Futur x Alimentation – Nourrir le monde en 2050
Les filières agro-alimentaires, allant des parcelles aux assiettes, présentent d’importants contrastes pour nourrir le monde. Or, d’ici 2050, la croissance de la population et l’évolution des régimes alimentaires mettront sous pression les ressources disponibles. Les filières agro-alimentaires devront être optimisées, intensifiées et réorientées pour assurer la sécurité alimentaire mondiale.
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Les filières agro-alimentaires, allant des parcelles aux assiettes, présentent d’importants contrastes pour nourrir le monde.
L’amont de la chaîne agro-alimentaire révèle une forte dispersion des modèles agricoles. Des écarts de modèles agricoles sont observables tant à l’échelle mondiale qu’à l’échelle nationale. Par exemple, pour Sébastien Abis, responsable du think tank Demeter, la France possède un « food power » ancré dans son territoire puisque la moitié des sols métropolitains sont destinés à l’agriculture. Les exploitations françaises présentent d’importants contrastes de superficie et de pratiques. Si les exploitations de bovins mixtes (lait, viande) occupent en moyenne 119 ha, les exploitations de maraîchage et d’horticulture n’ont que 10 ha. Plus encore, le poids politique des grands céréaliers (Beauce, Brie) ne saurait être rapproché de la situation délicate des apiculteurs bio (Ardèche, Gard).
Les circuits logistiques d’approvisionnement des espaces de consommation attestent d’une grande diversité. Ils donnent le primat aux zones urbaines qui sont fortement intégrées à la mondialisation des échanges. Dans les années 1990; la sociologue américano-néerlandaise Saskia Sassen a popularisé le concept de « villes mondiales », comme New York, Tokyo et Londres. Au cœur de mégalopoles, elles s’appuient sur des atouts historiques et culturels pour s’inscrire au centre des flux mondialisés. Pour s’alimenter, les villes activent des circuits courts et des circuits longs autorisant l’achat en continu de denrées alimentaires produites dans le monde entier comme les kiwis néo-zélandais, les avocats mexicains ou le soja brésilien.
Ainsi, les écarts entre abondance et pénurie font peser sur les humains un risque d’insécurité alimentaire. Alors qu’une partie de la population mondiale est sous-alimentée, sinon en famine, une autre partie souffre du surpoids ou de l’obésité. Dans leur atlas Espace mondial de 2018, les géographes de Sciences Po rappellent que 11% de la population – soit 815 millions de personnes – ne mangent pas à leur faim faute d’approvisionnement et d’accessibilité des denrées alimentaires. Des territoires marginalisés et conflictuels concentrent d’insoutenables difficultés comme c’est le cas de pays de la bande sahélo-saharienne. En outre, l’ignorance alimentaire et la popularité de la malbouffe sont telles que 13% de la population sont obèses. Les inégalités alimentaires sont lourdes de conséquences sanitaires.
Or, d’ici 2050, la croissance de la population et l’évolution des régimes alimentaires mettront sous pression les ressources disponibles.
Les projections démographiques se traduiraient par une hausse des besoins agro-alimentaires dans la durée. En effet, d’ici 2100, la population mondiale pourrait croître malgré la disparité des situations régionales selon le World population prospects. Les démographes de l’ONU estiment que la population mondiale pourrait atteindre 9,7 milliards d’individus en 2050 et 11,2 milliards en 2100. Mais les tendances sous-jacentes dépendent amplement des territoires concernés. Si les espaces en déclin seraient spécialement en Asie de l’est et du sud-est, les espaces en croissance se trouveraient surtout en Afrique sub-saharienne. Alors qu’elle est frappée par une insécurité alimentaire, illustrée par une invasion massive de criquets en 2020, l’Afrique sub-saharienne compterait pour la moitié des naissances jusqu’à 2100. Il y aurait un enjeu fort de capacité à nourrir la population mondiale.
Le développement des pays émergents uniformiserait les pratiques alimentaires de leurs populations. L’occidentalisation des habitudes de consommation se concrétiserait aussi dans les assiettes. En Chine, la consommation viande a connu une croissance exponentielle. Elle est passée de 4 kg par habitant en 1961 à 62 kg en 2013. Virginie Raisson, elle, observe que l’essor des produits carnés concerne aussi l’Inde, « plus vaste pays végétarien de la planète » et « premier exportateur mondial de viande bovine » (2038 : les futurs du monde). La demande de protéines pourrait augmenter de 70% en 15 ans, ce qui pourrait engendrer des externalités négatives pour l’environnement.
Centrés sur leur sécurité alimentaire, les acteurs géopolitiques s’engagent déjà dans le « land grabbing ». Cet accaparement des terres arables correspond à l’achat, la location ou l’obtention de concession de terres à des fins commerciales. Les données de Land Matrix permettent de suivre ces échanges croissants à l’échelle mondiale. Puissance alimentaire, l’Europe est aussi visée par un « land grabbing » venus d’investisseurs étrangers intéressés notamment par la Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie. Entre 20% et 30% des terres roumaines seraient contrôlées par des investisseurs européens et près de 10% par des investisseurs tiers. Cet accaparement des terres pourrait s’exacerber dans un monde où les humains seraient plus nombreux.
Les filières agro-alimentaires devront être optimisées, intensifiées et réorientées pour assurer la sécurité alimentaire mondiale.
Le premier défi pour nourrir le monde est d’optimiser les filières en luttant contre le gaspillage alimentaire. En effet, la configuration actuelle est loin d’être optimale puisque près du tiers de la production mondiale finit comme un déchet. L’organisation onusienne pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) estime que ce gaspillage serait équivalent à 41,2 tonnes de nourriture chaque seconde… Toutes les parties prenantes de la filière agro-alimentaire seraient concernées à commencer par le consommateur (33% du total) et le producteur (32%). Des sociétés privées se sont engagées sur ce segment de marché avec des applications anti-gaspillage (Too Good to Go, Phénix, Yindii, etc.) et des acteurs publics ont prodigué des conseils d’optimisation des pertes industrielles (ADEME).
Le deuxième défi pour les filières agro-alimentaires est l’intensification de la production dans le respect des écosystèmes. Pour accompagner les croissances de population, les rendements agricoles (blé, riz) ont beaucoup augmenté notamment en Asie pendant la seconde moitié du XXe siècle : c’était le cas pendant la « révolution verte » en Inde après 1965. L’utilisation de produits chimiques et la mécanisation des cultures atteignent toutefois leurs limites environnementales. Plusieurs spécialistes comme Michel Griffon (Nourrir le monde) en appellent à la mise en place mondiale et coordonnée d’une « révolution doublement verte ». Les techniques de l’agro-écologie qui s’appuient sur la biodiversité des sols pourraient aider à relever ce nouveau défi selon l’ONU.
Le troisième défi pour nourrir le monde consiste en la transformation des habitudes alimentaires. Consommatrice d’espace, d’eau et de céréales, la surproduction de produits carnés aggrave aussi les émissions de gaz à effet de serre. Des sociétés innovantes se donnent pour objectif de substituer les protéines animales à d’autres sources de protéines. Ainsi, la société américaine Beyond Meat produit des steaks végétaux aux caractéristiques semblables à la viande classique. Leur produit phare serait plus performant qu’un burger traditionnel américain (-99% d’eau, -90% de gaz à effet de serre et -93% de surface agricole). Quant au français Ynsect, il parie sur les insectes dont l’utilisation des sols est 150 fois plus productive pour l’agriculture et l’élevage. Les prochaines décennies augureront d’une révolution dans nos assiettes.
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Source image : International Committee of the Red Cross
Source infographie : Sciences Po - Atlas Espace Mondial
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