche à développer le nucléaire civil en lançant un programme d’investissement de 14 milliards d’euros pour le déploiement de 6 à 9 GW de capacités nucléaires d’ici 2043. De plus, le voisinage polonais est instable. La Pologne partage des frontières terrestres avec la Biélorussie et l’enclave de Kaliningrad avec le corridor de Suwalki. Cette ligne de démarcation terrestre de 65 kilomètres de long entre la Lituanie et la Pologne est aussi un corridor terrestre le plus court entre la Russie et la Biélorussie. Ce passage concentre les tensions au point d’être un « hot spot stratégique » pour le général Ben Hodges, commandant en chef des forces américaines en Europe entre 2014 et 2017 (Le Monde, 2025). Il suscite la crainte des pays Baltes du fait d’un isolement à l’OTAN en cas d’attaque.

  • Enfin, face aux crises contemporaines, Varsovie s’érige en pivot stratégique. Pierre Buhler évoque dans son ouvrage Pologne, histoire d’une ambition (2025), un « moment polonais » au cœur d’une Europe de l’Est qui retrouve une position centrale face aux crises. La Pologne aspire à jouer un rôle de pivot. L’agression de l’Ukraine par la Russie débutée en 2014 par l’invasion de la Crimée et poursuivie à grande échelle en février 2022 place la Pologne comme nouveau rempart européen. La base militaire de Rzeszow voit transiter près de 80% de l’aide militaire et humanitaire à destination de l’Ukraine. La Pologne est également le premier pays d’accueil de réfugiés ukrainiens avec près de 1 900 000 personnes en 2025 (UNHCR). Pour poursuivre cet ancrage, Varsovie déploie également de nouveaux partenariats approfondis. La signature du traité de coopération renforcée et d’amitié de Nancy avec la France en mai 2025 en témoigne. Cet accord de coopération multi-domaine « institutionnalise une amitié durable ; marque une évolution dans l’équilibre interne de l’Europe ; répond à la crise sécuritaire provoquée par l’agression russe contre l’Ukraine » pour Le Grand Continent. La Pologne se voit donc en nouveau leader européen.

Source texte : NeoGeopo / Matthieu Alfré et Axel Riondet

Source image : IFRI

Source carte : Matthieu Alfré et Christophe Chabert

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